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Refonder l’école en un espace de débats et laboratoire d’idées

Alors qu’au Québec il est de plus en plus question de « refonder » le système de santé, des voix s’élèvent en France pour faire de même avec le système scolaire. Ces réflexions pourraient-elles nous inspirer?

Dans la foulée de la récente Conférence des Nations-Unies sur les changements climatiques (COP26), Sébastien Claeys, professeur associé à la faculté des Lettres de Sorbonne Université, constate divers paradoxes

« …[S]i l’éducation et la transmission – des connaissances, des valeurs et des savoir-faire – sont incontestablement des terrains privilégiés d’expérimentation pour faire éclore un nouveau monde, elles sont aussi aux premières loges des impasses et des incompréhensions contemporaines. » Selon Claeys…

  • « Nous formons les futurs citoyens dans la perspective d’en faire de bons électeurs. Or de nombreux jeunes se détournent des urnes et trouvent d’autres moyens d’investissement politique
  • Nous attendons d’eux qu’ils construisent l’avenir – alors que leur anxiété quant au changement climatique ne fait que croître.
  • Nous nous targuons de forger leur esprit critique – quand la critique à l’emporte-pièce progresse dans l’espace public. […]
  • Nous prétendons leur transmettre l’amour de la démocratie – alors que nous sommes de plus en plus nombreux à douter des corps intermédiaires. »

D’après lui, les personnes enseignantes doivent se « demander comment éduquer les nouvelles générations sur des questions mouvantes que nous avons nous-mêmes du mal à concevoir et qui sont pourtant la clef des enjeux politiques à venir. » Il pense aux questions éthiques liées à la recherche, aux nouvelles technologies, à la bioéthique, etc.

Le professeur en sciences de l’éducation Bruno Robbes (Cergy Paris) complète ce portrait des défis actuels de l’enseignement par les quelques constations suivantes:

  • « …[L]’essor des technologies numériques – et avec elles le projet d’une « société de la connaissance » – assimile la science à la connaissance et la réduit à une information. Acquérir des connaissances revient à traiter des informations, sans lien avec les questions humaines fondamentales à l’origine des savoirs accumulés au fil des générations. Or, c’est l’inscription des savoirs dans la culture qui aide à comprendre le monde contemporain. » [notre emphase]
  • « À l’ère de la post-vérité, des responsables politiques de premier plan […] ont fait [de situer leurs croyances au même niveau que les savoirs] une pratique d’exercice du pouvoir, diffusant de fausses informations ou privilégiant des travaux scientifiques sujets à caution, parfois avec la complicité de chercheurs. »
  • « …[L]a parole des professeurs entre encore en concurrence avec les valeurs individualistes et productivistes des sociétés néo-libérales. Les multinationales industrielles et financières les diffusent en contrôlant les moyens de communication audiovisuels et numériques. Ces nouvelles autorités « dictent » les valeurs et les comportements des jeunes. Elles captent leur attention, pour satisfaire leurs pulsions primaires de plaisirs immédiats et illimités, posséder pour exister et être comme les autres, dans la passivité et sans effort. Or, apprendre nécessite une attitude inverse : l’élève doit contrôler a minima ses pulsions, tolérer la frustration et différer son plaisir, accepter une discipline qui lui permettra d’être en condition d’activité cognitive, mais aussi faire des efforts dans la durée. » [nos emphases]

Ce que Claeys propose comme alternative me semble fort stimulant et au coeur d’une véritable éducation citoyenne: « Il s’agit de faire de l’école un terrain d’expérimentation privilégié du débat public et un laboratoire d’idées. » Il présente les conditions pour faire de tels débats réussis…

  • prendre la parole des élèves [ou personnes étudiantes] au sérieux,
  • offrir un cadre serein où chacun puisse s’exprimer librement.
  • encadrer la démarche par une méthodologie structurée,
  • définir clairement les objectifs de la concertation,
  • rendre publics les résultats de leurs échanges.
  • surtout, […] proposer une perspective concrète : élaborer une charte, concevoir une cartographie des controverses transmise à des instances officielles, soumettre des recommandations dans le processus de révision d’une loi… [notre emphase]

Le chercheur François Taddéi en fait même un vaste projet social: « …[I]l est essentiel de se battre pour préserver des lieux de dialogue et défendre les formats favorisant l’écoute réciproque et l’expression de récits fondés sur des registres divers de compétences. Entendre ce qu’individus et groupes ont à proposer comme agenda commun suppose de bâtir une société apprenante où chacun participe à co-construire connaissances et reconnaissances. »

Robbes ajoute…

« …[L]’autorité des professeurs ne se fonde plus seulement sur leur parole et l’exercice du métier change en profondeur. C’est en mettant en œuvre des compétences didactiques (organisation et présentation des contenus de savoir) et pédagogiques (organisation de l’espace, du temps, des relations en classe, aspects matériels et techniques), qu’ils créent, dans leurs cours, des conditions permettant à leurs élèves d’apprendre sans se contenter seulement de ce qu’ils disent, les croire « sur parole ». […] La situation d’enseignement/apprentissage doit les aider [les personnes étudiantes] à se décentrer des représentations incomplètes ou erronées qu’ils en ont, tout en leur permettant de se poser d’autres questions. Un nouveau savoir fera sens pour eux s’il leur apporte des réponses à ces questions, rejoignant leur expérience humaine.

La réflexivité des élèves sur les savoirs devient donc un enjeu majeur à l’école, non seulement pour légitimer l’autorité des professeurs, mais aussi pour que les élèves accèdent à un rapport au savoir subjectif, critique et émancipateur. » [nos emphases]

« Mais pour mener à bien ce type de démarche, encore faut-il y être encouragé, avoir le temps de mettre en œuvre des projets à l’interface entre les établissements scolaires et les acteurs de la société civile, redéfinir la posture de l’enseignant pour susciter les questionnements. En bref, créer des institutions et des établissements scolaires accueillants et ouverts à la parole des élèves. » (Sébastien Claeys)

Sources:

Claeys, Sébastien, « Débat : Et si on faisait de l’école un laboratoire d’idées ? », The Conversation, 7 décembre 2021

Robbes, Bruno, « La parole des professeurs fait-elle encore autorité ? », The Conversation, 3 novembre 2021

Taddei, François et Marie-Cécile Naves, « Et si nous avions des débats constructifs ? », The Conversation, 23 janvier 2022

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Jean-Sébastien Dubé

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