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Littératie informatique : essai de compréhension

Le schéma suivant de la translittératie est un effort de représentation plutôt porteur des compétences nécessaires pour bien fonctionner dans notre société actuelle marquée au coin de trois cultures de l’information (les trois D : documents, dispositifs et données) :

Le schéma fait état de trois littératies associées aux trois cultures de l’information : la littératie informationnelle, qui se traduit par des compétences que Frau-Meigs qualifie d’organisationnelles (et qui s’apparentent à ce que nous nommons en général informationnelles); la littératie médiatique, qui s’appuie sur des compétences éditoriales (lesquelles englobent les compétences rédactionnelles); la littératie informatique fait appel à des compétences opératoires.  C’est dans une tentative de mieux comprendre ce qu’est cette littératie informatique que j’ai rédigé la présente dépêche en m’appuyant (fortement) sur un article de Béatrice Drot-Delange (2014), que j’ai trouvé très éclairant, car il fait état de l’analyse d’un vaste corpus de textes scientifiques ou prescriptifs sur le concept de littératie informatique.  Son objectif est de déterminer si et comment la littératie numérique peut contribuer à nourrir la réflexion sur l’enseignement de l’informatique à l’école.

Selon des rapports de regroupements spécialisés en informatique, la littératie informatique (traduit par computer literacy) « serait associée à la maîtrise d’applications informatiques courantes, provoquant la confusion dans l’esprit du grand public, et des politiques, avec ce que devrait être un enseignement de l’informatique pour des élèves de l’école primaire ou secondaire. »

Selon Johnson, Anderson, Hansen et Klassen (1980), la littératie informatique est peut être perçue comme un continuum de compétences :

Selon Hess (1994), l’utilisation du terme littératie informatique traduit une volonté de traiter l’informatique comme la lecture et l’écriture, c’est-à-dire un savoir fondamental et universel.  Mais cette position ne fait pas l’unanimité.  En 1999, le National Research Council (NRC) publie le rapport Being Fluent with Information Technology et préfère le mot « fluency » (maîtrise) à celui de littératie, qui « se traduirait par un ensemble de capacités intellectuelles, de connaissances conceptuelles et de compétences contemporaines associées aux technologies de l’information. »  À noter qu’on parle de technologies de l’information plutôt que d’informatique.

Savoir programmer devrait-il faire partie de la littératie informatique?  Pour répondre à cette question il faut prendre en considération les finalité de l’apprentissage de la programmation, surtout pour les étudiants qui ne visent pas à devenir des professionnels de l’informatique.   Pourtant, nombreux sont les auteurs qui insistent sur le fait que l’informatique peut être une approche de résolution de problèmes, notamment parce qu’elle prend appui sur une démarche algorithmique, opérationnelle et organisationnelle.  Cette pensé algorithmique, nous apprend Drot-Delange, était déjà au cœur du rapport du NRC.  « Les auteurs du rapport la définissent par ses concepts tels que « décomposition fonctionnelle, répétition (itération et récursivité), organisation des données, généralisation et paramétrage, algorithme vs programme, conception descendante ». Elle serait, selon les auteurs du rapport, la clé de la compréhension de plusieurs aspects des technologies de l’information, plus particulièrement comment et pourquoi les technologies de l’information fonctionnent comme elles le font. Dans ce cadre, la programmation est vue comme une instance spécifique de cette pensée algorithmique. »

Aujourd’hui, on préfère parler de pensée informatique (computational thinking) plutôt qu’algorithmique.  Dans un rapport de 2011, le CSTA (Computer Science Teachers Association) définit la pensée informatique comme « approche pour résoudre des problèmes que l’on peut mettre en oeuvre avec un ordinateur. Elle implique l’usage de concepts, tel que l’abstraction, la récursivité, l’itération, le traitement et l’analyse de données et la création d’artefacts réels et virtuels ».

Wing (2006), un autre auteur mentionné dans l’article, affirme que les technologies numériques ont contribué à faire de la pensée informatique un savoir à acquérir pour tous.   Selon lui, la pensée informatique « engloberait la capacité à poser des problèmes, les résoudre, à concevoir des systèmes, à comprendre le comportement humain en s’appuyant sur les concepts fondamentaux de l’informatique. »  Algorithmique, logique, précision, abstraction constituent des capacités cognitives identifiées dans un rapport  de 2012 produit par BCS, Microsoft, Google et Intellect.

Au Royaume-Uni, où on envisageait à l’époque de la rédaction de l’article de Drot-Delange la création d’un programme national visant l’enseignement de l’informatique, la Royal Society affirmait en 2012 qu’une « éducation de haute qualité en informatique permet aux élèves de comprendre et de changer le monde grâce à la pensée informatique. Elle développe et exige une pensée logique et de précision. Elle combine créativité et rigueur (…) ».  Le nouveau programme comprendrait trois volets : 1) l’informatique, 2) les technologies de l’information et 3) la littératie numérique « (maîtrise de compétences fonctionnelles de base (usage du clavier et de la souris, de l’émail et d’un navigateur, par exemple) ».

Au Québec, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur a publié récemment un  Cadre de référence de la compétence numérique dans lequel on donne les 12 dimensions de cette compétence.  Dans la 2e dimension (Développer et mobiliser ses habiletés technologiques), on retrouve un élément qui fait référence à la programmation  :

  • développer sa pensée informatique, notamment par le développement de sa compréhension et de ses habiletés à l’égard de la programmation informatique »;

et on donne comme exemple de situation d’enseignement l’initiation à la programmation à l’aide de robots…

En conclusion, existe-t-il une littératie informatique?  « Selon Bruillard (2012), une actualisation du lire-écrire-compter est nécessaire pour prendre en compte l’informatique et ses technologies », car ces technologies nécessitent des connaissances informatiques (Tort et Bruillard, 2010).  Parler de littératie informatique a le mérite « de proposer une approche où l’individu n’est pas réduit à des compétences ou à des connaissances, hors de tout contexte social et culturel, et qui intègre aussi le fait que l’individu et ses besoins évoluent tout au long de sa vie, qu’il ne part pas non plus de rien. »

En guise de conclusion, prise 2, la littératie numérique a-t-elle remplacé la littératie informatique?  La question n’a pas de réponse… du moins dans l’article de Drot-Delange, article par ailleurs excellent et qui se termine par cette phrase : « [l]a réflexion en termes de littératie favoriserait une lecture émancipatrice de l’apprentissage de l’informatique, en convergence avec une éducation aux médias et à l’information (EMI). Mais c’est un projet qui reste à mener. »

Source

Drot-Delange Béatrice. Littératie informatique : quels ancrages théoriques pour quels apprentissages ? Spirale. Revue de recherches en éducation, n°53, 2014. Littéracies en contexte d’enseignement et d’apprentissages. pp. 121-132.  doi : https://doi.org/10.3406/spira.2014.1054.  https://www.persee.fr/doc/spira_0994-3722_2014_num_53_1_1054

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Sonia Morin

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