La journaliste Becky Supiano du Chronicle of Higher Education s’est entretenu avec Scott Freeman, chercheur et, jusqu’à récemment, enseignant émérite à l’Université de Washington. Freeman est l’auteur d’une méta-analyse parue en 2014 dans le Proceedings of the National Academy of Sciences et citée plus de 7500 fois (d’après son auteur). Cette étude démontrait que, lorsque les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques (STIM) sont enseignées au moyen de méthodes actives, les personnes étudiantes réussissent mieux. Voire, plus on enseigne au moyen de méthodes actives, plus les écarts se réduisent entre ceux qui réussissent et ceux qui avaient des difficultés.
« …[W]hat that work showed was across science, technology, engineering, and math courses at the undergraduate level, on average, when people switch from lecturing to any kind of active learning — we were extremely generous with the definition — that we were seeing important increases in average exam scores on equally rigorous exams, and significant drops in failure rates. » (Scott Freeman)
Supiano se demande – et interroge Freeman – pourquoi si les données sont aussi probantes, les sciences et le génie ne sont-ils pas enseignés plus souvent au moyen de méthodes actives?
Réponse de Freeman (que je paraphrase): même s’il est clairement démontré que la cigarette représente un danger pour la santé, des gens fument encore… Il mentionne une analyse nationale (américaine) publiée dans Science en 2018 par l’équipe de Marilyne Stains de l’Université de Virginie qui démontre que l’enseignement magistral domine encore largement l’enseignement de ces matières.
Les raisons offertes par Freeman pour expliquer cette faible popularité des méthodes actives nous semblent éclairantes:
- L’intuition basée sur la propre expérience de la personne enseignante: « …[B]ien que les professeurs soient des personnes qui s’appuient sur des preuves dans leur domaine, nous restons des êtres humains. Et souvent, les personnes qui exigent des niveaux de rigueur et de preuves dans leur domaine passent à l’enseignement, et tout à coup, elles reviennent à l’intuition. Il n’est donc pas rare d’entendre des gens dire : “Ça a marché pour moi”. Ce qui veut dire que quelque chose ne va pas avec mes étudiants, parce que c’était bien pour moi et regardez où je suis maintenant… »
- Un certain immobilisme: « …[L]e coeur du problème est que le système ne récompense pas le changement, surtout dans l’enseignement. »
- Le succès est long à venir et peu reconnu: « …Quand j’ai commencé à faire de l’apprentissage actif, je n’ai obtenu aucun changement. Je me cassais constamment la figure, je m’y attendais. […] [S]i je réussis finalement, […] que je refais mes cours et que je sacrifie d’autres parties de mon travail, je ne suis pas payé davantage. L’université ne reçoit pas plus d’argent. Rien ne change. »
Sa solution? Évaluer l’enseignement… et le récompenser en conséquence. « Nous disposons de nouveaux outils ; ils sont vraiment solides, fondés sur la recherche – on les appelle des protocoles d’observation de la classe – qui sont publiés et dont la validité est bien établie. Nous pouvons désormais évaluer l’enseignement de manière objective et fiable et nous en servir pour prendre de bonnes décisions. »
« …[W]ho actually gets hired? Who actually gets promoted? Who actually gets the corner office, the awards on campus? Where does the prestige come from? It’s still really about research. Institutions have to take this evidence about teaching and say: People who are getting better student outcomes, especially for students who are underprepared coming into college, are going to get paid more, promoted faster, and given the kind of perks that top-flight researchers get. » [Notre emphase]
L’article se termine par une discussion sur les travaux actuels de Freeman. En mars 2020, il a publié avec l’équipe d’Elli Theobald de l’Université de Washington et de Sarah Eddy de la Florida International University, une nouvelle méta-analyse qui démontre que les méthodes actives permettent de réduire les différences entre les résultats des personnes étudiantes de revenus supérieurs et celles de revenus modestes. « Les données montrent que, dans les STIM au moins, si vous faites un peu d’apprentissage actif, vous ne voyez pas ces différences de performance changer. Mais si vous en faites beaucoup, elles commencent à se réduire, souvent de façon spectaculaire. Il s’agit maintenant de comprendre pourquoi. »
L’hypothèse sur laquelle travaille Freeman et son équipe est celle-ci: l’enseignement par méthodes actives favoriseraient la pratique délibérée (la tête) et une culture de classe plus positive (le coeur).
Pratique délibérée: « ..Vous devez consacrer 10 000 heures à une pratique difficile et inconfortable […]. Et nous pensons que c’est ce que font les exercices d’apprentissage actif : lorsque vous questionnez et ne donnez pas les réponses, les étudiants s’entraînent. »
Culture de classe: « Dans une classe d’apprentissage actif, […] [v]ous recevez beaucoup de commentaires, et l’ensemble de la classe devient très solidaire, très communautaire, très “vous avez votre place ici ; je crois en vous”.
Source: Supiano, Becky, « ‘It’s Not About the Evidence Anymore’ », The Chronicle of Higher Education, 22 juin 2022