Pédagogique Point chaud / en émergence

Un climat d’évaluation des apprentissages toxique pour tout le monde

En cette période de fin de session, il n’est pas étonnant que la tricherie dans les évaluations refasse surface de manière marquée, doublement marquée puisque la distance a fait monter de plusieurs crans les craintes de fraude lors des examens, notamment.  Ces articles ne font plus l’objet de dépêches, car ils comprennent rarement un nouvel élément, un nouvel angle, une nouvelle orientation.  Mais, voici que mon collègue Jean-Sébastien Dubé m’a fait suivre un article qui justement apporte un petit quelque chose de différent : une réaction des étudiantes et des étudiants face aux soupçons dont ils font les frais de la part des enseignantes et enseignants et des gestionnaires de leur université. 

Ainsi, Antoine Belisle-Cyr, président de l’Association générale des étudiants de l’UQTR a réagi aux propos de Gilles Bronchti, président du Syndicat des professeur(e)s de l’UQTR qui ont été rapportés dans un article du Nouvelliste du 7 décembre dernier : la tricherie expliquerait la hausse des notes (10 points de plus en moyenne) dans des cours qui comprennent des examens à distance.  M. Belisle-Cyr « déplore que face à la situation qui est vraiment anxiogène et qui touche encore plus la population étudiante il y ait ce genre de procès d’intention envers les étudiants la veille de la semaine des examens et des travaux de fin de session ».  Il émet l’hypothèse que la hausse des notes pourrait provenir du fait que les étudiantes et étudiants sont plus à l’aise de faire leur examen à la maison parce ce que cette dernière leur offre plus de concentration et plus de confort… 

Par ailleurs, l’AEUQTR se demande ce qui a poussé le syndicat des professeurs à faire une sortie publique sur cette question à ce moment-ci de la session :

  1. « Est-ce qu’il met sur la place publique un doute sur la formation à distance?
  2. Est-ce que les professeurs ont réellement adapté leurs cours, incluant les modalités d’évaluations (sic) qui ont été données par l’UQTR?
  3. Les formations aux professeurs que l’Université a faites sont-elles mises à profit?
  4. Est-ce que le financement supplémentaire qui a été donné aux départements sert réellement à l’embauche d’auxiliaires en enseignement pour alléger la tâche de correction des évaluations lorsqu’il y a des questions à développement? »

Ce sont là des questions fort pertinentes qui touchent à la pédagogie…

Enfin, le président de l’association étudiante émet des réserves face à l’utilisation de logiciels de surveillance, notamment parce que les atteintes à la vie privée sont réelles et que les données personnelles ne lui semblent jamais vraiment bien protégées.

Ces craintes de tricherie créent un climat de méfiance hautement toxique qui nuit à l’alliance pédagogique entre les étudiantes et étudiants et les enseignantes et enseignants et qui nuit à l’apprentissage. 

  • Toxique pour les étudiantes et étudiants, qui font l’objet de suspicion non discriminée et qui se plaignent de comportements abusifs de la part des enseignantes et enseignants qui veulent absolument contrôler l’environnement dans lequel chaque étudiante, étudiant fait son examen à distance.
  • Toxique pour les enseignantes et enseignants, qui doutent de l’honnêteté de leurs étudiantes et étudiants, ce qui les conduit à les voir toutes et tous comme des tricheuses et tricheurs en puissance qu’il faut surveiller à tout prix. 

Bref, tout le monde est malheureux…

Dernièrement, j’ai eu le plaisir de coanimer avec une collègue conseillère pédagogique une activité sur la prévention de la tricherie en faisant preuve de créativité dans son enseignement.   Les enseignantes et enseignants étaient invités à préciser leur(s) crainte(s) concernant la modalité d’évaluation choisie pour évaluer l’apprentissage le plus important de leur cours.  Les discussions ont été riches et instructives.  En les écoutant, une question a surgi dans mon esprit : Que se passerait-il si on autorisait ce qu’on interdit habituellement?

