La professeure Teresa Amabile de la Harvard Business school est une experte en psychologie de la motivation et de la créativité au travail. Ses travaux démontrent que ces deux aspect de la psychologie du travail sont inséparables : les conditions qui suscitent la motivation sont des conditions qui suscitent la créativité.
Avec son collègue et conjoint Steven Kramer, elle vient de publier les résultats de plusieurs années de recherche sur la motivation et la productivité au travail dans un livre destiné au grand public intitulé The progress principle : Using Small Wins to Ignite Joy, Engagement, and Creativity at Work. En faisant mon jogging, j’ai écouté son entrevue accordée à l’émission en baladodiffusion (≈ 30 mins) LeaderLab qui résume son livre.
Le principe de progrès est tout simple : ce qui nous rend productifs, créatifs, motivés et engagés est de sentir du progrès dans un projet, aussi petit soit-il. Les petits gains réguliers sont plus forts que les grands gains espacés dans le temps. Inversement, les reculs et les obstacles au progrès ont un effet de 2 à 3 fois plus démotivant que l’effet motivant d’un petit gain. Ce principe s’appuie sur certaines conditions connexes : on doit travailler sur un projet qui nous intéresse, dont les objectifs sont clairs et qui représente un défi à notre mesure. Conclusion : il faut structurer le travail pour qu’il y a ait régulièrement de petits gains et minimiser les obstacles et les reculs (setbacks), et les gestionnaires ont un rôle essentiel à jouer dans la création des conditions favorables.
Deux types d’obstacles sont abordés plus spécifiquement : le manque de ressources pour faire avancer le projet et une pression temporelle élevée (qui est en fait un manque de la ressource « temps »). Une pression temporelle légère ou modérée, sous forme d’une échéance réaliste, est cependant bénéfique. Il faut une échéance, mais elle doit laisser suffisamment de temps pour envisager divers scénarios, consulter autrui et rassembler ses idées avant de livrer ce qui est attendu. Un contexte de pression continuelle ou élevée est délétère. De plus, il doit y avoir un contexte de « sécurité psychologique », où toutes les idées peuvent être exprimées et discutées sans critique destructive, qui permet d’explorer différentes avenues sans craindre d’être jugé.
Il est assez facile facile d’appliquer le principe de progrès à deux réalités du monde de l’éducation : la persévérance aux études supérieures et, dans une certaine mesure, celle aux études en FAD.
Le directeur de mémoire ou de thèse est la personne la mieux placée pour aider l’étudiant à structurer son projet de recherche en plusieurs étapes et sous-étapes assez petites pour que…
- l’étudiant fasse régulièrement des progrès, avec des échéances régulières, mais réalistes sur diverses étapes ou sous-étapes de son projet
- le directeur puisse mettre en évidence les progrès réalisés
- le suivi des ces étapes minimise les reculs et les impressions de blocage
- le directeur puisse recadrer les obstacles et les perceptions de reculs lorsqu’ils se produisent et diriger les efforts de l’étudiant vers un autre petit gain à réaliser
- le directeurs et les autres étudiants ou collaborateurs entretiennent un climat constructif et d’ouverture dans les échanges autour du projet de recherche
Les parcours et plans de formation aux études supérieures recherche de l’UdeS, tels que définis au règlement des études (4.3.3 et 4.3.4), vont clairement en ce sens. Le conseil principal de Joan Bolker aussi : écrire (ou récrire) pendant au moins 15 minutes chaque jour, même si on ne se sent pas inspiré, même si on ne trouve pas que ce que l’on écrit est bon. Ce 15 minutes par jour génère quotidiennement de petits gains continus.
Quant aux cours en FAD, on pourrait y intégrer les mêmes principes en faisant produire régulièrement de petits travaux donnant lieu à des rétroactions constructives où l’enseignant met en évidence les améliorations qu’il observe chez l’étudiant d’un travail à l’autre.
Il y a un lien évident à faire avec la « ludification » en éducation. Les mécaniques du jeu impliquent depuis longtemps cette notion que le joueur doit faire du progrès perceptible pour rester intéressé au jeu, et que les étapes à venir doivent être explicites et représenter un défi pour lequel les étapes précédentes du jeu l’ont cependant bien préparé.
Il y a aussi un lien avec l’apprentissage réflexif : par un questionnement réflexif bien ciblé, on peut amener l’étudiant à :
- identifier lui-même ses petits gains et ses obstacles
- identifier des solutions
- créer des conditions et des habitudes favorables aux petits gains
- réduire ou recadrer les reculs et les obstacles
Pour en savoir plus, on peut aussi consulter la vidéo de la conférence de Teresa Amabile chez Google (vidéo YouTube ≈45 minutes) dans leur série GoogleTalks.
Sources :
Baladodiffusion LeaderLab, épisode 0209, « Entrevue avec Teresa Amabile sur The progress principle ». Disponible à l’adresse http://theleaderlab.org/2011/09/0209-teresa-amabile/ Publié en septembre 2011.
Référence complète du livre : Teresa Amabile, Steven Kramer (2011), The progress principle : Using Small Wins to Ignite Joy, Engagement, and Creativity at Work,. Harvard Business Review Press. 272 pages.
Joan Bolker (1998), Writing Your Dissertation in Fifteen Minutes a Day : A Guide to Starting, Revising, and Finishing Your Doctoral Thesis, Holt Paperbacks. 208 pages.