En 2011, les chercheurs Jeffrey D. Karpicke et Janell R. Blunt publiaient dans la prestigieuse revue Science une étude qui révélait que se pratiquer à se remémorer entraîne plus d’apprentissage que des techniques d’études visant à élaborer les connaissances « à l’entrée », notamment la création de cartes conceptuelles. L’idée n’était pas nouvelle (Francis Bacon l’avait abordée en 1620…), mais c’était sa première démonstration expérimentale. Nous avions rapporté ces résultats en incluant quelques articles qui y faisaient suite. Nous avions alors fait la traduction libre « d’entraînement à la récupération» pour l’expression originale de « retrieval practice ». On parle aussi du « testing effect » en anglais pour désigner ce phénomène.
La citation suivante explique bien l’approche.
Retrieval-based learning refers to the fact that engaging in retrieval activities, namely those requiring learners to set aside the learning material and actively access already encoded information in memory, enhances performance in a variety of learning tests (Nunes & Karpicke, 2015).
Lechuga et. al (2015)
Depuis, de nombreuses recherches se sont intéressées au phénomène, tant sur le plan fondamental que sur son application en contexte réel. On a comparé l’entraînement à la récupération avec de nombreuses autres méthodes d’étude, en trouvant toujours le même résultat : un avantage de l’entraînement à la récupération sur les autres méthodes.
Une nouvelle expérience
La chercheure Teresa Lechuga et ses collègues (2015) ont fait une nouvelle expérience pour répondre à une critique selon laquelle il pourrait y avoir un biais du fait que les sujets des expériences de Karpicke et Blunt utilisaient la méthode des cartes conceptuelles pour la première fois. Les apprenants très habitués aux cartes conceptuelles auraient peut-être de meilleurs résultats que ceux qui l’utilisent pour la première fois dans le cadre d’une expérience. L’équipe de Teresa Lechuga a donc comparé l’entraînement à la récupération avec la production de cartes conceptuelles en tenant compte de l’expérience des apprenants avec cette dernière technique. Ils ont formé 4 groupes :
- un groupe qui a simplement étudié le même texte à quatre reprises de 5 minutes séparées par des pauses de 1 minute (contact total avec le texte = 20 minutes).
- un groupe avec des sujets ayant reçu une brève formation à la création de carte conceptuelles qui ont étudié le matériel en produisant de telles cartes. Ils ont lu le texte 5 minutes, puis ont eu 25 minutes pour produire leur carte (contact total avec le texte = 30 minutes).
- un groupe avec des apprenants qui utilisaient déjà régulièrement les cartes conceptuelles avant l’expérience et qui ont étudié le matériel en produisant de telles cartes (contact total avec le texte = 30 minutes).
- un groupe qui a utilisé l’entraînement à la récupération pour étudier. Ils ont eu le texte 5 minutes, qui a ensuite été retiré, puis ont eu 10 minutes pour se remémorer et noter sur une feuille blanche un maximum d’information du texte qu’ils venaient de lire. Ils ont pu ensuite revoir le texte pendant 5 minutes, puis refaire le rappel libre sur une nouvelle feuille blanche pendant 10 minutes (contact total avec le texte = seulement 10 minutes).
Résultats
Lors d’un test une semaine après l’activité d’apprentissage :
- Les cartes conceptuelles produites par les étudiants dont c’était la première fois étaient de qualité équivalente à celles produites par des étudiants expérimentés avec cette technique (selon une évaluation indépendante à l’aveugle par deux experts, avec un accord inter-juge très élevé). Donc la formation aux cartes conceptuelles a été efficace.
- Dans tous les cas, l’avantage de l’entrainement à la récupération s’est avéré. Mais…
- L’entraînement à la récupération donne de meilleurs résultats que toutes les autres conditions pour les questions de rappel simple.
- L’entraînement à la récupération donne de meilleurs résultats que les conditions d’étude répétée et de première utilisation des cartes conceptuelles pour les questions de déduction.
- L’entraînement à la récupération donne des résultats équivalents à l’utilisation des cartes conceptuelles par des étudiants habitués à cette technique pour les questions de déduction.
- La production de cartes conceptuelles ne donne pas de meilleurs résultats que l’étude répétée du matériel (l’étude originale de Karpicke et Blunt (2011) arrivait aussi à cette conclusion).
