Pédagogique

Images en enseignement: intégrer l’affectif dans l’appréhension du monde

Pour la planification et la préparation d’un atelier sur l’utilisation d’images en enseignement à venir en 2020-2021, l’exploration de divers articles scientifiques s’avère riche de pistes intéressantes…

Différentes manières d’intégrer l’utilisation d’images à un cours

Ainsi Elaine Mowat désire valoriser l’utilisation de SCRAN, un dépôt d’images, de sons et de films associé à Historic Environment Scotland. Dans ce cadre, elle présente différentes façons d’utiliser les images dans un cours, soit pour…

  • les présenter en tant que matériel à étudier: ici Mowat rappelle que le matériel de cours est généralement constitué de textes écrits (sauf dans certaines disciplines comme la médecine ou l’histoire de l’art), mais que les images permettent d’accéder à d’autres dimensions de la réalité étudiée. Elle pense notamment à l’histoire et aux sciences sociales, donnant l’exemple d’une série de photos de personnel médical au début du XXe siècle, où la mise en place des différents acteurs laissent entrevoir des relations sociales bien établies. Elle souligne que « we learn through different sensory modalitites and the more senses are involved in a experience, the more likely it will be remembered ».
  • stimuler les interactions sociales et les discussions: « Using images as a stimulus for conversation and reminiscence tends to elicit particularly rich and personal responses ». Se basant sur le constructivisme, Mowat suggère aux enseignantes et enseignants de mettre de l’avant des activités qui permettent à chaque personne étudiante de développer sa propre conception d’un sujet et d’en discuter avec ses pairs. Des exemples:
    • activité brise-glace où chaque personne choisit une image à partir d’une présélection et explique la raison de son choix,
    • débat « pour ou contre » ou remue-méninges à partir d’images,
    • activités de comparaison ou de mise en ordre chronologique,
    • séminaire à partir de commentaires sur images,
    • image de la semaine résumant la matière abordée que chaque étudiant doit commenter ou répondre à des questions de l’enseignant sur une plateforme partagée, etc.
  • soutenir les travaux des apprenantes et apprenants: les personnes étudiantes peuvent évidemment accéder directement aux banques d’images pour illustrer un travail, compléter un portfolio ou un projet. Mowat suggère des activités pratiques d’analyse d’images, de comparaisons ou de mise en ordre chronologique ou de déconstruction d’images. Elle donne l’exemple d’un gabarit développé par la chargée de cours Christina Lee qui enseigne les études vikings à l’Université de Nottingham. Les étudiants choisissent différentes images et les annotent, ce qui produit autant de documents à partager avec le reste du groupe et avec l’enseignant.
  • favoriser la réflexion: Mowat suggère aux personnes enseignantes d’encourager les étudiantes et étudiants à nourrir leurs journaux d’apprentissage et journaux personnels d’images numériques qu’ils peuvent intégrer et organiser ou manipuler au besoin, notamment en sciences sociales. Cette citation d’un étudiant apparaît particulièrement convaincante: « Building my own set of pictures has certainly helped me to understand ideas of race and to make my own responces. »
  • susciter l’intérêt et le plaisir (motivation): le plaisir suscité par la consultation de photos ou d’illustrations peut se transposer en davantage de motivation à étudier. Mowat évoque la grande satisfaction ressentie lorsque l’on trouve une image qui « colle » à ce que l’on veut illustrer… Elle rappelle que la polysémie des images peut expliquer en partie ce plaisir:

« …Clearly each user brings their own meaning and significance to an image depending on their own particular interests, expertise and prior experiences. This is an important aspect of what makes images such powerful and flexible learning materials. Depending on the context and the user, any one image can have a multitude of potential meanings and uses. »

Vers une matrice pour l’analyse des images

Chargé de cours à la retraite de l’Université finlandaise de Jyväskylä, Markku Käpylä enseignait la didactique des sciences à de futurs maîtres du primaire. S’il déplore le peu d’utilisation des images qu’il constate dans l’enseignement des sciences au primaire, il estime qu’il faudrait d’abord enseigner aux futures enseignants à « lire » les images…

…[P]ictures are rarely used in teaching in spite of their abundance in textbooks (see also Pozzer & Roth, 2003) and “reading” of pictures is not explicitly taught. Student teacher’s ability to use pictures for teaching purposes is poor. Perhaps teachers and students think that the ability to “read” pictures is inherent and easy (Solomon, 1984). However, the skill of picture comprehension develops as slowly as text comprehension and it must be deliberately taught (e.g. Pozzer-Ardenghi & Roth, 2005). There are very few efforts to develop learning strategies from illustrations (Schlag & Ploetzner, 2011). Almost without exception teaching is directed to lear-ning predetermined content in a predetermined way. The emphasis is on factual content. [notre emphase]

L’intérêt de l’article de Käpylä, c’est qu’il précise les forces et les limites de l’utilisation des images en enseignement.

