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Des gestes barrières pour développer sa citoyenneté numérique

Dans son programme-cadre Éducation à la Citoyenneté Numérique, le Conseil de l’Europe (CE) propose trois dimensions à la citoyenneté numérique :

  • être en ligne,
  • bien-être en ligne et
  • savoir devenir en ligne.

Pour Divina Frau-Meigs, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Paris III et membre du groupe d’experts sur l’éducation à la citoyenneté numérique du CE, ces trois dimensions peuvent, métaphoriquement, être l’équivalent numérique des trois gestes barrières pandémiques : se laver les mains, porter un masque et apprécier la bonne distanciation.  En les appliquant à la situation de confinement, les parents et les enseignants peuvent eux-mêmes les tester avec les jeunes et les enfants, face aux divers écrans, en équilibrant toujours les opportunités et les risques, pour garder la curiosité de l’apprendre. [notre emphase]

En réalité, les gestes barrières s’appliquent aussi pour les « grands enfants » et pas uniquement les enfants.

Être en ligne (se laver les mains)

Bien sûr, on se lavait les mains AVANT la pandémie mais moins longtemps et moins souvent.  Maintenant, il faut le faire avec une certaine méthode et aussi souvent que possible.

Bien sûr, AVANT le numérique, on faisait des recherches documentaires, on lisait et on écrivait.  Maintenant, il faut le faire autrement. 

Lire de l’information en ligne exige des stratégies beaucoup plus poussées qu’une simple recherche sur l’auteur : il faut ouvrir des onglets, vérifier des URL, croiser des infos sur divers médias…  On réalise si on se met à plusieurs qu’une même recherche d’info produit des résultats différents selon l’historique de recherches documentaires chaque personne : en effet, les moteurs de recherche « profilent » les utilisatrices et les utilisateurs.  Je découvre dans cet article deux moteurs de recherche avec des retombées environnementales Lilo (pour financer un projet) et Ecosia (pour planter des arbres).  Étonnant et intéressant.

Écrire en cette ère numérique est devenu un geste médiatique, créatif et complexe qui fait appel à plusieurs stratégies de littératie médiatique : choix des caractères (taille, police, couleur…), insertion d’hyperliens (ce qui permet non seulement d’éviter le plagiat et la désinformation mais également de faire une connexion entre la source et la destination), édition et contribution. C’est ce qui est le cas pour toutes les personnes qui contribuent à Wikipédia.

Bien-être en ligne (porter un masque)

Le port du masque sanitaire permet de se protéger et de protéger les autres.  Le bien-être en ligne consiste à se protéger de la manipulation des émotions que génèrent les infox, les discours haineux et le cyberharcèlement.  Le filtre le plus efficace est l’éthique, qui repose sur une démarche de réflexion.  En effet, prendre un moment de réflexion sur ses propres émotions et sur ses biais cognitifs avant d’aimer (like) une information, d’en poster une ou d’en relayer une peut contrer la manipulation émotive et ainsi éviter de participer à la polarisation de positions ou à la radicalisation d’opinions, par exemple.

Selon Frau-Meigs, [q]uand on a des doutes sur une information, toutes sortes de filtres sont possibles. Le premier filtre est de ne pas la transmettre, pour revenir de nos émotions, comme le suggère l’initiative canadienne « prends 30 secondes avant d’y croire ». Cela laisse le temps à l’esprit critique de reprendre le dessus et de se poser les questions de base :

  • Ce compte pousse-t-il des contenus sensationnels ?
  • Dénigre-t-il régulièrement les médias de référence ?
  • Amplifie-t-il des propos haineux ?

Elle mentionne des outils de vérification : InVID,  AFP factuel et vrai ou fake, ainsi que des tests en ligne à faire pour mieux connaître ses « fragilités émotives » face à certains types d’informations à haut potentiel de viralité.  Les études sur la viralité montrent à quel point les fausses informations connaissent une forte amplification sur une période de temps très réduite. En outre, les sujets abordés sur les comptes non fiables sont liés à des questions clivantes, ce qui valide le rôle des émotions comme contagion empathique « à chaud ».

Savoir devenir en ligne (apprécier la bonne distanciation)

La distanciation en ligne est essentiellement une question de cybersécurité.  Elle passe, entre autres choses, par des gestes qui réduisent le traçage des activités en ligne afin de protéger la vie privée des utilisatrices et utilisateurs : aller sur des moteurs de recherche qui ne tracent pas – Qwant junior ou DuckDuck go, par exemple – ou encore faire le réglage de paramètres de sécurité sur leurs médias sociaux ou désactiver leur localisation – le mode Ghost sur Snapchat). Facebook s’y met aussi avec Facebook Container, une extension de navigateur qui isole l’identité des internautes de Facebook et Instagram dans un onglet séparé, rendant le suivi des activités plus difficile à tracer.

Un autre geste consiste à signaler des contenus ou des comportements douteux, voire illicites, lors de l’utilisation d’internet.  Au Canada, les signalement peuvent se faire au Centre canadien pour la cybersécurité.  Par ailleurs, le Gouvernement du Canada a lancé la campagne nationale de sensibilisation à la sécurité en ligne, PENSEZCIBERSECURITÉ.CA, et offre sur le site de la campagne des gestes barrières à poser pour se protéger en ligne.   

La gestion de son temps en ligne constitue également un geste barrière, car [c]onsommer de la désinformation génère du trafic et du profit, souvent aux dépens du consommateur non averti. […] Le choix des informations qui nous sont montrées est aussi important que le choix des informations collectées. Ces données en ligne sont de l’or pour de nombreuses entreprises qui sont prêtes à payer pour la valeur marchande des profils d’usagers, que ce soit pour leur vendre des produits, des services ou des opinions politiques, notamment lors d’élections où le pistage et le ciblage préélectoral deviennent des enjeux clés.

L’écriture créative et contributive, du type réfutation ou contre-argumentation […], ce qui permet d’assainir les biens communs de l’information peut être un geste barrière actif selon Frau-Meigs.

Enfin, la professeure suggère la production d’une simple liste papier (mais oui, papier!) contenant une liste de vérification (checklist) et quelques outils numériques pour ne pas perdre de vue les gestes barrières. Elle pourrait être postée bien en évidence dans certains endroits critiques de la maison ou du bureau.

Cet article est un excellent rappel qu’il est possible de garder un certain contrôle sur nos activités en ligne et, ce faisant, devenir des citoyennes et des citoyens numériques avertis.

Source

Frau-Meigs, Divina.  Réseaux numériques : trois gestes barrières à cultiver en familleThe Conversation-France.  27 décembre 2020.

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À propos de l'auteur

Sonia Morin

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