Depuis le début de la pandémie de COVID-19, plusieurs activités pédagogiques ont basculé vers une formule de formation se déroulant presque exclusivement à distance. Dans ce contexte, la question de l’évaluation des apprentissages pose des défis importants, notamment au plan de la logistique. Dans mon rôle de conseiller technopédagogique, je suis souvent interpellé par des enseignantes et enseignants qui cherchent à minimiser la possibilité de tricherie lors de la passation d’examens en ligne et, alors, la question de la surveillance des étudiants m’est posée. Sans possibilité de contrôler l’environnement dans lequel se déroule l’épreuve, les responsables explorent des solutions qui promettent d’assurer le bon déroulement de l’évaluation et de favoriser la réussite des étudiants de la même façon que si elle se passait en présentiel.
Deux articles parus récemment font référence à cette nouvelle réalité et servent de mises en garde aux institutions qui cherchent à mettre en place une infrastructure technologique permettant de surveiller l’activité étudiante en continu. Les solutions de “proctoring” (surveillance à distance) sont considérées par certains comme incontournables pour vérifier l’identité des apprenants et pour s’assurer que ceux-ci ne profitent pas d’un soutien non autorisé pour passer leurs examens. Le processus de surveillance à distance oblige les étudiants à montrer avec leur webcam leur environnement de travail au surveillant afin de prouver qu’ils n’utilisent que le matériel autorisé pour passer leur examen. Ce moyen est objet de débat actuellement dans les universités au Québec : certaines institutions en prône l’utilisation alors que d’autres s’y opposent ou n’ont pas encore pris position.
La surveillance peut encore aller bien plus loin, notamment en ouvrant la porte, par exemple, à la collecte de données géolocalisées et biométriques sous le couvert d’assurer la sécurité du personnel et des étudiants. C’est ce qui est arrivé récemment à la Oakland University, où des étudiants se sont vivement opposés à l’imposition de porter des appareils permettant le traçage lorsqu’ils sont présents sur le campus. Ce traçage peut mener à des dérives importantes, au point où la vie privée des étudiants est compromise: on comprend que cette mesure devrait normalement servir à gérer une situation exceptionnelle liée à la pandémie elle a un réel potentiel de devenir permanente si personne ne s’y oppose:
That wariness isn’t limited to students. Colleges scrambling to keep students healthy and educationally on track have erected a mass-surveillance structure that won’t just disappear, and may have lasting effects on the student experience. “There’s a tendency with tracing technologies for them to linger after their initial purpose fades,” (…). “It should be clear that these are temporary, extraordinary measures. We have to pay as much attention to how we kick them off as put them up.”
Sarah E. Igo, professeure à la Vanderbilt University
Le consultant John Warner propose l’adoption d’une approche de “bienveillance éthique” (ethic care) pour mieux baliser l’apprentissage et son évaluation ainsi que l’adaptation des méthodes pédagogiques afin de favoriser l’autonomie et le développement d’une pensée critique chez leurs étudiants. Il souligne par ailleurs l’incohérence entre une surveillance accrue lors des évaluations en ligne et celle des médias sociaux qui permet de cibler les interventions de soutien auprès d’étudiants de plus en plus anxieux… et qui le deviennent peut-être en raison des conditions liées à la surveillance de leurs activités académiques:
Schools are both justifying the use of testing-surveillance software, a source of student anxiety, and social media “listening” tools that are meant to detect student anxiety and help signal the need for intervention. An ethic of care that considers the fact that students learn best when they are not anxious and depressed would both save some dough and probably lead to some better outcomes. Any time some aspect of institutional operations seems to demand a technological solution, there may be a cheaper, superior alternative, and the way to find it is to start with an ethic of care.
Merci à mes collègues Jean-Sébastien et Sonia pour les références aux articles ci-dessous.
Sources
Warner, John. Instead of Surveillance, Try an Ethic of Care: some problems can be solved without technological fixes. Inside Higher Ed, 25 février 2021.
Managan, Katherine.The Surveilled Student: new ways of monitoring health and academic performance won’t just disappear when the pandemic subsides. The Chronicle of Higher Education, 15 février 2021.