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Désinformation: vers une guerre  contre la connaissance même? 

Veille Magazine est une publication française créée en 1996 et consacrée à la maîtrise stratégique de l’information et des connaissances. David Commarmond est depuis 2011 le rédacteur du secteur technologies de ce magazine. C’est un professionnel reconnu dans le domaine de l’intelligence artificielle et de la sécurité informatique. 

Commarmond a assisté au Salon i-expo Data Intelligence Forum dont la 31e édition s’est tenue à Paris les 19 et 20 mars derniers. Il rapporte notamment les échanges d’une table ronde intitulée « Désinformation : la repérer et la contrer pour assurer la confiance dans l’information », animée par Thibault Renard du Cybercercle qui a réuni quatre experts du monde de la défense pour explorer « les multiples facettes de ces phénomènes, des stratégies étatiques aux vulnérabilités des entreprises, en passant par les attaques visant la connaissance scientifique elle-même ». D’après Commarmond, 

« Cette table ronde a mis en évidence la complexité et la multidimensionnalité des enjeux liés à la désinformation et aux fake news. Qu’il s’agisse de souveraineté scientifique et économique, de stabilité démocratique ou de confiance publique, les défis sont immenses. » 

Les lecteurs de L’éveilleur pourront constater que s’y dessine également tout un vocabulaire – que j’ai tenté de mettre en exergue – pour nommer les multiples dérives actuelles de l’information. Ces nouvelles expressions laissent penser que l’idée même de fausses nouvelles (ou infox) ne serait que la pointe d’un iceberg aussi sournois que terrifiant… 

Les panélistes étaient… 

  • Pierre Carpe de Baillon du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), a mentionné que 
  • « la désinformation n’est pas toujours volontaire et peut résulter de manipulations biaisées ». 
  • Chloé Debiève du Centre interarmées de concepts, doctrines et expérimentations (CICDE). Elle a expliqué que… 
    • l’influence se veut « une action visant à agir sur les perceptions et modifier les comportements d’un acteur dans un sens favorable, sans contrainte », tandis que 
    • la lutte informationnelle « vient participer à cette stratégie d’influence en mêlant actions défensives et offensives ». 
    • Quant à lui, le concept de malinformation renvoie à « l’usage d’une information véridique, mais détournée pour nuire ou porter atteinte ». 
  1.  

Mme Debiève a rappelé « l’usage croissant de l’information comme arme dans les conflits modernes, tels qu’en Ukraine et au Proche-Orient, pour imposer une vision du monde ». 

  • Caroline Rabourdin, chercheuse et consultante, spécialisée dans les domaines de la sécurité et de la défense. Son expertise touche la communication stratégique et la gestion de l’information dans des contextes sensibles. Elle a notamment exposé le phénomène de… 
  • la guerre de l’information dans le monde de l’entreprise, soit « l’utilisation offensive des outils d’information et de communication pour déstabiliser un adversaire ». Les impacts très concrets d’une telle guerre incluent « des pertes financières, une détérioration de [la] réputation, et une crise de confiance parmi [les] parties prenantes ». 

Mme Rabourdin a souligné « le manque de sensibilisation des entreprises françaises, rendant l’économie nationale vulnérable ». [NDLR: On peut penser, compte tenu des nombreuses inexactitudes relayées dans le contexte des tensions commerciales actuelles avec notre voisin du sud, que les entreprises canadiennes n’y étaient pas non plus particulièrement préparées.] 

  • Cléo Collomb, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris-Saclay, a quant à elle introduit… 

la notion de guerre cognitive, qui cible non pas l’information, mais la connaissance elle-même. « [L]a guerre cognitive vise à perturber la construction de la connaissance, notamment à travers des attaques sophistiquées sur les écosystèmes scientifiques » [nos emphases]. 

Elle a mentionné le projet de recherche SPREADS (pour Scenarios of Potential Risks Evolution through Algorithms and Data in Sciences) qu’elle coordonne. Il s’agit d’une étude prospective basée sur l’hypothèse d’un sabotage radical des bases de la cognition par la corruption du savoir scientifique. On y explore « une attaque de la science, lorsque celle-ci repose en partie sur des bases de données massives et ouvertes, des IA et des outils soumis à une propriété intellectuelle opaque ». 

Des pistes de solutions… 

Devant l’ampleur de ces défis, les panélistes « ont insisté sur l’urgence d’un engagement massif de la société », parce que « [l]a lutte contre la désinformation est un effort continu et collaboratif, nécessitant l’engagement de tous les acteurs » sociaux. Ils ont appelé à… 

  • une prise de conscience collective, « en multipli[ant] les prises de parole publique pour sensibiliser la population » et l’augmentation « de la sensibilisation au sein des entreprises et des cercles scientifiques », 
  • un renforcement de l’esprit critique, en offrant « au public des outils adaptés pour cultiver l’esprit critique »; 
  • à une adaptation constante des stratégies, en développant « des solutions technologiques pour filtrer et traiter les données », mais aussi « par la diplomatie numérique et le wargaming ». 

Patrick Cappe de Baillon a voulu tirer la sonnette d’alarme quant à « l’urgence de la situation, particulièrement aux États-Unis, où la science devient la victime directe d’une guerre contre la connaissance, […] combinée aux actions de régimes autoritaires ciblant la connaissance ». Il en appelle à « un engagement massif de la société et [à] une prise de conscience individuelle. [Selon lui], [i]l est crucial de développer un meilleur équipement intellectuel pour se défendre contre les manipulations » [nos emphases]. 

Pour sa part, Chloé Debiève martèle « l’importance de maintenir les réponses dans le strict cadre de nos valeurs profondes, sans adopter les stratégies des manipulateurs ». Elle encourage « la transmission des connaissances par des conférences et webinaires, tout en promouvant le wargaming, un outil ludique pour modéliser et anticiper les enjeux de l’influence ». [nos emphases] 

Dans le monde des entreprises, Caroline Rabourdin mise sur « le potentiel encore largement inexploité de la diplomatie numérique » qui consiste notamment « à collaborer avec les réseaux sociaux pour modérer les contenus diffamatoires » et sur « la création de départements dédiés à la Trust and Safety […], chargés de traiter la désinformation, modérer les contenus et enquêter sur les attaques ». [nos emphases] 

La conclusion de Cléo Collomb part de l’idée que « [m]anipuler les opinions publiques nécessite une coordination d’actions sur différentes temporalités » [notre emphase]. Elle cite une analogie tirée du livre Black Trends: Un monde en rupture (2023): « Les termites sont invisibles et agissent sur le long terme, les fourmis sont discrètes et travaillent sur le moyen terme, et le frelon, visible et effrayant, sur le court terme. » Elle estime que les réponses à apporter à la désinformation doivent suivre cette même logique : 

  • long terme: « un travail de fond sur la compréhension des processus de construction de la connaissance (enseignement, recherche) », 
  • moyen terme: « documentation et sensibilisation pour augmenter la prise de conscience », 
  • court terme: « fact-checking [vérification des faits] réactif ». 

Sources: 
Commarmond, David (2 Avril 2025), « Documation, I-expo, Digital Workplace 2025 : Un monde en mutation sous nos yeux ! »,Veille Magazine

Commarmond, David (2 Avril 2025), « Lutter contre la Désinformation la repérer et la contrer : une table ronde très suivie ! », Veille Magazine.

Impact écologique des intelligences artificielles
Le site Bonnes pratiques d’enseignement (U. Laval) 
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À propos de l'auteur

Jean-Sébastien Dubé

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