Il me semble que si on le faisait, en y associant certaines conditions, non seulement on réduirait grandement les risques de tricherie mais en plus on favoriserait le développement de certaines compétences très prisées (recherchées) sur le marché du travail.

Interdit (délit selon le Règlement des études)Permis avec des conditions favorisant l’intégritéDéveloppement de compétences professionnelles
Consultation de pairs, de collègues, d’experts
(aide non autorisée)
Mention des personnes consultéesLa reconnaissance de la contribution d’autrui
Travail en équipe
(aide non autorisée)
Mention des membres de l’équipeLa collaboration et le travail d’équipe
Recherches sur le web (risque de plagiat)Mention des sites web consultés et justification des sites choisisLes compétences informationnelles
L’esprit critique

Qu’en pensez-vous? 

Sources

Trahan, Brigitte.  Tricherie: l’AGEUQTR se questionne sur les affirmations des professeurs. Le Nouvelliste.  9 décembre 2020.

Trahan, Brigitte.  La tricherie aux examens préoccupe les profs de l’UQTR Le Nouvelliste.  7 décembre 2020.

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Sonia Morin

2 Commentaires

  • Chère Sonia, votre proposition me paraît tout à fait intéressante et semble pertinente, notamment dans le cas où les pratiques que vous suggérez font l’objet de formation et d’entraînement de façon à ce que les étudiants puissent s’en emparer.
    Mais si je me permets ce commentaire, c’est d’abord pour insister sur le fait que c’est vraisemblablement au enseignants de mettre en œuvre des examens pour lesquels ils minimisent la possibilité de triche.
    Je crois que nous devons (nous, les enseignants) profiter de ces conditions pour travailler au développement des plus hautes capacités cognitives que Bloom, puis Anderson et Krathwol ont mises en évidence : dépasser la mémorisation pour aller vers l’analyse, le jugement ou la créativité.
    Il me semble bien certain que, si nous nous contentons de demander à nos étudiants une régurgitation des informations que nous nous sommes contentés de leur transmettre durant le semestre, nous pourrions être fondés à nous inquiéter de la possibilité de triche… En effet, si nous ne cherchons pas à former leur capacité d’analyse, si nous ne les aidons pas à construire des raisonnements pour faire part des réflexions que leur analyse d’une situation, si nous nous contentons de faire appel à leur mémoire, alors non seulement nous les encourageons à tricher mais aussi à bachoter et à ne pas approfondir leurs apprentissages.
    Leur faire analyser un cas peut nous permettre de vérifier leur compréhension de ce que nous avons travaillé avec eux, leur demander d’exprimer un diagnostic en étayant leurs décisions de bons arguments et en l’illustrant d’exemples pertinents, faire appel à leur créativité pour les solutions qu’ils préconisent afin de résoudre la problématique du cas… tout cela devrait les mettre face à leurs compétences individuelles, celles que nous avons travaillées avec eux au long de ce semestre.
    Mais peut-être suis-je naïf ?
    Je vous remercie de votre attention.
    Franck Bertucat

    • Bonjour à vous!
      Je suis tout à fait d’accord avec vous et je milite depuis longtemps pour les enseignantes et les enseignants travaillent au développement de compétences de haut niveau : analyse, jugement, créativité… mais aussi compétences informationnelles et rédactionnelles… En fait, je parle aujourd’hui de développer la littératie informationnelle, médiatique et informatique, les trois pôles de la translittératie selon Frau-Meigs, car on ne peut plus fait abstraction du numérique qui “colore” désormais notre société : il faut composer avec pour ne pas être à sa merci.
      Dernièrement, j’ai « commis » deux documents relatifs à l’évaluation des apprentissages :
      • une fiche pédagogique intitulée Prévenir la tricherie chez les étudiantes et étudiants en étant créatif dans son enseignement et ses évaluations
      • un document de 2 pages intitulé Pour en finir avec la tricherie : des environnements éducatifs centrés sur l’apprentissage.

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