Dans un texte d’opinion publié le 31 janvier 2022, Patrick Giroux, Jacques Cool et Stéphane Allaire répondent, entre autres, à une lettre publiée dans la Presse le 17 janvier dernier.
Ici, il est question de l’intégration du numérique en soutien à l’enseignement et à l’apprentissage. Dans l’urgence de la migration de la formation à distance (FAD), il y a pu avoir un passage obligé d’utilisation d’outils numériques dans un but uniquement transmissif dans certaines activités pédagogiques. Dans ce contexte, les outils numériques arrivent rapidement à une certaine limite, ce que les auteurs prennent le soin de souligner.
Par ailleurs, les auteurs indiquent que le numérique n’est pas toujours garant de succès. Ils mettent en garde contre une évaluation hâtive et négative du potentiel du numérique dans un contexte «socio-politico-économico-sanitaire» en mouvance.
«Le potentiel du numérique pour enseigner et apprendre ne peut être réduit à des outils ni à une analyse qui fait fi de leur contexte d’usage. »
Comme vous le savez sans doute, la salle de classe implique plusieurs interactions: la personne apprenante avec le savoir, avec les outils, numériques ou non, avec les pairs, avec les personnes enseignantes, etc.
Les auteurs invitent à réfléchir à trois éléments pour jauger le potentiel du numérique en éducation:
- L’école a la responsabilité de former et de préparer au monde actuel
Au supérieur, comme ailleurs, l’idée est de former pour répondre aux besoins d’une société en changement. Les besoins d’aujourd’hui ne sont pas ceux de demain. Le numérique est «un enjeu clé et transformateur de la société du 21e siècle, tout comme d’autres phénomènes globaux tels les changements climatiques et géopolitiques». Plusieurs transformations ne peuvent pas encore être anticipées. Il importe alors d’explorer différentes dimensions des compétences des personnes apprenantes afin de préparer le changement.
- L’enseignant(e) a un rôle clé à jouer, celui de l’architecte qui déploie les bonnes stratégies au bon moment.
Considérant le numérique, la personne enseignante propose différentes modalités pour mettre en contact la personne apprenante avec tel ou tel contenu ou défi.
«[L’enseignant] décide aussi de la façon et du moment où il va intervenir et donner de la rétroaction, ainsi que de la façon de guider et d’orienter les élèves. L’ampleur des stratégies auxquelles l’enseignant peut recourir est vaste. »
Le numérique favorise une recherche de stratégies pédagogiques riches et porteuses de sens «autant en termes de motivation que d’apprentissage».
«Quand un éducateur constate que l’enseignement en ligne ne s’est pas déroulé à sa satisfaction et en conclut qu’il faut diminuer l’usage du numérique en classe, il commet une erreur de logique.»
J’ajoute ici aux propos des auteurs qu’il importe d’analyser la situation de façon rigoureuse. Qui est le public cible? Quels sont ses besoins? Qui sont les personnes enseignantes? Quel est le niveau d’aisance avec le numérique? Quels critères ont permis le choix de l’outil numérique? A-t-il été imposé ? Je vous encourage au détour à piger des questions dans la démarche de Scholarship of Teaching and Learning (SoTL) proposées par l’équipe de l’incubateur d’innovations pédagogiques (i2p) de l’Université de Sherbrooke avant même de concevoir ou d’implanter le numérique.
- La recherche ne devrait pas tant étudier « si » le numérique contribue à l’apprentissage, mais plutôt « comment » il peut mieux le faire.
En recherche, les questions sont formulées de manière à proposer des avenues: de quelle manière, en quoi, comment, etc. pour éviter des formulations qui invitent une dichotomie (oui/non). Les auteurs rappellent donc, avec raison, que:
« Le numérique n’a pas de volonté propre. C’est le grand architecte, l’enseignant, accompagné d’autres intervenants, qui décide de l’usage ou non du numérique, selon l’intention pédagogique visée. Et il importe donc qu’il sache comment faire! Il importe aussi de tenir compte des caractéristiques organisationnelles avec lesquelles il doit composer et qui contraignent parfois les usages qu’il (ou son élève) peut faire du numérique. »
La recherche propose donc des combinaisons où tel outil numérique est mis à l’essai dans tel contexte avec tels facteurs. «Ce niveau de détails est souvent noyé dans les regroupements d’études appelés méta analyses ou négligés par les lecteurs. »
Les conclusions liées à l’implantation du numérique en contexte pandémique appellent à la prudence. Dans quelle mesure les personnes (apprenantes ou enseignantes) étaient formées au numérique ? Quel degré d’aisance avaient-elles ? Dans quelle mesure un soutien pédagogique était proposé ?
«Nombre de travaux de recherche nous ont appris qu’avant de penser à l’usage pédagogique adéquat de la technologie, on doit d’abord acquérir des compétences techniques minimales, puis les intégrer judicieusement à ses pratiques personnelles. À cet effet, un grand nombre d’enseignants ont dû pallier un retard depuis deux ans et, qui plus est, en catastrophe. Ils ont néanmoins pu accentuer leur maîtrise et leur confiance face à l’enseignement à distance et au numérique.»
Les critiques négatives à l’endroit du numérique sont-elles moins prononcées au supérieur ? Possiblement. Il y a eu du travail dans l’urgence pour s’approprier le numérique certes, mais plusieurs pratiques étaient déjà implantées. Après deux ans dans le contexte «socio-politico-économico-sanitaire» actuel, il faudra investir dans le «développement professionnel des [personnes enseignantes], améliorer les conditions organisationnelles qui impactent leur travail, poursuivre la recherche en éducation pour comprendre comment utiliser efficacement les outils disponibles et travailler à améliorer les conditions».
Source
Giroux, P., Cool, J. et Allaire, S. (2022, 31 janvier). Ce numérique qui a le dos large! École branchée. Enseigner à l’ère du numérique.
Bonjour Constance Denis,
C’est Stéphane Allaire et non pas “Stéphanie”. 😁
Cordialement.