Le Conseil des académies canadiennes* (CAC) a publié le 26 janvier dernier un volumineux rapport (288 pages) intitulé Formés pour réussir (Degrees of Success) en réponse aux questions que lui a posées Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDE) : Quelles sont les principales difficultés qui se posent aux doctorants au Canada lors de la transition vers le marché du travail et comment ces difficultés diffèrent-elles selon le domaine d’études?
On se demande bien ce qu’un tel document peut apporter de nouveau tellement on a l’impression que tout a déjà été dit sur le sujet. Pourtant… Le mérite de ce nouveau rapport réside dans la profondeur et la rigueur des analyses, alliées à des récits de parcours doctoral et à un travail de fond dans la recherche de données probantes. Pour les fins de la présente dépêche, j’ai repiqué et combiné les constatations et les résumés des chapitres 2 à 7. La réponse aux questions d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada sont résumées dans l’infographie produite par le CAC.
2 – Contextes institutionnel et de financement
Le nombre de personnes qui obtiennent un doctorat au Canada est en augmentation constante depuis le début du XXIe siècle, tout comme la proportion de diplômés du doctorat provenant de l’étranger.
Les programmes de doctorat au Canada se ressemblent d’une province à l’autre et n’ont pas beaucoup changé depuis 30 ans. Toutefois, le financement des universités, lui, a connu des changements significatifs. L’importance de la recherche universitaire a augmenté, ce qui a exigé une hausse concomitante du nombre de doctorats et de BRP (boursiers postdoctoraux) pour réaliser cette recherche. La plupart des disciplines connaissent une hausse des inscriptions au doctorat, autant dans les domaines des sciences, des technologies, du génie et des mathématiques (STGM) que dans ceux de la santé, des arts, du commerce, des sciences humaines, de l’éducation et des sciences sociales (SACHES), ce qui entraîne une croissance du nombre de diplômés du doctorat qui doivent s’insérer professionnellement, dont un certain pourcentage provenant de l’international (plus du quart en 2016).
3 – Comprendre les difficultés rencontrées par les doctorants
Les doctorants sont acculturés dans un environnement qui privilégie la recherche à visée universitaire au détriment d’autres types d’apprentissages et de formes plus larges de recherche et d’érudition. Or, les postes de professeur-chercheur se raréfiant, il devient nécessaire de préparer les diplômés à une variété de débouchés professionnels hors les murs universitaires.
Peu d’étudiants se lancent dans des études de doctorat en connaissant les possibilités de carrière hors le milieu universitaire. Les taux de dépression et d’anxiété chez les étudiants au doctorat sont généralement supérieurs à ceux de la population en général et peuvent être provoqués ou amplifiés par les grandes exigences de la culture universitaire et par l’incertitude concernant l’avenir. Les universités partout Canada (sic) admettent de plus en plus la nécessité d’accorder la priorité à l’équité, à la diversité et à l’inclusion (EDI).
Il serait aidant pour les doctorants que les gestionnaires et les directrices et directeurs de recherche se posent les questions suivantes : la culture universitaire contribue-t-elle à accroître les problèmes de santé mentale chez les étudiants des cycles supérieurs? Notre université en fait-elle suffisamment pour la promotion de la diversité? En fait-elle suffisamment pour favoriser les différentes carrières et offrir des possibilités de développer les compétences qui leur ouvriront les portes ?
4 – Capacité des employeurs à embaucher des titulaires de doctorat au Canada
Les diplômés du doctorat au Canada travaillent dans tous les secteurs de l’économie : entreprises privées, services publics, administration universitaire, OSBL, enseignement… Pour ceux qui visent une carrière universitaire, il leur faut parfois occuper à l’université un ou plusieurs postes temporaires et sans sécurité d’emploi, le plus souvent comme chargés de cours ou stagiaires postdoctoraux en attendant, pendant parfois plusieurs années, une ouverture de poste.
Les données probantes indiquent que moins de titulaires de doctorat au Canada travaillent dans le secteur privé qu’aux États-Unis. Il n’y a cependant pas d’explication claire à la faible capacité d’intégration du secteur privé canadien. Elle peut découler de la perception négative des diplômés du doctorat qu’ont certains employeurs, qui pensent qu’il leur manque certaines des compétences nécessaires pour réussir dans le privé. Les diplômés du doctorat ne sont pas toujours conscients des compétences et des habiletés qu’ils peuvent apporter à un futur employeur et sont parfois confrontés à un manque de concordance entre les capacités recherchées par les employeurs et celles qu’ils ont acquises durant leurs études. Ces problèmes ne sont toutefois pas propres au Canada. Le Canada investit moins d’argent en R-D que les pays similaires et une plus grande proportion de la R-D y est effectuée dans des établissements d’enseignement supérieur, ce qui le rend unique par rapport à bien d’autres nations de l’OCDE. Étant donné le potentiel pour les titulaires de doctorat de contribuer à l’économie de l’innovation, ils sont une ressource sous-utilisée au Canada, particulièrement dans le secteur privé.
