« Se repérer dans l’incertitude, c’est savoir se perdre dans la complexité »
Cogito, le magazine de la recherche de SciencesPo annonçait fin juin 2021 la parution d’un livre basé sur un programme des plus intéressants dans le contexte actuel de polarisation des opinions : Controverses mode d’emploi (Presses de Sciences Po, janvier 2021), basé sur l’expérience du programme Forccast (Formation par la cartographie des controverses à l’analyse des sciences et des techniques) qui a eu cours de 2012 à 2020.
« …[L]a notion de controverse [est] encore discutée dans les sciences sociales : quand certains en font une étape dans la construction d’un fait scientifique, d’autres insistent sur les dynamiques de mobilisation publique ou appellent à porter un regard plus critique. » Pour le sociologue Harry Collins, la controverse est « un moment de confrontation des méthodes et de dialogue plus ou moins civilisé, une étape participant à la construction collective d’un fait scientifique, obtenu alors qu’une communauté parvient à un consensus. »
Les objectifs du programme Forccast se situaient à deux niveaux:
- témoigner de la fécondité de l’analyse des controverses comme méthode pédagogique et comme outil citoyen. Un des auteurs explique que son équipe et lui ont « choisi de présenter un « mode d’emploi » dans cinq cas d’enquête qui montrent la diversité des controverses et les méthodes qui permettent de les appréhender ». Les cas d’enquête présentés dans l’ouvrage sont les suivants:
- l’augmentation de la présence de rats à Paris;
- le phénomène du burn-out et sa reconnaissance comme maladie professionnelle;
- le glyphosate et ses seuils d’acceptabilité,;
- le projet d’aménagement de la forêt sauvage de Romainville et la question de la nature en ville;
- les forages en eaux profondes qui témoignent des liens entre exploration scientifique et exploitation industrielle.
- former des enseignants du secondaire comme du supérieur à la cartographie des controverses et animer des ateliers de sociologie populaire des controverses; autrement dit « permettre au plus grand nombre de se repérer en situation d’incertitude »/ « former différents publics à l’exploration des controverses contemporaines, suscitées par la prolifération massive des innovations scientifiques et techniques »
Le texte mentionne que « [l]es apprenants [du programme Forccast] venaient d’horizons divers : Sciences Po, grandes écoles d’ingénieurs, universités, lycées… Tous ont été formés aux méthodes pour se repérer dans l’incertitude, notamment sur les questions pour lesquelles les experts sont divisés et la production de connaissances non stabilisées. »
D’un point de vue pédagogique, le programme Forccast reposait notamment sur l’enquête et sur divers modes de restitution des renseignements collectés par les personnes étudiantes.
« L’enquête n’est pas spécifique à l’analyse de controverses, ni même aux sciences sociales, elle partage ses méthodes avec d’autres disciplines. Sa pratique traverse aujourd’hui la société, de la recherche aux arts, du journalisme à l’activisme, de la pédagogie à la création. Elle est un outil politique et une méthode formelle pour appréhender un monde de plus en plus complexe et incertain. À l’école et à l’université, l’enquête est porteuse d’expérimentations qui inspirent la joie d’apprendre ensemble, valorisent les savoirs en train de se faire et transforment la relation pédagogique. Menée par des citoyen·ne·s dans le monde social, elle devient un levier d’empowerment pour construire des versions polyphoniques des problèmes contemporains, collectifs et individuels. »
Les modes de restitution de ces enquêtes étudiantes évoqués sont [nos emphases]:
- « l’écriture numérique et la production de sites web sociologiques, dont le principe même, celui de l’hyperlien, offre une traduction technologique au principe de la mise en relation, qui est au cœur de la cartographie des controverses. »
- « la simulation de débats, qui incarne et rejoue, par le biais de la performance, la matérialité et l’hétérogénéité d’une controverse. »
- les auteurs proposent également « un aperçu de ce que la création artistique peut apporter à l’analyse de controverses ».
Le site Web La prolifération des controverses donne accès à plusieurs éléments pour bien comprendre la démarche et devrait héberger l’ensemble du livre dès 2022 (plusieurs sections sont déjà disponibles pour consultation). On y mentionne également que depuis fin 2020 « un centre d’exploration des controverses prolonge les actions de Forccast au sein de l’Institut des compétences et de l’innovation de Sciences Po. »
Il me semble y avoir là un point de vue pédagogique fort rafraîchissant quant au travail en sciences humaines…
Source: Vairelles, Amélie, « Controverses, mode d’emploi », Cogito, le magazine de la recherche, SciencesPo, 29 juin 2021