Pédagogique Point chaud / en émergence

Réfléchir : la prochaine frontière!

Il m’arrive de réfléchir… pas souvent, mais tout de même! J’ai remarqué que mes périodes de réflexion se déclenchaient souvent à partir d’un problème à résoudre ou d’une situation nouvelle dont l’issue m’échappe. Je dois aussi vous avouer que cette brillante capacité intellectuelle ne s’est véritablement développée chez moi que pendant mes dernières années comme étudiant universitaire. Sans doute suis-je dans la moyenne de ce point de vue.

Il y a tout de même des pédagogues qui croient que notre capacité à réfléchir est outrageusement sous-développée à l’école. En particulier dans un cours de mathématique où nous serions d’excellents imitateurs pour reproduire le comportement enseigné, mais de piètres êtres réflexifs en quête d’une réponse satisfaisante.

Celui qui a déclenché ce triste constat se nomme Peter Liljedahl, un professeur en enseignement des mathématiques à l’Université Simon Fraser à Vancouver. Liljedahl a passé ces dernières 20 années à observer les périodes d’enseignement des maths dans les classes de dizaines d’écoles primaires et secondaires. Il a constaté que jamais plus de 20 % des élèves ne réfléchissaient vraiment au problème mathématique qu’on leur proposait et qu’ils ne le faisaient guère plus que 20 % du temps qu’on leur allouait. Comme tout bon chercheur, Liljedahl s’est demandé : “Pourquoi aussi peu d’élèves réfléchissent?” “Qu’est-ce que font les autres élèves pendant ce temps-là?” et surtout “Comment pourrait-on changer cette situation?” Il nous précise que toutes les personnes enseignantes qu’il a observées étaient reconnues et estimées tant par leur direction d’établissement que par leurs collègues, leurs élèves et les parents de ces derniers. Alors pourquoi cette maigre réflexion chez ces élèves?

Quelles sont ses constats?
1er constat : on ne change pas une vielle recette
Pour parvenir à d’abord mettre le grappin sur un début d’explication, Liljedahl a utilisé la théorie générale des systèmes. Celle-ci lui a permis de constater que dans le système « classe » les intervenants (prof, élèves, etc.) se comportaient sensiblement de la même manière depuis l’instauration de notre système scolaire public, il y a un peu plus de 180 ans. La personne enseignante au devant de la classe, les élèves assis en rangs, les exercices sont démontrés d’abord à tous, puis on demande aux élèves de faire une série d’exercices individuels dans leurs cahiers.

2e constat : l’élève joue un rôle au lieu de réfléchir
Liljedahl s’est aperçu que les élèves adoptaient systématiquement un des quatre rôles qui, à première vue, donnent l’impression qu’ils sont actifs. Il parle alors de l’élève « désengagé » (slacking type) qui s’asseoit au fond de la classe avec un air soit renfrogné soit décontracté; le « fuyant » (Stalling type) qui, dès les premiers instants d’un exercice, demande à sortir pour aller aux toilettes; le « comédien » (Faking type) qui démontre par son non-verbal qu’il réfléchit mais qui en fait ne rédige rien, voire même utilise son efface pour gommer sa feuille vierge; et « l’imitateur » (Mimicking type) qui reproduit parfaitement la solution telle que la personne enseignante vient de le démontrer. Ce dernier rôle étant pour Liljedahl le plus insidieux puisqu’il est récompensé et valorisé. Cet élève fait preuve de mémorisation, alors que la réflexion n’est pas au rendez-vous. Selon Liljedahl, l’imitateur fera face, un jour ou l’autre, à une chute de performance dès que des problèmes plus complexes, exigeant réflexion, lui seront demandés.

Quelles sont ses solutions?
Après avoir joué avec à peu près toutes les variables de ce système – il a même été jusqu’à retirer tout le mobilier d’une classe – Liljedahl retient certaines pratiques gagnantes qui font en sorte d’inverser les proportions : 80 % des élèves sont en mode réflexif pendant 80 % du temps de l’exercice. Il retient notamment que les élèves doivent travailler en trios (constitués aléatoirement), à l’aide d’une surface verticale effaçable (tableau blanc, feuille plastifiée, etc.) dans une classe où la personne enseignante se situe au centre et non au-devant d’élèves assis en rangées. Les exercices de réflexion doivent idéalement être débutés par un ou deux exercices hors programmes et stimulants (par exemple, quelles sont les différentes façons de faire un dollar avec des pièces de 1¢ à 25¢).

Selon lui, les trios sont plus efficaces pour favoriser la réflexion de tous ses membres, la verticalité du tableau facilite les échanges de points de vues ou même une collaboration inter équipes. Dans ce nouveau fonctionnement, les élèves sont assis tout autour de la classe. La personne enseignante intervient au centre des élèves pour présenter l’exercice et animer les retours en plénière. Elle doit aussi s’efforcer de relancer les élèves dans leur réflexion s’ils sont bloqués et non strictement leur donner la solution. Les exercices hors programmes et stimulants réveillent les capacités réflexives chez les élèves tout en apportant un caractère ludique.

Et le monde universitaire dans tout cela? (selon moi)
J’ai cru apercevoir un lien entre notre monde universitaire actuel et les conclusions des recherches de Liljedahl. Si nous devons apprendre à composer avec l’intelligence artificielle (IA) dans notre quotidien, je crois que le premier jalon de cette collaboration sera le développement de notre capacité à réfléchir – et pas seulement avec des problèmes mathématiques. La classe universitaire est évidemment différente de celle d’une école primaire ou secondaire. Par contre, je crois qu’une réorientation des cibles d’apprentissage d’une activité universitaire vers le développement de capacités réflexives à partir ou non de réponses d’une IA serait grandement bénéfique.

Devenir l’expert qui révise, analyse, corrige ou compare ce que l’IA nous propose, plutôt que tenter de l’imiter, me semble plus prometteur. Si la génération montante affine sa capacité à réfléchir dès la petite école, nous percevrons de plus en plus l’IA à l’université comme une aide précieuse, un joueur sur lequel on peut compter et non comme une menace. Elle pourra nous aider à faire de grands bonds en avant. L’enseignement et la recherche universitaires ne seront sans doute plus exactement les mêmes, mais au final nous non plus…

Sources:
Young, Jeffrey R. (7 novembre 2023),  Students Are Busy but Rarely Thinking, Researcher Argues. Do His Teaching Strategies Work Better?, EdSurge.

NCUM Center for Udvikling af Matematikundervisning (18 mai 2022), Peter Liljedahl: Building Thinking Classrooms, vidéo YouTube (en anglais après l’intro d’une minute en danois).

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Daniel a longtemps été occupé à analyser et concevoir des formations tous azimuts. Il essaie aujourd'hui de faire connaître ses découvertes pédagogiques aux personnes formatrices à la recherche de solutions concrètes.

À propos de l'auteur

Daniel Genest

Daniel a longtemps été occupé à analyser et concevoir des formations tous azimuts. Il essaie aujourd'hui de faire connaître ses découvertes pédagogiques aux personnes formatrices à la recherche de solutions concrètes.

1 commentaire

  • À l’évidence, le système d’éducation gagnerait à se remettre en question. Il faudrait ainsi revoir les visées que l’on poursuit lorsqu’on entame des études supérieures ou lorsqu’on veut enseigner dans ce réseau. Qu’est-ce que représente l’éducation pour moi? Sert-elle à me faire grandir et à faire grandir la collectivité? Les cours que je donne ont-ils pour objectif une simple transmission de savoirs ou une intégration de concept?

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