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Tournant majeur à l’encontre des politiques ÉDI dans les universités américaines

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Le 1er mai dernier, j’écrivais dans L’éveilleur que des élus conservateurs de plusieurs états américains travaillaient à l’adoption de nouvelles lois et mesures anti-ÉDI en éducation. Le bulletin Legislation Tracker du Chronicle of Higher Education annonçait que 33 projets de loi anti-ÉDI avaient été déposés dans 19 états; 3 avaient été approuvés et 5 rejetés. La semaine dernière, on apprenait que la Cour Suprême approuvait 6 de ces projets de loi dans 5 états. Face à cet événement marquant et aux nombreuses évolutions que nous observons actuellement dans ce domaine, Françoise Bleys et moi-même allons dorénavant vous proposer un suivi régulier sur les mesures qui touchent l’ÉDI en éducation supérieure.

L’envergure du nouveau plan de législation qui vient d’être adopté est vaste : retrait du financement des mesures pour la diversité, l’équité et l’inclusion, abolition des énoncés sur la diversité pour l’admission, l’embauche et l’avancement de carrière et interdiction de mettre en place des formations obligatoires sur la diversité en milieu de travail ou d’enseignement.

Pour le moment, la façon dont ces nouvelles lois seront interprétées ainsi que leur calendrier d’application demeurent flous. Pour ce qui est de ne plus prendre en considération la couleur de la peau ou l’origine ethnique comme critère positif dans les procédures d’admission à l’université, des exceptions sont prévues pour les académies militaires et les programmes à destination des vétérans, pour les personnes étudiantes de première génération et pour d’autres étudiants à besoins spéciaux.

Cette courte vidéo du Wall Street Journal est particulièrement intéressante, car elle fait état d’une étude sur les effets du passage d’un processus d’admission race-conscious à un processus race-neutral, et les résultats sont éloquents. D’ailleurs, même si la plupart des média titrent sur la « fin de la discrimination positive », Eric Hoover dans The Chronicle for Higher Education, insiste sur l’importance d’employer les termes adéquats étant donné le caractère hautement délicat et polémique du sujet : selon lui, le changement de législation en question toucherait les politiques qu’on nomme race-conscious (c’est-à-dire tenant compte de la race pour donner des points supplémentaires dans le processus d’évaluation des dossiers), trop souvent confondues avec l’affirmative action, « discrimination positive » notamment associée aux quotas.

Les changements de législation cités plus haut viennent donc remettre en question nombre de politiques et pratiques largement établies depuis plusieurs décennies dans l’éducation supérieure aux États-Unis. Elles visaient à favoriser plus d’égalité, de diversité et d’inclusion sur les campus en créant des opportunités pour les membres de groupes historiquement marginalisés et désavantagés et en ouvrant les curriculums à d’autres voix et points de vue pour que les universités soient un milieu riche et représentatif de la pluralité de la société américaine. Les juges de la Cour Suprême, en donnant raison au groupe « Students for Fair Admission » (SFFA), ont validé que tenir compte de la couleur de la peau et de l’ethnicité équivalait à de la discrimination raciale (alors que ces politiques avaient justement été adoptées depuis les années 60 pour contrer la discrimination raciale).

Le groupe SFFA poursuivait Harvard depuis 2014 pour sa politique d’admission tenant compte de la race. Les cas qui ont donné lieu à la décision de la Cour Suprême la semaine dernière montraient que des étudiants américains d’ascendance asiatique se trouvaient défavorisés par l’application actuelle des critères « race-conscious » pour leur admission et violaient donc la loi interdisant que la race soit utilisée comme un critère « négatif ». L’ouverture des données sur le recrutement à Harvard a d’ailleurs révélé que d’autres types de privilèges perdurent.

Comme quoi les points de vue sur les concepts de diversité et de mérite dans l’éducation continuent d’être très polarisés à l’heure actuelle. À suivre…

Sources:

Amadieu, Jean-François (28 juin 2023), « La discrimination positive à Harvard : la fin d’une conception contestée de la justice ? », The Conversation, Canada.

Dubé, Esther (1er mai 2023), « Le débat houleux sur l’ÉDI dans les universités américaines », L’éveilleur, Service de soutien à la formation, Université de Sherbrooke.

Équipe du Chronicle of Higher Education (mis à jour le 14 juillet 2023), « DEI Legislation Tracker », The Chronicle of Higher Education, Washington, D.C.

Hoover, Eric (28 juin 2023), « It’s OK to Stop Calling It Affirmative Action », The Chronicle of Higher Education, Washington, D.C.

Lu, Adrienne (5 juillet 2023), « Race on Campus: : Florida’s sweeping DEI law goes into effect this week », The Chronicle of Higher Education.

Rios, Edwin et Chris Stein (28 juin 2023), « US supreme court rules against affirmative action in Harvard and UNC cases », The Guardian, Londres.

Wall Street Journal (29 juin 2023), « Affirmative Action vs. Race-Neutral Admissions: A Case Study | WSJ » (vidéo), YouTube, durée: 8 min 10.

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À propos de l'auteur

Françoise Bleys and Esther Dubé

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