Pédagogique Tendances sociétales

Sommes-nous encore capables d’écouter?

Il y a de cela plusieurs années, j’ai délaissé le domaine de la communication publique pour celui des sciences de l’éducation. Je disais alors à qui voulait l’entendre que je passais d’un public volage et inattentif à une assistance captive et somme toute motivée. J’y voyais une sorte de facilité pour le futur concepteur pédagogique que je désirais devenir. Mais voilà, mes professeurs me l’avaient pourtant annoncé, nous sommes devenus les acteurs d’une société de l’information! Et l’assistance captive remplie de personnes étudiantes “motivées” a pris les mêmes travers que celle de la sphère publique : volage et inattentive… (soupir!)

Enseigner aujourd’hui nécessite une grande capacité à communiquer pour contrer les incessantes interruptions d’une armée de téléphones intelligents, tous plus impolis les uns que les autres. De plus, il semblerait que même si l’on exige que ces appareils soient fermés ou inaccessibles, l’attention de notre assistance ne s’améliore pas vraiment. C’est du moins ce qu’affirme la professeure Jeanine Turner de l’Université de Georgetown aux États-Unis dans un récent podcast produit par Jeffrey Young. La professeure et chercheure s’intéresse depuis quelques décennies aux technologies de communication et leurs influences sur les individus et les sociétés. Elle nous apprend que notre nouvelle façon de communiquer (multiples messages SMS, courriels, chat sur les réseaux sociaux) a fragmenté notre attention et meublé notre charge mentale communicationnelle. Par conséquent, même si nous fermons notre téléphone intelligent, notre capacité à être pleinement présent – même en présentiel… il faudra sans doute revoir ce mot – s’en trouve passablement affectée.

Budget d’attention fragmenté

Selon Turner, notre capacité à pleinement écouter notre interlocuteur est mise à rude épreuve depuis l’arrivée des téléphones intelligents dans nos poches. Elle mentionne que nous gérons notre potentiel d’attention comme le fait un consommateur averti avec son budget.  Selon elle, les auditoires n’ont jamais eu autant de choix d’entretenir d’autres conversations pendant qu’on s’adresse à eux. Les personnes étudiantes n’échappent pas à cette nouvelle réalité. Leur enseigner devient donc, toujours selon Turner, un acte stratégique de vente. Tout comme le vendeur, la personne enseignante doit maintenant s’assurer de faire valoir ce qui a de la valeur pour ses personnes étudiantes afin qu’elles y consacrent une large part de leur budget d’attention.

Socialiser avec le passé

Turner observe un changement de comportement important chez ses personnes étudiantes au début de ses cours à l’université : le niveau de bruit dû à des conversations multiples à bâtons rompus a considérablement diminué. Le silence, ou plutôt l’activité individuelle, s’est imposée. Lorsqu’elle entre dans sa classe, Jeanine Turner n’a plus vraiment besoin de lever le ton pour inviter son auditoire à s’installer pour le début du cours. Les personnes étudiantes sont plus souvent entrain de socialiser par messages texte avec leurs anciens camarades de l’école secondaire que verbalement avec leurs nouveaux collègues de classe. Selon Turner, c’est le cellulaire qui remporte le “concours” d’attention. Elle prend donc souvent le leadership dans sa classe et propose à ses personnes étudiantes diverses petites activités de socialisation pour briser la glace et instaurer une expérience commune.

Écouter, même quand on aime pas ce qui se dit!

Turner questionne notre habileté à socialiser et, par le fait même, à éviter de se compromettre en face à face, surtout si on ne perçoit pas d’ouverture à la communication et au partage dans un environnement sécuritaire (safe space). Selon elle, la classe devrait constituer un milieu favorable à l’apprentissage, même si on y exprime des opinions diverses, voire dérangeantes.

Nous parlons beaucoup de diversité, d’équité et d’inclusion, et nous pensons qu’il est facile d’associer ces trois mots. Mais si vous accordez de l’importance à la diversité et à l’inclusion, vous devez également accorder de l’importance au conflit. En effet, si j’ai une opinion différente [et] que je me sens inclus pour la partager, cela signifie que vous, qui avez une opinion différente, ne serez pas satisfait de cette opinion que j’ai partagée. Et vous [aussi] devez vous sentir inclus pour partager votre opinion. Cela signifie que la diversité et l’inclusion nécessitent des conflits et la création d’un espace sûr pour que nous puissions apprendre. Sinon, tout ce que nous avons, ce sont des environnements diversifiés où personne ne s’exprime et où personne ne se sent inclus.

[Traduit avec  DeepL, nos ajustements]

On ne se le cachera pas, se sentir écouté lorsqu’on enseigne constitue sans doute le véritable salaire qu’on conserve jalousement quelque part au fond de notre “coffre de sûreté” intérieur. Si les nouvelles technologies nous ont volé un peu de notre attention, il nous appartient de nous mettre encore plus à l’écoute de nos personnes étudiantes : qui sont-elles? Vers où se destinent elles? Comment mon activité pédagogique, mon programme, les interpelle-t-elles? C’est en écoutant qu’on attire l’écoute!

Source : Young, J.R., Smartphones Have Changed Student Attention, Even When Students Aren’t Using Them, EdSurge, 16 janvier 2024.

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Daniel a longtemps été occupé à analyser et concevoir des formations tous azimuts. Il essaie aujourd'hui de faire connaître ses découvertes pédagogiques aux personnes formatrices à la recherche de solutions concrètes.

À propos de l'auteur

Daniel Genest

Daniel a longtemps été occupé à analyser et concevoir des formations tous azimuts. Il essaie aujourd'hui de faire connaître ses découvertes pédagogiques aux personnes formatrices à la recherche de solutions concrètes.

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