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Plaidoyers pour la qualité de vie des professeurs

Dans Le Devoir du 17 septembre dernier, Pauline Gravel publiait un article intitulé « La grande désillusion. Les professeurs d’université broyés par la recherche de financement et le multitâche ». On y parle des pressions croissantes sur les professeurs d’universités, particulièrement ceux qui sont en début de carrière.

« Les jeunes chercheurs doivent s’établir en recherche, monter de nouveaux cours […] et participer à de nombreux comités, alors qu’ils sont souvent parents de jeunes enfants », fait remarquer Mme Leclerc. «Plusieurs se plaignent de manquer de temps pour produire un travail à la hauteur de leurs attentes, ce qui est une source de frustration », ajoute M. Bourassa.

La journaliste cite différentes études qui témoignent d’une hausse de la prévalence de la détresse psychologique chez les professeurs d’université, par exemple :

Dans l’enquête menée par Brun, Biron, Martel et Ivers en 2003, 43 % des répondants avaient déclaré « vivre un niveau élevé de détresse psychologique », comparativement à 20 % dans la population québécoise.

Plus récemment, en 2008, une enquête de la Fédération québécoise des professeurs et professeures d’université (FQPPU) a révélé que 31 % des répondants ont songé sérieusement à quitter leur emploi pour des motifs d’insatisfaction au travail et 26 % ont mentionné avoir vécu un problème de santé psychologique lié au travail ou à ses conditions.

Dans le cadre d’une enquête réalisée par des chercheurs de l’Université Saint Mary’s, à Halifax, sur le stress professionnel parmi le personnel enseignant universitaire au Canada, 24 % des répondants ont avoué éprouver des troubles d’ordre psychologique typiquement associé au stress et 22 % d’entre eux ont même consulté un médecin ou eu recours à des médicaments.

Pauline Gravel donne d’autres statistiques, comme la multiplication par 6 des taux d’absentéisme pour troubles d’ordre psychologique entre 2004 et 2012 à l’Université Laval. Elle mentionne également certains travaux des professeurs Chantal Leclerc et Bruno Bourassa de l’Université Laval, qui concluent notamment que « Le stress serait davantage attribuable aux contraintes de la recherche qu’à celles de l’enseignement. » (Leclerc, Bourassa et Macé, 2016).

Pourtant, cela ne signifie pas que la charge d’enseignement est exempte de problèmes. Chantal Leclerc souligne que les coupures budgétaires dans les universités ont mené à une augmentation de la charge d’enseignement des professeurs pour compenser le fait que l’on engage moins de chargés de cours. Par ailleurs, on déplore que l’enseignement soit moins reconnu que la recherche dans la carrière des professeurs.

Un participant de cette enquête se désole que la subvention de recherche soit devenue une fin en soi plutôt qu’un moyen. D’autant plus qu’il y a de plus en plus de chercheurs en compétition pour les mêmes subventions et que les attributions sont de plus en plus concentrées entre un relativement petit nombre de chercheurs qui se partagent de gros montants. Une approche critiquée par le sociologue des sciences Yves Gingras : « Il est complètement absurde d’évaluer des chercheurs selon les subventions qu’ils ont reçues, d’autant plus que le taux de succès des demandes est très bas, car certains chercheurs dirigent des étudiants et publient des articles intéressants avec très peu de subventions ».

Il ajoute plus loin : « À cause de la pression de l’évaluation, il y a une tendance à privilégier la publication d’articles au détriment de livres, qui, dans certaines disciplines, sont pourtant beaucoup plus importants et nécessaires. »

L’article se termine sur une citation de Chantal Leclerc : « Si les professeurs d’université ne peuvent plus se donner le temps de penser, de réfléchir, de fouiller leur sujet en profondeur, qui le fera? »

Si l’article se concentre sur la situation au Québec, cette pression sur les professeurs semble exister aussi au Canada anglais (et, on peut présumer ailleurs en occident) selon les auteures du livre The Slow Professor: Challenging the Culture of Speed in the Academy. En réaction à ce qu’elles appellent la corporatisation de l’université, elles prônent l’adoption des principes du mouvement Slow (comme dans Slow Food). Plusieurs auteurs en avaient traité avant, dont Normand Baillargeon.

Dans un article de NPR sur ce livre, on peut lire des constats similaires à ceux de Pauline Gravel :

Working at corporate universities, professors often become “beleaguered, managed, frantic, stressed, and demoralized,” Berg and Seeber say. It’s as if there can never be enough product generated (grants, jargon-laden documents about students’ learning outcomes, committee white papers) in the hours available.

Moira Farr aborde le même livre dans un numéro d’Affaires universitaires / University Affairs. Extrait de son entrevue avec les auteures :

Over the last two decades, we’ve seen increases in class sizes, the casualization of academic labour, administrative bloating, the shift toward quantification of our time and our output. Pressures to publish, new technology, the downloading of tasks and the confusion it creates – these all have led to a situation where we spend less time talking face-to-face with each other and more time multitasking.

Mais elles proposent aussi des solutions concrètes. Selon l’article de NPR :

Professors can say no without guilt to endless university committee assignments; refuse to buy into the ethic of overwork; talk 1:1 with colleagues in the hall instead of going online to connect; recognize that shared positive emotion, emerging from thoughtful engaged discussion in the classroom, boosts learning.

Encore faut-il que le milieu accepte cette réduction du rythme.

Sources:

Pauline Gravel (17 septembre 2016) « La grande désillusion. Les professeurs d’université broyés par la recherche de financement et le multitâche»  Le devoir.

Chantal Leclerc, en collaboration avec Bruno Bourassa et Christian Macé (2016) « Dérives de la recherche et détresse psychologique : une recherche qualitative » magazine Découvrir. ACFAS.

Barbara J.. King (2016) « Resisting The Corporate University: What It Means To Be A ‘Slow Professor’ ». NPR.

Moira Farr (2016) « The slow professor ». University affairshttp://www.universityaffairs.ca/features/feature-article/the-slow-professor/

Maggie Berg & Barbara Seeber (2016) « The slow professor: challenging the culture of speed in the academy ». University of Toronto Press. 128 pages.

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Éric Chamberland

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