Pendant la semaine du 26 avril 2021, « [à] l’approche de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai prochain », le quotidien Le Devoir a présenté une série d’articles sur le thème « Tous polarisés ». J’y ai vu un lien direct avec mes axes de veille sur les salles de classe comme espaces de débats et l’humilité intellectuelle. J’ai avidement tout lu ce qui a été publié jusqu’à présent dans cette série et je lirai tous les articles à venir. Malheureusement, j’y trouve pour le moment beaucoup de témoignages où on déplore la situation et bien peu d’hypothèses de solutions à cette problématique sur laquelle il m’apparaît fondamentale de se pencher pour assurer le vivre-ensemble et le fonctionnement démocratique de notre société.
La rédactrice en chef Marie-Andrée Chouinard affirme qu’au Devoir, « [n]ous demeurons toujours fidèles à notre mission première, qui est de rendre compte des questions qui agitent la société ». Pourrait-on aussi rendre compte de celles et ceux qui cherchent à sortir du cercle infernal des insultes en ligne qui mènent à un désintéressement des réseaux sociaux, de la vie politique, du travail journalistique, du militantisme, etc.? Ça semble d’ailleurs la réponse du plus grand nombre de personnes interviewées: passer moins de temps sur les réseaux sociaux, s’en éloigner pour un moment ou pour toujours. Soit, mais est-il acceptable qu’une minorité d’individus « polluent » ces plateformes dont on admet volontiers qu’elles permettent également des avancées sociales importantes? Voici tout de même quelques éléments de solutions que j’ai glanés au fil de mes lectures.
Exiger le respect
« C’est simple, répond Pierre-Alexandre Buisson [gestionnaire de communauté chez Hydro-Québec], notre critère principal, c’est le respect — que ce soit le respect des valeurs d’autrui, le respect de la personne, le respect de l’entreprise. On accepte vraiment tous les types de critiques, on n’a aucun problème avec ça, tant qu’elles sont formulées de façon respectueuse. » (Pavic, 2021)
Chercher des alliés
« Au moment de donner l’information, nous [les bibliothécaires] ne pouvons pas y ajouter notre avis personnel. Autre parallèle avec les journalistes ? Les sources ! C’est dans notre ADN : il faut donner au moins deux sources [lors d’une question de référence]. » Et elles doivent être fiables, et non pas puisées dans la grande encyclopédie de la vie, comme cela se fait très souvent dans certaines plateformes et autres forums de discussions. » Une alliance entre journalistes et bibliothécaires? Bonne idée! Qu’en est-il des enseignantes et enseignants?
Chercher à mieux comprendre le phénomène
« [La polarisation] se reconnaît souvent par son refus de prendre au sérieux la position adverse, par sa tendance à la caricaturer, à la décréter d’emblée absurde, fausse, dangereuse, se drapant ce faisant dans une chape de vertu faite par soi-même et sur mesure… […]
…[L]a pensée dogmatique refuse typiquement tout compromis et ne se corrige ni ne se réajuste au vu de faits ou d’arguments qui demanderaient pourtant de le faire. Elle qui pense si peu et si mal déploie alors des trésors d’ingéniosité… » (Baillargeon, 2021)
« Cette polarisation, observée partout dans la société, est particulièrement criante dans les médias… […] Elle prolifère sur les ondes et dans les pages de certains médias sans être trop dérangée par des contraintes déontologiques, à peu près inexistantes pour ce qui est du « commentariat ».
