Dans nos échanges en cellule de veille, nous avions déjà discuté des learning analytics [NDLR : à traduire par « analytique de l’apprentissage » ? L’article parle d’« analyse de l’apprentissage » ou d’« éducation par les données », mais ça ne me semble trop général], cette tendance technologique dont certains d’entre nous comprennions mal les applications. Or Hervé Guillaud d’InternetActu rapporte une entrevue d’Audrey Watters avec George Siemens de l’Université Athabasca qui m’a permis de mieux saisir de quoi il en retourne.
Siemens explique que toutes les institutions d’enseignement colligent de nombreux renseignements sur les étudiants, mais que peu est fait de cette information (à part des rapports annuels). Il compare avec l’utilisation que font les réseaux sociaux de toutes nos transactions dans ces services et pense qu’il y a là un potentiel pour mieux connaître les apprenants et adapter l’enseignement à leurs besoins particuliers : « Un programme intelligent devrait s’ajuster et s’adapter aux besoins de chaque apprenant. Nous n’avons pas besoin d’un cours pour 30 élèves. Chacun doit suivre son propre parcours… » Par ailleurs, ces analyses deviendraient de puissants outils d’aide à la décision pour les gestionnaires académiques : « …[N]ous ne savons pas précisément quelles pratiques d’enseignement doivent être freinées et quelles pratiques doivent être encouragées. Nous avons besoin d’outils, de moyens sur lesquels fonder les réformes éducatives incessantes… Les outils de mesure et d’analyse de l’apprentissage doivent avoir ce rôle. »
C’est qu’en plus des données traditionnelles collectées par les universités (« localisation, santé, cursus, assiduité, données socio-économiques… et bien sûr des résultats des élèves eux-mêmes »), le recours de plus en plus grand à des environnements d’apprentissage (ex: Moodle) permet de collecter de nouvelles informations, « notamment le temps passé sur une ressource, la fréquence d’affichage, le nombre de connexions »… [mes emphases] L’analyse de celles-ci pourrait ainsi fournir des informations précieuses sur les facteurs qui influencent le succès des apprenants :
- temps passé sur les tâches,
- assiduité,
- fréquence des connexions,
- position au sein du réseau social,
- fréquence des contacts avec des membres du corps professoral…
« Une grande partie de l’effort d’analyse actuel porte sur l’abandon, explique encore le spécialiste. Les outils d’analyses permettent de fournir des indications précoces quand les élèves sont en phase de décrochage ce qui permet d’avoir des interventions plus réactives permettant de considérablement réduire le taux d’échec des élèves. »
Un autre champ potentiel d’analyse : « Des outils d’analyse du discours, tels que ceux élaborés au Knowledge Media Institute à l’Open University au Royaume-Uni, sont également efficaces pour évaluer les attributs qualitatifs du discours, des discussions et le taux de contribution de chaque apprenant, explique encore le chercheur. »
Siemens aborde alors un domaine plus délicat d’investigation sur lequel se penche son groupe de recherche :
“Une autre zone de collecte de données possible porte sur les interactions sociales distribuées dans lesquelles s’engagent quotidiennement les étudiants par le biais de Facebook, des blogs, de Twitter et d’autres outils similaires. Bien sûr, les questions de confidentialité sont importantes ici. Cependant, comme nous l’étudions à l’Université Athabasca, les réseaux sociaux peuvent fournir de précieuses informations sur la façon dont les apprenants sont connectés les uns aux autres et à l’université. »
Siemens mentionne néanmoins que plusieurs questions fondamentales relative à la vie privée doivent encore être résolues avant de pousser plus loin ces recherches :
« Les discussions sur la propriété des données et leur confidentialité sont à la traîne en ce qui concerne l’analyse de l’apprentissage. Qui possède les données produites sur l’apprenant ? Qui est propriétaire de l’analyse de ces données? Qui arrive à voir les résultats de l’analyse? Quel degré de connaissance les apprenants doivent-ils avoir des données recueillies et analysées ?
Je crois que les apprenants devraient avoir accès au même tableau de bord d’analyse que les éducateurs et les institutions. L’analyse des données peut être un outil puissant dans leur motivation. »
Siemens rappelle par ailleurs que « l’analyse des données ne saura pas saisir certains éléments de l’apprentissage comme l’encouragement de l’enseignant, la valeur des interactions sociales informelles… » Et que les données doivent rester confidentielles, sans quoi elles ouvrent la porte à toutes sortes de scénarios de surveillance à la Big Brother : « Alors que je les vois comme un moyen d’analyse pour améliorer le succès des apprenants, des opportunités existent pour utiliser ces outils de mesure pour évaluer et critiquer la performance des enseignants. »
Source :
Guillaud, Hervé, « Les données peuvent-elles améliorer l’éducation ? », InternetActu.net, 6 septembre 2011
Je vois bien le potentiel important du « learning analytics », et je suis heureux de voir que les question de propriété des données – essentielles – sont abordées. J’ai cependant une réserve importante sur cette affirmation de Siemens citée dans le billet : « …[N]ous ne savons pas précisément quelles pratiques d’enseignement doivent être freinées et quelles pratiques doivent être encouragées. Nous avons besoin d’outils, de moyens sur lesquels fonder les réformes éducatives incessantes… Les outils de mesure et d’analyse de l’apprentissage doivent avoir ce rôle. »
C’est une affirmation qui semble faire table rase de toute la recherche en éducation. Il me semble bien que nous avons au contraire beaucoup de recherche sur laquelle appuyer des décisions, et notamment de la recherche de très bonne qualité ayant mené à des principes qui s’inscrivent dans le courant de la pratique fondée sur les données probantes en éducation. Cela dit, je n’ai nul doute que les learning analytics peuvent apporter de l’eau au moulin. Nous pourrions éventuellement en faire un projet avec Moodle. Je voulais seulement souligner que, contrairement à ce que semble affirmer Siemens, on ne part pas de rien. Mais bon, Siemens est un habitué des déclarations choc et des controverses… une de plus ou une de moins… 😉