La semaine dernière, le rapport De l’ombre à la lumière : les expériences du personnel académique contractuel produit pour le compte de l’Association canadiennes des professeures et professeurs d’université (ACPPU) a reçu un certain écho dans les médias. Les auteures, Karen Foster, professeure de sociologie et d’anthropologie sociale à l’Université Dalhousie, et Louise Birdsell Bauer, agente de recherche pour l’ACPPU, ont travaillé à partir des réponses de 2606 chargés de cours de partout au Canada ayant donné au moins un cours en 2016-2017.
Le rapport permet notamment de briser les mythes – s’ils existaient encore – d’une majorité d’étudiants aux cycles supérieurs qui donnent des charges de cours afin de payer leurs études ou encore d’une majorité de professionnels qui donnent des charges de cours pour obtenir supplément de revenus. Si ces de telles situations existent, elles sont peut-être moins répandues qu’on le croyait:
“There is a perception in academia, [James] Compton [président de l’ACPPU] added, that contract faculty are “happy moonlighters,” content to teach one or two courses per year while making the bulk of their income elsewhere. But the survey found the majority of contract faculty want a tenure-track job — even those who have been teaching for as long as two decades.” (Hauen, 2018)
Plus précisément, 53 % des répondants désirent un poste régulier de professeur universitaire ou un poste d’enseignant régulier dans un collège. Seuls 25 % des répondants affirment ne pas vouloir de tels postes. Les 21% restants en sont incertains. Néanmoins, “48 per cent have side jobs outside academia. Another 16 per cent work at multiple universities to make ends meet.” (CAUT, 2018)
Plus préoccupant, “le recours aux employés à temps partiel et contractuels a bondi de 79 % entre 2005 et 2015” dans les universités , notamment en raison de la baisse du financement directe par les gouvernements (Prévost, 2018). Par ailleurs, moins de postes de professeurs réguliers sont créés.
…During the same period, the number of university students grew by 28 per cent. Although national data on course instruction is limited, a report released in January 2018 by the Council of Ontario Universities found that 50 per cent of undergraduate courses at 17 universities in the province were taught by contract academics. (CAUT, 2018)
Encore la question de la santé mentale…
Cette importante insécurité financière à alterner entre chômage et contrats et à se demander si l’on sera réembauché, permet difficilement d’investir dans d’autres sphères de la vie personnelle (maison, enfants, etc.) et a des impacts importants:
“87 % des répondants estiment que leur emploi a eu des répercussions négatives sur leur santé mentale, caractérisée notamment par l’anxiété chronique. […] Ils sont nombreux également à se sentir « méprisés », « humiliés » ou « marginalisés » à cause de leur statut de contractuel.”
Ils ressentent une « contradiction entre le prestige de l’université et leur situation précaire au sein de cette université ». Ainsi, lorsqu’ils sont questionnés sur leur emploi, plusieurs restent flous sur la nature exacte de leur travail, se sentant « gênés » par leur situation.” (Nadeau, 2018)
Dans un texte d’opinion publié dans le Devoir, la professeure Claude L. Normand se désole que seuls les chercheurs puissent accéder à un poste de professeur. Selon elle, cela témoigne d’un manque de reconnaissance de l’enseignement par les universités. Le sondage démontre qu’un pourcentage important de chargés de cours effectue également de la recherche et rend des services à la communauté, mais sans être rémunéré pour ce faire. Seuls 19 % des répondants considèrent leur institution d’appartenance comme un “employeur idéal”. “The report also found that women and racialized contract faculty are more likely than white men to work more than 15 hours per course per week, and they make less for their trouble.” (Hauen, 2018)
C’est sans doute ce qui amène les auteures du rapport à parler des chargés de cours comme des “enseignants invisibles“. Selon Sarika Bose, présidente du Comité du personnel académique contractuel de l’ACPPU:
“…[L]es conditions de travail décrites ne sont optimales ni pour les enseignants contractuels ni pour les étudiants et l’apprentissage, dit-elle. La santé mentale des enseignants contractuels en prend un coup et beaucoup souffrent d’épuisement professionnel et quittent la profession. Le système engendre un sentiment d’isolement très problématique, car il suscite un désengagement. Les enseignants peuvent difficilement superviser des étudiants et enrichir les connaissances de leurs disciplines même s’ils sont des chercheurs et des scientifiques qualifiés. Cela porte atteinte à l’intégrité de l’université tout entière. » (Bose, citée dans CAUT, 2018)
David Robinson, directeur général de l’ACPPU, explique que l’organisation demandera à que “les gouvernements provinciaux légifèrent pour contrer cette « stratégie » des universités qui consiste à remplir les classes avec de la « main-d’oeuvre à bon marché »” (Nadeau, 2018). Il pense à certains pays européens, où, après un certain nombre d’années, un employeur doit offrir un poste à un employé réengagé à répétition.
« Quand on a des chargés de cours qui sont encore à contrat après vingt ans, c’est la preuve qu’on a un problème, conclut le directeur général. Les gens ne sont pas nécessairement au courant, mais ce rapport démontre clairement qu’il y a de grandes disparités économiques et sociales, et que cela a de grands impacts sur la vie des gens. » (Nadeau, 2018)
Sources:
Canadian Association of University Teachers (CAUT), “Shattering myths about contract academic staff“. Rapport. Septembre 2018
Foster Karen et Louise Birdsell Bauer, De l’ombre à la lumière : les expériences du personnel académique contractuel, Association canadienne des professeures et professeurs d’université, 2018, 57 p. [document PDF]
Hauen, Jack, “Contract faculty at Canadian universities struggle to make ends meet, survey finds“, The Toronto Star, 3 septembre 2018
Little, Catherine, “Contract work unfair to academics staring their careers” (opinion), The Toronto Star, 9 septembre 2018
Nadeau, Jessica, “Au Canada, la précarité menace de plus en plus le personnel enseignant universitaire“, Le Devoir, 4 septembre 2018
Normand, Claude L., “Personnes chargées de cours disqualifiées et dévalorisées” (opinion), Le Devoir, 6 septembre 2018
Prévost, Hugo, “Les chargés de cours appellent à l’aide“, Radio-Canada, 4 septembre 2018