Un communiqué du Syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS) publié le 7 février a causé un émoi certain dans le monde de la recherche parce qu’il se dit inquiet « de la survenue, pour le seul mois de janvier, de trois suicides de personnes travaillant dans des laboratoires et l’administration du CNRS ». Et se demandait s’ils n’étaient pas un prélude à « une vague de suicides ».
Le SNTRS alerte le CNRS depuis plusieurs années sur ce qu’il appelle la souffrance au travail dans les labos.
Quelles seraient les causes de cette souffrance? Le CNRS parle de « tensions sur l’emploi et les budgets », tout en relativisant le taux de suicide dans les labos français qui est inférieur à la moyenne nationale et que le nombre des arrêts maladie reste stable depuis 2010. L’article mentionne une explosion de dépressions et des problèmes cardiaques, gastriques, de sommeil, de poids… Tous ces dysfonctionnements plus ou moins liés à la disproportion grandissante entre le temps à investir pour trouver du financement (rédaction de nombreuses demandes de subvention – parfois tatillonnes dans les détails exigés) et le faible taux de succès. Beaucoup d’appelé, peu d’élus! Et il faut publier à tout prix si on veut de la reconnaissance. Et il faut enseigner, diriger des étudiants, gérer le labo (comptabilité, administration, ressources humaines, ressources matérielles, ressources informatiques). Comme le rapporte Thomine, [l]es innombrables rubriques du compte rendu d’activité annuelle du chercheur (abrégé en « CRAC », par l’ironie du sort) en disent long sur le potentiel « multitâche » attendu des professionnels du CNRS. La reconduite de l’accréditation de l’école doctorale est conditionnelle à certains critères qu’il devient de plus en plus difficile d’atteindre.
Selon Thomine, d’autres conséquences de ces souffrances en laboratoire apparaissent : cas de fraude en hausse (à preuve l’augmentation du nombre d’articles scientifiques rétractés), relations professionnelles tendues conduisant à des différends, des conflits, des démissions ou des abandons (dans le cas des étudiants). En deux ans, le nombre de cas dont a été saisie la médiatrice du CNRS a augmenté de 20%. Sur ces 190 sollicitations, 44 % concernaient des différends relationnels, souvent générateurs de souffrances. « Ce qui engendre le plus de mal-être, c’est le délitement de la notion de collectif », explique-t-elle. Pour chaque saisine, la médiatrice a pu mobiliser six à cinquante-cinq agents, sans compter que trois mois sont en moyenne nécessaires pour parvenir à une conciliation.
En 2011-2012, la direction des ressources humaines du CNRS avait aussi chargé le doctorant en psychologie Marc Guyon d’une « Étude qualitative des relations entre souffrance, plaisir et organisation du travail de la recherche ». Basée sur les témoignages de chercheurs volontaires, recueillis en commun, l’étude révélait un ressenti partagé de déclassement, de manque de reconnaissance, de pression liée à l’évaluation et à une culture accrue de l’excellence, dans un contexte de compétition scientifique mondialisée. L’étude doit être suivie d’une véritable réflexion sur l’organisation du travail ».
Qu’en est-il de la situation au Québec? Au Canada?
Source – Thomine, Camille. Le burn-out des labos. Le Monde – Sciences. 17 février 2014, mis à jour le 20 février 2014.