Pédagogique

Créer les conditions pour que l’exposé magistral fasse apprendre

Nous avons collectivement publié plusieurs billets sur les limites de l’exposé magistral traditionnel comme activité d’apprentissage. Certaines interprétations du constructivisme condamnent cette méthode dite passive.

J’ai moi-même publié certains billets allant dans le même sens, ainsi que d’autres qui nuancent certaines de ces critiques en insistant sur l’appariement entre le niveau d’expertise et le type d’activité d’apprentissage. La position nuancée étant que l’instruction directe, incluant les exposés magistraux, peut être une excellente activité d’apprentissage dans certaines conditions. La grande question est : quelle sont ces conditions? On sait que le niveau d’expertise (les connaissances antérieures de l’apprenant) est en jeu, mais des précisions seraient utiles.

Lors du colloque de la SAPES en juin 2012, deux présentateurs ont évoqué un article de 1998 qui apporte d’excellents éléments de réponse. Je l’ai donc lu avec grand intérêt. Il s’agit de A time for telling, de Daniel Schwartz et John Bransford. Les auteurs ont la conviction que l’enseignement magistral a encore sa place… dans la mesure où on lui accorde la bonne place.

The goal of this article is to begin a theoretical and empirical exploration of when to use texts, lectures, and explanations within the total repertoire of instructional methods. These experiments demonstrate that, when students have had an opportunity to generate well-differentiated knowledge about a domain, then teaching through a lecture or text can be an extremely effective form of instruction. This research is important because it focuses explicitly on the degree to which there are points of knowledge development that are indicative of a “time for telling” or a “readiness” for being told something.

[…] Elsewhere (CTGV, 1997), we conjectured that there are times for telling. One occurs when students enter a learning situation with a wealth of background knowledge and a clear sense of the problems for which they seek solutions. [Mes emphases]

Ils rapportent les résultats et analyses de trois expériences où ils ont cherché à identifier une façon de préparer des étudiants à tirer pleinement parti d’un exposé magistral pour développer une compréhension en profondeur du sujet abordé. Spécifiquement, ils ont cherché à savoir quels types de connaissances antérieures sont requises pour bien préparer à apprendre d’un exposé magistral.

La méthode la plus efficace, et de loin, pour favoriser un tel apprentissage en profondeur serait de faire analyser des « cas contrastants » (contrasting cases) par les étudiants avant l’exposé, et d’utiliser l’exposé pour brosser le portrait global des fondements théoriques ou principes sous-jacents. Voici un extrait du résumé :

Suggestions for improving text understanding often prescribe activating prior knowledge, a prescription that may be problematic if students do not have the relevant prior knowledge to begin with. In this article, we describe research about a method for developing prior knowledge that prepares students to learn from a text or lecture. We propose that analyzing contrasting cases can help learners generate the differentiated knowledge structures that enable them to understand a text deeply. Noticing the distinctions between contrasting cases creates a “time for telling”; learners are prepared to be told the significance of the distinctions they have discovered.

Cette méthode de préparation suivie d’exposés magistraux donne des résultats supérieurs aux trois méthodes contrôle, même celles dites génératives. Les méthodes contrôle sont les suivantes :

  • Lire sur des cas contrastants et écouter un exposé magistral.
  • Résumer un texte pertinent et écouter un exposé magistral.
  • Analyser les cas contrastant à deux reprises sans exposé magistral.

La dernière condition contrôle permet de confirmer que dans ce scénario, l’exposé est essentiel pour compléter l’apprentissage : l’analyse seule de cas contrastants n’est pas suffisante.

Pour évaluer l’apprentissage en profondeur, les sujets étaient testé après les activités d’apprentissage avec des tâches de prédiction s’appuyant sur les principes étudiés. Cette tâche mesure le transfert des apprentissages à des situations inédites, et indique donc la compréhension en profondeur. Le nombre et la qualité plus élevés des prédictions témoigne d’un apprentissage plus en profondeur.

Les lectures et l’enseignement magistral sont donc bénéfiques quand les apprenants ont commencé à intégrer des connaissances différenciées, car ils permettent d’y donner un sens en expliquant les phénomènes à l’origine des différences. Les auteurs font une analogie avec une histoire de détective.

[…] the “Detective Story” approach. In this approach, experts view their explanations as something like the solution to a good detective story. They treat an example as something to be explained rather than as the thing that explains the experts’ theories. The generativity of the reader occurs in seeing how the experts’ explanations illuminate the examples. The text becomes the solution to a puzzle. Of course, for a text to provide the solution to a puzzle, readers must know the puzzle pieces at a fairly precise level. If readers have only a general knowledge of the pieces, then any method of fitting them together will seem adequate, and there will be little generative activity dedicated to determining whether the expert’s explanations join the pieces snugly. If the details are known, however, readers can actively determine whether the explanation joins the edges of the pieces adequately. We believe contrasting cases can do such a good job of creating a time for telling because they help novices to discern the distinctive features of the puzzle pieces. This differentiated knowledge makes the “fitting together” done by the expert detective all the more compelling, and it provides the background for understanding deeply because the appropriate distinctions have been made by the learners. As a consequence, learners are better able to grasp the significance of what the expert has to say.

On peut donc se réconcilier avec l’enseignement magistral : il est un excellent outil quand on s’assure que les apprenant ont le bagage nécessaire pour en tirer le meilleur parti.

Source

Schwartz, Daniel L., & Bransford, John D. (1998). A Time For Telling. Cognition and Instruction, 16(4), 475-5223. doi: 10.1207/s1532690xci1604_4

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