Pédagogique Tendances sociétales

Quelle ampleur du plagiat?

Les professeurs Béland, Bureau et Larivée avancent dans une lettre d’opinion publiée dans Le Devoir du 12 avril 2018 que « [s]elon certains chercheurs, près de 40 % des étudiants universitaires auraient déclaré avoir déjà plagié pour au moins un travail durant leurs études, une proportion gardée relativement stable au cours des dernières décennies. Et nous ne serions pas étonnés d’apprendre que ce pourcentage est en dessous de la réalité. »

J’aurais aimé que la lettre des trois professeurs mentionne la ou les sources d’une telle affirmation, car j’aurais été curieuse de lire ces enquêtes et vérifier le libellé de la ou des questions sur le plagiat.  Ce pourcentage de 40 % me paraît difficile à croire.  L’analyse des données dans mon université donne un pourcentage sous les 1 %, pourcentage obtenu en mettant en rapport le nombre d’allégations de plagiat sanctionnées (plaintes déposées et traitées) et le nombre d’étudiants inscrits (avec cette réserve toutefois qu’il peut y avoir certains doublons puisqu’un étudiant inscrit dans deux programmes est compté deux fois, par exemple, ce qui pourrait conduire à une certaine surestimation du nombre d’étudiants).

On peut toujours avancer que beaucoup d’enseignants ne portent pas plainte, mais, comme il est difficile de prouver une telle affirmation, cela reste une affirmation gratuite.

On avance que les étudiants auraient plagié.  On utilise le conditionnel, donc on n’affirme pas : on suppose le plagiat.  Est-il possible que le doute soit lié au fait qu’il existe beaucoup de variations, tant chez les étudiants que chez les enseignants, quant à ce qui constitue du plagiat.  Parfois, un manque de précision dans le libellé d’une question de sondage peut entraîner des réponses dont il sera difficile de tirer quelque conclusion que ce soit.  Par exemple, si on demande aux étudiants Avez-vous déjà copié-collé du matériel provenant du WEB? leur réponse a de bonnes chances d’être oui.  La seule conclusion qu’on peut tirer d’une réponse positive à Avez-vous déjà copié-collé du matériel provenant du WEB?  est oui, les étudiants ont déjà copié-collé du matériel provenant du WEB.  Mais on ne peut pas tirer la conclusion qu’il y a eu plagiat, car, pour ce faire, il faudrait formuler la question comme suit :  Avez-vous déjà copié-collé du matériel provenant du WEB sans avoir attribué la source de l’emprunt?   Deux des outils développés par le groupe de travail Antiplagiat de l’Université (la déclaration d’intégrité relative au plagiat et le document informatif) insistent l’un sur l’attribution de tout contenu emprunté et l’autre la mention des sources.  Avec raison parce que c’est l’absence de mention des sources et la non-attribution des emprunts qui constituent du plagiat, lequel peut enfin être perçu pour ce qu’il est : une conséquence.

Je ne cherche pas à minimiser le problème du plagiat; je cherche plutôt à regarder en amont et à identifier ce qui le cause.   Les professeurs Béland, Bureau et Larivée préconisent de s’attaquer au problème du plagiat de deux façons :

  • en s’y attaquant comme à une injustice : « en la nommant comme telle et en empêchant qu’elle soit une norme. En s’assurant que les étudiants sont sensibilisés à la portée de leurs actions de plagiat, il sera plus difficile pour eux d’agir de la sorte en ignorant les conséquences. »
  • en s’y attaquant comme à un problème structurel : » [l]à où c’est possible, il s’agira de modifier les pratiques superficielles d’évaluation des apprentissages qui permettent aux étudiants de prendre des raccourcis dans leurs engagements scolaires ».

Je ne crois pas à la première position.  Elle fait partie des solutions connues et appliquées qui ne marchent pas.  On les applique depuis quoi ?  20 ans?  30 ans? Depuis le temps, si elles avaient marché, on ne parlerait plus du problème.   Je lui préfère une approche qui valorise l’attribution des emprunts.  Autrement dit : travailler à la source du problème et non sur la conséquence.

Par contre, je crois profondément à la seconde position, car le véritable pouvoir de rendre le plagiat non attrayant est dans les mains des enseignants qui adaptent leurs modalités d’évaluation en tenant compte du contexte dans lequel se font les études aujourd’hui, et je pense ici aux changements que le numérique a apportés. Parmi les pistes de solution à explorer, je retiens celle qui émane de l’équipe de recherche sous la responsabilité de la professeure Martine Peters (et à laquelle j’appartiens) : la formation aux stratégies de créacollage numérique pour tous : étudiants et enseignants.  Et nous entrons ici dans le monde de la littératie numérique et dans celui de la translittératie, deux mondes dans lesquels nous sommes, pour la plupart, des analphabètes.

 

Sources
Bureau, Julien, Béland, Sébastien et Peters, Martine.  Comment réduire l’ampleur du plagiat dans les universités?  Le Devoir, 7 décembre 2018.

Béland, Sébastien, Bureau, Julie et Larivée, Serge.  L’ampleur du plagiat dans les universitésLe Devoir.  12 avril 2018

Fortier, Marco.  Une brèche dans la loi du silenceLe Devoir, 8 décembre 2018

Fortier, Marco.  Incursion dans les coulisses du plagiatLe Devoir, 8 décembre 2018

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Sonia Morin

2 Commentaires

  • OK pour la deuxième position. Mais elle est en soi insuffisante car à un moment donné se pose inexorablement la question de l’évaluation du travail fourni – avec ou sans plagiat.
    C’est peut être à ce moment qu’il faut introduire la notion de sanction pédagogique …et de récompense pédagogique pour l’originalité de l’oeuvre produite.

  • J’ai écrit un texte professionnel à partir d’une observation clinique. Un logiciel me gratifie de 21% de plagiat. Oui, j’ai utilisé un langage spécialisé qui a déjà été employé : névrose. Inconscient, inhibition, etc Il y aurait donc une dose normale de plagiat attestant de son adaptation sociale ? Seul un anormal aurait 0% de plagiat ? Peut-être avec une bonne schizophasie ?

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