5 – Résultats sur le marché du travail des titulaires de doctorat au Canada
Les résultats sur le marché du travail des diplômés du doctorat donnent une idée des défis auxquels ils font face lorsqu’ils amorcent leur carrière. Les chiffres sur l’emploi révèlent que, globalement, les détenteurs canadiens d’un doctorat s’en sortent bien; leur taux de chômage est bas comparé à presque tous les autres niveaux d’études. Ce n’est toutefois pas le cas pour les plus jeunes diplômés, dont le taux de chômage est semblable ou supérieur à celui des titulaires d’un baccalauréat ou d’une maîtrise. De plus, les détentrices d’un doctorat affichent un taux de chômage plus fort que leurs homologues masculins, quelle que soit la discipline.
Pour les hommes détenteurs d’un doctorat travaillant à temps plein, le rendement économique de leur diplôme par rapport à une maîtrise diminue; de plus, il est inférieur et baisse plus rapidement chez les moins de 40 ans. En revanche, chez les détentrices d’un doctorat travaillant à temps plein, le rendement économique augmente pour l’ensemble de la population et pour les moins de 40 ans. Cela dit, les revenus des hommes sont, en général, encore considérablement plus élevés que les revenus des femmes.
6 – Mobilité internationale des diplômés du doctorat canadien
Comme partout ailleurs dans le monde, les diplômés du doctorat formés au Canada font face à la possibilité, ou dans certains cas, à la nécessité, de chercher un emploi à l’étranger à la fin de leurs études. La destination la plus fréquente des diplômés canadiens est les États-Unis. Les principales forces attirant les détenteurs d’un doctorat hors du Canada sont l’attrait des établissements ou des chercheurs prestigieux et la possibilité d’améliorer leurs perspectives de carrière au pays ou à l’étranger. Les diplômés du doctorat en sciences naturelles, qui ont tendance à être plus mobiles que leurs homologues d’autres disciplines. Toutefois, de nombreux détenteurs d’un doctorat canadien vivant à l’étranger expriment le désir de revenir au Canada.
En ce qui concerne l’effet net des titulaires de doctorat mobiles au Canada, Reithmeier (2018) avance que les résultats de l’enquête de suivi de ces diplômés de l’U de T montre un « recrutement de cerveaux », alors que les données fournies par Stephan et al. (2015) (sous réserve des limitations concernant la discipline) portent plutôt à croire que le Canada perd des titulaires de doctorat sans attirer de remplaçants de l’étranger.
7 – Approches et programmes prometteurs
Certains programmes de doctorat sont en cours de redéfinition pour mieux correspondre aux besoins du XXIe siècle, dont les quelques initiatives canadiennes suivantes :
- Building 21 (B21) – Université McGill,
- Public Scholars Initiative (PSI) – UBC,
- programme de « formation » pour les directrices et directeurs de recherche – Memorial University,
- plans de perfectionnement individuels (PPI),
- cours de perfectionnement professionnel – Département de biochimie de l’Université de Toronto,
- programme de formation orientée vers la nouveauté, la collaboration et l’expérience en recherche (FONCER) – CRSNG,
- Apprentissage intégré au travail (AIT), comme le programme coopératif en arts – UBC,
- Mitacs – programme pancanadien,
- programme SAGE (Supporting Aboriginal Graduate Enhancement).
Si les exemples précédents ne sont pas exhaustifs, le comité d’experts du CAC pense qu’ils illustrent le genre d’initiatives susceptibles d’aider les titulaires de doctorat à surmonter les difficultés posées par l’entrée sur le marché du travail.
L’herbe semble toujours plus verte chez le voisin, mais ça n’est pas toujours le cas. Ainsi, il y a plus de 20 ans déjà que l’Université de Sherbrooke pose des gestes concrets pour soutenir et enrichir la formation doctorale, notamment avec la création du Centre CR+ (anciennement connu sous le nom de CUEFR) un encadrement personnalisé, les comités de mentorat…
En conclusion, le rapport mérite une lecture approfondie pour quiconque désire justifier la création ou la restructuration d’un programme de doctorat, car le rapport regorge, entre autres, d’arguments pour en documenter l’opportunité socioéconomique.
* Le CAC est composé de trois académies : la Société royale du Canada (SRC), l’Académie canadienne du génie (ACG) et l’Académie canadienne des sciences de la santé (ACSS).
Source
Peters, D. Titulaires de doctorat et perspectives d’emploi : le décalage subsiste. Affaires universitaires. 3 février 2021.
CAC.