Pédagogique Technologique

Influence des graphiques sur la pensée systémique

Je m’intéresse à la place de l’image dans nos communications de plus en plus multimédia. D’où ma lecture et ma volonté de résumer ce texte du géographe Christian Grataloup, qui date déjà de 1996…

L’auteur trace la petite histoire de l’intégration progressive des graphiques dans les livres et manuels scolaires au XXe siècle, notamment en sciences sociales. C’est l’occasion pour lui de réfléchir à l’évolution des rapports entre le texte et les images, qui prendront peu à peu de l’autonomie au lieu de simplement illustrer le propos écrit, comme le faisaient autrefois les cartes.

Si les graphiques servent d’abord à faciliter la lecture de tableaux statistiques de plus en plus complexes (de l’économétrie à la démographie: « C’est en effet pour rendre compte de populations que furent inventés les graphiques. »), visant d’abord à appuyer la crédibilité des sciences sociales sur l’autorité quantitative, ils en viennent peu à peu à « expliquer » par l’image avec l’ajout de flèches, de couleurs, de symboles… Dans les notes en marge de Grataloup, on lira « Passage illustré de la description à l’explication » et « La diffusion d’une théorie s’avère beaucoup plus aisée en image. »

…[L]a différence entre les ouvrages de naguère et ceux d’aujourd’hui ne réside pas seulement dans la quantité et la couleur, mais plus profondément dans la nature des logiques sous-jacentes. Les illustrations anciennes ne sauraient être que factuelles, informatives (volume et répartition des importations et des exportations, évolution d’une population…). On peut faire le même constat pour les cartes, mais pas pour le texte. Certes, récits et descriptions y tiennent une place essentielle, supérieure à ce qui est la leur aujourd’hui, mais l’explication n’est jamais absente. […]

Le basculement, dans les manuels de sciences économiques et sociales ou d’histoire-géographie, se fait dans les années soixante-dix. […] Surtout apparaissent de nouvelles représentations graphiques. Aux finalités de description (rôle de la plupart des cartes comme des photos), de comparaison (diagrammes circulaires ou en barre) et de récit (frises et tous graphiques introduisant le temps, en particulier les courbes d’évolution), s’ajoute une volonté d’explication. Comme symptôme graphique de cette nouvelle fonction, on pourrait prendre la flèche causale. Les schémas sagittaux, rarissimes jusque là, se multiplient, de même les figurations de flux (de produits, de valeurs, de populations…). Ultérieurement, des représentations explicatives des espaces des sociétés investissent les manuels (la chorématique, sur laquelle il faudra revenir). [nos emphases]

Grataloup estime que « le XXe siècle marque une volonté de rupture avec l’évolutionnisme » et que le développement des « circuits […] en économie » est « à la fois le symptôme et un facteur du développement de la pensée systémique. ».

L’enjeu est, en effet, la possibilité d’exprimer une pensée de la complexité. Le problème est analogue dans tous les champs scientifiques, mais prend une acuité particulière dans les sciences sociales confrontées à l’évidente complexité de leur objet. La pensée par image est le moyen de rompre avec la réflexion généalogique et analytique…

[…] La prise en compte de la complexité synchronique se décline différemment selon les angles d’attaque de la société propres à chaque discipline. […] Les figures produites hésitent souvent entre l’information et l’explication. Une carte donne à voir des données sélectionnées et localisées selon des principes de corrélation à l’espace de référence. Un schéma explicatif met en scène un certain nombre de logiques causales plus ou moins interdépendantes. La coalescence des deux en une figure tient souvent de la gageure. 

Grataloup complète son texte en mettant en garde contre la possibilité de prendre l’image pour la réalité qu’elle cherche à illustrer ou « le mode de représentation pour le concept ». À cet égard, il rappelle que « l’acte de lecture [d’une image] relève en partie de la pratique des textes », ce qui constitue une limite certaine d’une image en deux dimensions faite pour être lue de gauche à droite ou de haut en bas, voire de bas en haut (comme dans le cas d’un arbre généalogique). Il plaide pour le développement d’une « narratologie de la figure » qui serait aussi développée que l’analyse structurale du récit.

On notera tout au long du texte l’influence importante de Jacques Bertin (1918-2010), cartographe et père de la “sémiologie graphique“.

Source: Grataloup, Christian, “Rhétorique graphique et pensée iconique“, Espaces-Temps, 1996 [repéré sur le portail Persée, le 14 mai 2018]

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Jean-Sébastien Dubé

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