  • « Apparemment, les images ont un effet positif important sur le rappel des choses, mais pas nécessairement sur la compréhension. Les concepts abstraits sont plutôt appris à partir de textes que d’images, et les images ne favorisent pas nécessairement l’apprentissage des concepts (Reid 1990a ; 1990b ; Rasch & Snotz, 2009). » [nos emphases]
  • « L’effet des images en enseignement dépend également des capacités cognitives des étudiants. Les étudiants aux aptitudes supérieures à la moyenne profitent des images, mais l’apprentissage des étudiants aux aptitudes inférieures à la moyenne est entravé. […] …Les images perturbent la concentration sur le texte des élèves aux capacités inférieures à la moyenne (Hannus, 1996 ; Reid, 1990b). Une explication possible se trouve dans la théorie de la charge cognitive : les images représentent une charge cognitive étrangère, ce qui signifie une diminution de capacité de la mémoire de travail (Cook, 2006). » [nos emphases]
  • « Les couleurs rendent indéniablement les images plus intéressantes, mais ne favorisent pas nécessairement la compréhension. On voit plus de détails dans les images colorées… […]. Un résultat indésirable est que les couleurs attirent souvent l’attention sur des détails qui n’ont pas d’importance scientifique (Reid, 1990a ; Reid & Miller, 1980). Dans de nombreux cas, les dessins aux traits simplifiés favorisent mieux l’apprentissage que les images détaillées en couleur. » [nos emphases]
  • « Hannus (1996) a constaté que les détails donnés uniquement dans les images n’étaient pas du tout appris, d’où la nécessité d’expliquer l’image dans le texte. Pour faciliter la construction du sens, il est important de placer le texte et les images à proximité l’un de l’autre (Florax & Ploetzner, 2010) et que la légende de l’image donne des indications pour la lecture et l’interprétation de l’image (Pozzer-Ardenghi & Roth, 2005). » [nos emphases]

Käpylä explique bien la puissance motivationnelle des images, notamment parce que certains aspects de leur interprétation sont éminemment personnels et subjectifs, associés à nos expériences passées…

  • « L’expérience humaine est considérée comme un tout, corporel et multisensoriel (Lefebvre 2002, p. 33 ; Pink, 2011). Dans l’expérience, les informations de tous les sens sont fusionnées. L’expérience sensorielle en tant que telle ne contient pas de significations, qui sont construites dans l’esprit des gens. Cependant, ce qui est perçu et compris dépend de connaissances et d’expériences antérieures. » [nos emphases]
  • « La photographie est un moment capturé dans le flux continu du temps. L’interprétation de l’image est utile car elle nous permet de prendre du recul et d’adopter un point de vue théorique. […] De nombreuses significations personnelles et sociales, que nous utilisons pour “lire” les images, ne sont pas réellement visibles dans l’image. […] Les gens doivent délibérément faire un choix et exclure une masse de détails pour comprendre les principales caractéristiques de l’image et les processus de réalité sous-jacente. Cela implique de replacer les informations dans un contexte plus large. » [nos emphases]
  • « Les enseignants sélectionnent les images pour plusieurs objectifs éducatifs, qui peuvent être grossièrement divisés en deux catégories : cognitifs (liés au contenu) et affectifs (liés aux sentiments et aux significations personnelles ou sociales). […] Selon Hannus (1996), les principales fonctions affectives sont 1) d’évoquer des sentiments propices à l’apprentissage, et 2) de transmettre des attitudes et des valeurs. Les principales fonctions cognitives consistent à 1) diriger l’attention, 2) faciliter la mémorisation et 3) accroître la compréhension. » [nos emphases]

Partant de ces catégories affectives et cognitives, Käpylä propose une grille d’analyse « phénoménologique » des images. Il se base d’abord sur les travaux de l’historien de l’art Erwin Panofsky:

  • « L’historien de l’art Erwin Panofsky est la personne qui a le plus contribué à développer l’idée de couches [layers] dans la perception des images (peintures). Ses trois couches (sujets et significations unis) sont (Panofsky, 1972 : 3-17) : (1) Sujet primaire ou naturel, (2) Sujet secondaire ou conventionnel : personnifications, motifs, images, etc., (3) Signification intrinsèque du contenu : la découverte et l’interprétation des valeurs symboliques, l’attitude fondamentale d’une nation, d’une classe ou d’une période. »
  • Influencés par Panofsky, des géographes ont développés une autre grille pour l’analyse de paysages: « Karjalainen et Raivo (1995) divisent le paysage ou l’environnement en trois couches de vision : (1) La couche objective est formée par les objets concrets [couche impersonnelle]; [2] La couche subjective est notre expérience sensuelle personnelle et les sentiments suscités par l’objet [couche personnelle] ; (3) La couche représentative est formée par les significations culturelles, les messages et les symboles [couche interpersonnelle]. Dans cette classification, le sujet objectif est séparé des significations personnelles et sociales. La classification peut être la même que l’objet soit réel ou qu’il s’agisse d’une image. Cette classification est très utile et informative dans l’enseignement et elle est assez facilement comprise par les étudiants. »
  • Au fil du temps, Käpylä a développé une matrice intégrant ces différentes dimensions pour faciliter l’analyse d’images par les étudiantes et étudiants:
Domaine cognitifDomaine affectif
Observations directesObjets directement observés
et détails
Attitudes et sentiments immédiatement suscités par l’image
Observations indirectesInterprétations à partir des structures de connaissances (ex: classifications animales selon les espèces, etc.)Attitudes, significations et symboles socialement déterminés

« Avec [cette matrice], je souhaite également souligner l’importance de tenir compte du domaine affectif autant que du domaine cognitif dans l’enseignement des sciences. Il permet de relier les émotions et les significations personnelles et sociales aux connaissances et structures de connaissances factuelles. De cette façon, il est plus facile de donner un sens personnel à l’apprentissage et d’augmenter la possibilité de structures de connaissances plus durables. […] Des recherches sont nécessaires pour révéler l’effet des approches affectives sur la mémorisation et la compréhension. »

*Les citations en français dans ce texte ont été traduites avec le logiciel en ligne Deepl.com, puis ajustés.

Sources:

Käpylä, Markku, « A Phenomenological view of pictures in teaching and novel method of analysing them », Nordic Studies in Science Education, octobre 2014, vol.10, no 2, 231

Mowat, Elaine, « Teaching and Learning with Images », VINE, vol.32, no 3, 2002, pp. 5-13

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À propos de l'auteur

Jean-Sébastien Dubé

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