Sonia Morin me fait part de deux articles du Monde qui évoquent la progression des jeux sérieux au niveau universitaire en France, mais qui mentionnent également les résistances que ces outils pédagogiques rencontrent encore. Dans un premier texte, la journaliste Mattea Battaglia interroge Jean Menu, président de l’association Serious Game Lab:
“…[L]’engouement est moins rapide en France que dans les pays anglo-saxons – États-Unis, Canada, Grande-Bretagne… Concernant l’éducation, on a l’intuition que c’est « le » marché d’avenir du jeu sérieux, l’héritier direct du jeu ludo-éducatif des années 1980 et 1990. Mais dans les classes, il se heurte aux mêmes questions, aux mêmes résistances qu’il y a trente ans. Qu’y a-t-il précisément derrière l’oxymore ? Est-il un bon mode d’apprentissage ? Sans compter que les contenus de ces jeux sont très divers.” (Menu, dans Battaglia, 2014)
“On peut comprendre la prudence d’un grand nombre d’enseignants. Pour utiliser un jeu, il faut que soient réunies les conditions matérielles adéquates : des ordinateurs ou des tablettes, une connexion efficace, parfois des manettes de vote… sans compter le droit d’utiliser le jeu. Pas évident. S’y ajoutent des raisons plus profondes : le monde ultra-connecté dans lequel vivent les adolescents, dans lequel s’inscrit évidemment le jeu vidéo, s’il est source d’information et de culture, créé aussi un univers du temps réel, du zapping, qui ne pousse pas nécessairement à la concentration, au raisonnement complexe sur la longue durée, et finalement à la capacité d’apprendre à apprendre. Le jeu sérieux ne peut se passer d’un « mode d’emploi » qu’il faut fournir à l’enseignant, pour permettre son intégration dans l’espace-temps de la classe.” (Menu, dans Battaglia, 2014, nos emphases)
“…Le jeu sérieux est adapté à la simulation de problèmes de gestion, de pénurie, de crise. En réalité, je crois que tout « jeu » peut devenir « sérieux » si on l’accompagne d’une démarche pédagogique. […] Dans l’enseignement supérieur, leur développement est souvent lié à la « double casquette » des professeurs qui sont aussi des chercheurs. Les jeux sérieux sont de bons outils pour fournir des « cas pratiques », tant en médecine qu’en droit ou en gestion. En droit international, ils renouvellent les jeux de rôles…” (Menu, dans Battaglia, 2014, nos emphases)
Dans un second article, Nathalie Brafman explique où l’intégration des jeux sérieux en est dans les grandes écoles et universités françaises:
“Les établissements utilisent cet outil pédagogique non pas pour remplacer un cours en amphi ou des travaux dirigés mais plutôt comme une ressource pédagogique supplémentaire, au même titre qu’un livre, un texte, une vidéo ou encore un podcast.
En fonction des scores obtenus, le professeur pourra savoir ce qui a été assimilé par un étudiant et à quel rythme. Car, avec le serious game, un élève est évalué en permanence. S’il n’atteint pas le score attendu à l’issue du jeu, il ne peut pas passer au niveau suivant. Il devra recommencer.
Pour les professeurs, l’avantage est évident. Le serious game permet de se mettre en situation. Eux qui se plaignent souvent d’avoir des élèves peu attentifs, le jeu sérieux permet de contextualiser les enseignements théoriques grâce à des exemples concrets. L’étudiant se retrouve sur le terrain.
Autre avantage, et non des moindres : le droit à l’erreur. Dans le serious game, on peut recommencer sans fin parce qu’il n’y a pas de culpabilité à échouer.” (Brafman, 2014, nos emphases)
Parfois, les résistances proviennent des étudiants eux-mêmes:
“Des résistances existent. Du côté des professeurs, parfois peu convaincus par cette pédagogie par le jeu, mais aussi chez les étudiants. ” Certains élèves brillants ont l’impression de ne pas avancer “, reconnaît Amodsen Chotia.
Hélène Michel, professeure en management de l’innovation à Grenoble école de management (GEM), a décidé de travailler sur un jeu de vente pour ses étudiants en licence. ” On pourrait penser qu’ils vont sauter de joie à l’idée de jouer; ce n’est pas forcément le cas, souligne-t-elle. Nos élèves veulent être pris au sérieux. Certains, par exemple ceux qui sont passés par les classes préparatoires et par les concours, pensent : “Je n’ai pas fait tout ça pour jouer.” C’est à nous de leur faire comprendre que ce n’est pas pour leur rendre la vie plus facile mais bien pour leur faire acquérir de nouvelles compétences “, précise encore Hélène Michel.
Et notamment le savoir-être qu’il est difficile d’apprendre en classe…” (Brafman, 2014, nos emphases)
Sources:
Battaglia, Mattea (entrevue avec Jean Menu), “« Tout jeu peut devenir sérieux si on l’accompagne d’une démarche pédagogique »”, Le Monde – Éducation, 26 mars 2014
Brafman, Nathalie, “À l’université, les vertus pédagogiques des « serious games »“, Le Monde – Éducation, 26 mars 2014 (article protégé, accessible en entier par la Banque de données Eureka.cc par le site du Service des bibliothèques)