[…] Comment s’enfonce-t-on aussi loin dans la haine ? Quels sont les mécanismes qui l’alimentent et la légitiment ? Y a-t-il quelque chose qui se rattache à une forme de socialité malsaine, vécue entre hommes ; quelque chose comme le « boys club en action » ? […]
Il y a quelque chose de significatif dans l’entre-soi des animateurs trash. Une forme de relation qui exclut, stigmatise et, ce faisant, conditionne et permet toutes les violences. Ce n’est pas sans conséquence sur le tissu social, puisque ça marche. [L’ancien animateur] Stéphane Gendron se souvient d’avoir été effrayé, un peu avant de sortir de cet univers, par les auditeurs qui lui disaient « penser comme lui ». Terrifié par l’idée que toute cette violence ait une prise sur le réel. » (Lanctôt, 2021)
Éduquer
« Il faut enseigner à l’école à discuter et à y cultiver ces indispensables vertus épistémiques nécessaires à toute discussion sérieuse sur des sujets délicats, et a fortiori à la conversation démocratique. La pratique de la philosophie pour enfants est pour cela très utile. […] Il faut aussi apprendre aux jeunes et aux moins jeunes une stratégie éprouvée : l’apprentissage socioémotionnel ou l’art de connaître, de comprendre et de maîtriser ses émotions. Merci aux stoïciens d’avoir compris tout cela bien avant nous. » (Baillargeon, 2021)
L’humilité intellectuelle et l’ouverture aux positions adverses
« Il faut sérieusement lire des gens qui ne pensent pas comme nous, présumer qu’on pourra en apprendre quelque chose et/ou fortifier sa propre position, s’efforcer de connaître leurs idées, sans postuler d’emblée qu’ils ont tout faux. Même une pendule arrêtée donne l’heure exacte deux fois par jour. » […]
En souvenir de Simone Weil (« Dès qu’on a pensé à quelque chose, chercher en quel sens le contraire est vrai »), on peut se demander souvent à soi-même et demander aux autres, au moment propice : « Quel est le meilleur argument de la position adverse et comment y réponds-tu ? » » (Baillargeon, 2021)
Démontrer toujours davantage d’empathie
« Le rétablissement d’une humanité commune et du dialogue n’est possible qu’en réapprenant à imaginer l’Autre : imaginer la saveur de son expérience, la lueur qui apparaît dans ses yeux quand il sourit, la teneur de ses blessures lorsque je le contredis ou le tressaillement de ses mains quand je le heurte pour, à tout prix, avoir raison. » (Abdelmoumen, 2021)
Sources:
Abdelmoumen, Mélikah, « Notre humanité commune », section « Opinions », Le Devoir, 1 mai 2021
Baillargeon, Normand, « 22 idées à méditer sur la polarisation des débats », chronique, Le Devoir, 1er mai 2021
Caillou, Annabelle, « Brûlés des réseaux sociaux: six personnalités se confient », Le Devoir, 1er mai 2021
Chouinard, Marie-Andrée, « Sommes-nous plus divisés que jamais? », Le Devoir, 29 avril 2021
David, Michel, « Petite histoire de la polarisation », chronique, Le Devoir, 1er mai 2021
Goudreault, Zacharie, « Le fossé se creuse entre les générations », Le Devoir, 1 mai 2021
Joycey, Matt et Étienne Ravary,« Les journalistes face à la haine sur les réseaux sociaux » (vidéo), Le Devoir, 29 avril 2021 (4 min 37)
Lavoie, André, « Troisième lieu et quatrième pouvoir unis contre les «fake news» », Le Devoir, 1er mai 2021
Pavic, Clémence, « Sur les réseaux sociaux, être «un peu baveux» est parfois de bon aloi », Le Devoir, 30 avril 2021
Riopel, Alexis, « Les journalistes du Devoir, sur la corde raide de l’opinion publique », Le Devoir, 29 avril 2021
Trois nouveaux articles à la série:
> Bourgault-Côté, Guillaume, « Le théâtre prend vie au cœur du conflit », Le Devoir, 3 mai 2021
« Alex Ivanovici [cofondateur des Productions Porte Parole, spécialisées dans le théâtre documentaire] ne doute pas de son côté qu’il y a dans la population un « appétit » pour autre chose que la polarisation. Il emploie l’image d’un bateau pour illustrer : la polarisation serait essentiellement constituée des remous que la proue provoque en fendant l’eau en deux.
Mais il y a moyen de mettre le bateau à l’eau plus doucement, dit-il. Ou de considérer le sillage qu’il laisse derrière lui : dans cette zone ouverte où les turbulences de l’eau sont moins vives, il y a « de la place pour un discours plus élargi », pense Ivanovici. »
> Baillargeon, Stéphane, « Beaucoup de chicanes dans ma cabane », Le Devoir, 3 mai 2021
On y interroge (enfin) le professeur de littérature de l’UQAM Dominique Garand, spécialiste du discours social, auteur de l’Anthologie du pamphlet et de la polémique au Québec de 1800 à 2000 (à paraître aux PUM). On y précise la différence entre « débat » et « polémique ».
> Coallier, Marie-France, « La polarisation vue par Mélikah Abdelmoumen » (vidéo), Le Devoir, 1er mai 2021 (2 min 19)
Dans une vidéo très simple filmée avec un téléphone, l’autrice explique la démarche qui l’a mené à écrire le texte d’opinion que nous avons cité dans le texte principal. Elle y apparaît chaleureuse, réfléchie, très accessible et brillante. Une conférencière à inviter?