Alors que je m’interroge sur ce qui suscite l’innovation (pédagogique ou autre), je tombe sur un article d’Alexis Riopel dans Le Devoir qui parle de l’importance de l’errance mentale, phénomène connu des chercheuses et chercheurs en neurosciences sous le nom de « Mind Wandering ». Riopel y interview notamment Nathan Spreng, directeur du Laboratoire de recherche sur le cerveau et la cognition de l’Université McGill, pour qui cette errance apparaît essentielle :
« Vous avez peut-être parfois l’impression de ne rien en retirer [du vagabondage mental] dans l’immédiat, mais il est important de laisser de la place à cette errance. Elle suscite des moments de lucidité. Vous pouvez faire des découvertes. Toute l’information était peut-être déjà dans votre tête, mais de nouvelles connexions sont établies et des idées créatives émergent. Ces moments où nous laissons notre esprit vagabonder sont très perturbés dans la société d’aujourd’hui. » (Nathan Spreng, cité dans Riopel, 8 juillet 2023)
Mais Riopel a surtout attiré mon attention vers les travaux du psychologue Jonathan Smallwood, chercheur à l’Université Queen’s et co-auteur en 2015 d’une importante revue de littérature sur l’errance mentale.
Alors que l’on sait que l’errance mentale peut perturber la mémoire et la compréhension, nuire au fonctionnement intellectuel et à l’exécution d’un grand nombre de tâches concrètes, ses avantages ont été nettement moins étudiés.
« M. Smallwood estime aujourd’hui que le vagabondage de l’esprit est rarement une perte de temps. Il s’agit simplement d’une tentative de notre cerveau d’accomplir un peu de travail lorsqu’il a l’impression qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à faire. » (Vernimmen, 2022, traduit avec Deepl.com). Smallwood a également acquis la conviction que le fait d’errer dans nos souvenirs est essentiel pour nous préparer à ce qui va suivre.
Au cours de ses recherches, Jonathan Smallwood a appris que les esprits malheureux ont tendance à errer dans le passé, alors que les esprits heureux songent souvent à l’avenir. Certains types de vagabondage, comme le fait de s’attarder sur des problèmes qui ne peuvent être résolus, peuvent cependant être associés à la dépression.
Une partie importante de la revue de littérature sur l’errance mentale est consacrée aux difficultés de l’appréhender… Outre l’absence de contrôle expérimental direct, la nature intime de l’errance mentale amène à une importante dépendance à l’égard de l’auto-évaluation par les sujets eux-mêmes. Souvent, les personnes participantes aux différentes études ne remarquent pas que leur esprit a vagabondé.
« Au lieu de faire des expériences où l’on demande simplement : “Est-ce que votre esprit vagabonde ?”, nous posons maintenant aux gens un grand nombre de questions différentes, comme par exemple : “Est-ce que vos pensées sont détaillées ? Sont-elles positives ? Vous distraient-elles ?” » (Smallwood, cité dans Vernimmen, 2022, traduit avec Deepl.com)
Les épisodes d’errement de l’esprit, conscients ou non, diffèrent par les situations dans lesquelles ils sont les plus susceptibles de se produire (par ex. lorsqu’une tâche est particulièrement répétitive), ainsi que par leur impact respectif sur les performances et l’activité cérébrale. Pendant le vagabondage mental, l’attention est souvent détournée de l’environnement externe, un processus connu sous le nom de découplage perceptif (perceptual decoupling). C’est évidemment la source de bien des dangers associés aux errements de l’esprit. « Dans les années 1990, des scientifiques ont remarqué que des zones du cerveau s’éteignent quand un sujet focalise son attention sur une tâche concrète à accomplir. En contrepartie, [d’autres] zones — qu’on appelle depuis 2001 le réseau du « mode par défaut » (MPD) [Default Mode Network] — scintillent d’activité lorsqu’on rêvasse, qu’on imagine l’avenir ou qu’on se plonge dans le passé. » (Riopel, 2023). Elles s’activent également lorsque l’on pense à soi-même et aux autres.