En général, leurs résultats confirment donc eux aussi la découverte de Karpicke et Blunt. Mais cette nouvelle étude permet de nuancer la notion voulant que la production de cartes conceptuelles soit moins efficace pour l’apprentissage que l’entraînement à la récupération : cela dépend du type d’évaluation et de l’expérience des apprenants avec la production cartes conceptuelles. Dans cette recherche, elles ont été, selon le cas, moins ou autant efficaces que les autres conditions, mais jamais plus efficaces.
Lechuga et son équipe ont constaté que les apprenants sont d’emblée sceptiques face à l’entraînement à la récupération. On peut le comprendre : l’idée de se tester plus souvent et « d’étudier moins », pour finalement mieux apprendre, est contre-intuitive. La clé de l’énigme est que le rappel est aussi une activité d’apprentissage, qui a aussi un aspect élaboratif : en se remémorant, on consolide le souvenir en y ajoutant des indices de récupération, du contexte, et en le liant plus fortement à d’autres connaissances mieux « installées ». On facilite alors l’accès futur à ce souvenir ainsi enrichi.
Whatever the mechanisms of retrieval-based learning are, however, it now seems clear that retrieval processes are not neutral for learning. Instead, the act of retrieval from memory is thought to play a role as a knowledge modifier (i.e., by strengthening memory traces, Bjork, 1975), thus facilitating access to that knowledge in the future.
Lechuga et. al (2015).
Conclusion et applications pratiques
Les auteurs invitent les enseignants à faire appel à plus d’activités d’apprentissage qui incluent une composante de rappel, sans appui informationnel externe.
[…] there needs to be more emphasis on academic tasks that involve actively retrieving the to-be-learned material, taking into account the application conditions of this technique that have proved to be most effective (see Dunlosky et al., 2013). This can be achieved through exercises and tests that call for access to prior knowledge and which require the student to dynamically and actively reconstruct the previously studied content (for example, through activities that need inferences to be made or where it is necessary to apply certain knowledge in order to solve a problem) (Johnson and Mayer, 2009, Karpicke and Grimaldi, 2012, Mayer et al., 2009, McDaniel et al., 2011 and McDaniel et al., 2013). [notre emphase] Lechuga et. al (2015).
Ils mentionnent aussi qu’il faut tenir compte du scepticisme constaté chez les apprenants. On conseille de leur expliquer les raisons pour lesquelles on intègre de telles activités, autrement ils risquent fort de porter un jugement négatif sur leur pertinence, diminuant leur engagement et donc les bénéfices attendus.
[…] students ought to be aware of the benefits of retrieval as a learning activity (e.g., Karpicke & Grimaldi, 2012). If the goal is to enhance the learning of complex content ensuring that students utilise this technique on a regular basis, as well as encouraging them to adopt this strategy in different contexts, then measures need to be taken to change the students’ previous expectations, comparing their learning predictions with their actual results and offering an understandable explanation behind the effectiveness of this technique (e.g., Einstein, Mullet, & Harrison, 2012). [notre emphase] Lechuga et. al (2015).
Comme nous l’avions mentionné dans notre billet de 2012 sur l’étude originale, il ne faut pas conclure que les méthodes visant à améliorer l’apprentissage par l’élaboration des connaissance « à l’entrée » sont obsolètes. Même les auteurs de cette étude mettent en garde contre des généralisations hâtives de leurs résultats : il faudra faire plus de recherche pour découvrir et comprendre tous les facteurs à considérer avant de tirer des conclusions plus générales. On peut même imaginer que certaines combinaisons de méthodes soient encore plus fructueuses que l’une ou l’autre des méthodes prise seule. Mais, là aussi, il faudra plus de recherche pour le découvrir.
Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que l’on devrait ajouter davantage d’activités de rappel des connaissances apprises, car leur potentiel est sous-estimé et sous-utilisé.
Source
Lechuga, M. Teresa, Ortega-Tudela, Juana M., & Gómez-Ariza, Carlos J. (2015). Further evidence that concept mapping is not better than repeated retrieval as a tool for learning from texts. Learning and Instruction, 40, 61-68. http://dx.doi.org/10.1016/j.learninstruc.2015.08.002 ou http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959475215300232