« Un contrôle efficace de l’attention améliore la capacité des individus à éviter l’errance mentale à des moments inopportuns […]. Il existe un certain nombre d’approches prometteuses pour minimiser les effets négatifs de l’errance mentale, comme l’entraînement à la pleine conscience, le développement d’une « méta-conscience » (meta-awareness) du contenu de ses pensées et la participation à des tâches « engageantes ». Une donnée de plus en faveur des méthodes actives?
« Unquestionably, participating in activities that encourage engagement in the task is one of the most effective ways to avoid mind wandering. For example, Szpunar & al. (2013b) found that interpolating periodic memory tests into an online lecture material markedly reduced mind wandering, which in turn led to improved retention of the lecture material. Other techniques that have increased individuals’ engagement with the material and thereby reduced mind wandering include offering motivational incentives (Antrobus et al. 1966, Mrazek et al. 2012b), increasing the intrinsic interest (Grodsky & Giambra 1990, Unsworth & McMillan 2013), and engaging in elaborative processing (Moss et al. 2013). » (Smallwood et Schooler, 2015)
L’humain, un animal social… même lorsque ses pensées vagabondent
« Les gens ont aussi très souvent l’esprit qui vagabonde à propos de situations sociales. C’est logique, car nous devons travailler avec d’autres personnes pour atteindre presque tous nos objectifs, et les autres personnes sont beaucoup plus imprévisibles que le soleil qui se lève le matin. » (Smallwood, cité dans Vernimmen, 2022, traduit avec Deepl.com)
« Je pense que les animaux qui se concentraient uniquement sur le présent ont été dépassés par d’autres qui se souvenaient des choses du passé et pouvaient se concentrer sur des objectifs futurs, pendant des millions d’années – jusqu’à ce que l’on arrive à l’humain, une espèce qui est obsédée par l’idée de prendre des choses qui se sont produites et de les utiliser afin d’obtenir une valeur ajoutée en vue d’un comportement futur. » (Smallwood, cité dans Vernimmen, 2022, traduit avec Deepl.com, puis adapté)
Mais y’a-t-il encore place pour ce vagabondage mental, alors que le moindre moment d’ennui nous porte presque instinctivement vers nos appareils électroniques?
« Ce qui est intéressant à propos des médias sociaux et du vagabondage [mental], c’est qu’ils peuvent avoir des motivations similaires. Le vagabondage est très social. Dans nos études, nous enfermons des personnes dans de petites cabines et nous leur faisons faire [certaines] tâches, et elles sortent toujours en disant : “Je pense à mes amis”. Cela nous indique qu’il est très important pour les gens de rester en contact avec les autres.
Les groupes sociaux sont si importants pour nous en tant qu’espèce que nous passons la majeure partie de notre temps à essayer d’anticiper ce que les autres vont faire, et je pense que les médias sociaux comblent en partie le vide que le vagabondage mental tente de combler. C’est comme si l’on s’abreuvait d’informations sociales : Vous pouvez essayer d’imaginer ce que fait votre ami, ou vous pouvez simplement le découvrir en ligne. Il y a cependant une différence importante : Lorsque vous vous promenez dans votre esprit, vous commandez vos propres pensées. Faire défiler les médias sociaux est plus passif. » (Smallwood, cité dans Vernimmen, 2022, traduit avec Deepl.com, puis adapté; nos emphases)
Ainsi, « [j]e crois qu’il y a un risque à ne jamais laisser nos esprits vagabonder », affirme Nathan Spreng… » (cité dans Riopel, 2023).
Sources:
Riopel, Alexis (8 juillet 2023), « L’esprit vagabond », Le Devoir, Montréal.
Smallwood, Jonathan et Jonathan W. Schooler (2015), « The Science of Mind Wandering : Empirically Navigating the Stream of Consciousness », Annual Review of Psychology, no. 66, pp. 487-518
Vernimmen, Tim (1er septembre 2022), « The Science of a Wandering Mind », Knowable Magazine, Annual Reviews, Palo Alto.