Article de janvier dernier qui m’avait échappé… Un professeur de médias et cinéma de l’Université d’Illinois, politiquement actif sur les réseaux sociaux, a vu un de ses principaux détracteurs/ harceleurs en ligne s’inscrire à l’un de ses cours à titre d’étudiant libre. Il souhaitait l’en empêcher mais son doyen et les services de sécurité de son établissement lui ont signifié qu’ils ne pouvaient pas intervenir…
Il a donc présenté une résolution pour évaluation par le sénat de son université dans laquelle il demandait qu’un département puisse empêcher un étudiant présentant un historique de “trolling, de poursuite persistante, de harcèlement, d’obsession” envers un membre du personnel enseignant de suivre des cours avec ce dernier. Son argument: “When you let a person into a classroom who is not there for any educational purpose, and in fact is there for nefarious purposes, […] “you destroy the integrity of the classroom.” [Pettit, 2019] Certains de ses collègues sont sympathiques à cette opinion, compte tenu du caractère sacré de la classe…
Le comité des politiques de l’Université d’Illinois a modifié significativement la résolution initiale. Pour des raisons de liberté d’expression des étudiants, il n’est pas question de les exclure d’emblée d’un cours… Il faudrait qu’ils aient effectivement perturbé le bon déroulement d’une classe. “It became clear, [Nicolas C. Burbules, Professor in educational policy, organization and leadership, who leads a university policy committee] said, that banning students for what they might do in class, based on what they’ve previously said, isn’t the right approach.” [Pettit, 2019]
En gros, on considère que les règlements existants à l’Université d’Illinois permettent aux enseignants d’exclure une étudiante ou un étudiant qui perturbe le climat de classe, mais que ces règlements sont épars et qu’il faudrait les réunir et les organiser en une seule ressource Web. Les membres du comité s’avouent néanmoins embêtés par la question du harcèlement en ligne: “…[W]hile existing policies do prohibit students from disrupting others’ learning, the issue of online criticism or students enrolling in a professor’s class to spy or get “dirt” to share is more vexing.” [Pettit, 2019]
Notamment, les membres du comité trouvaient très difficile de définir ce qui constitue une attitude de “troll” (« Personne qui publie sans relâche des messages volontairement provocants sur Internet dans le but de soulever des polémiques et de rompre l’équilibre d’une communauté donnée. » (OQLF, 2013)). Pour reprendre l’exemple donné dans l’article, est-ce que traiter quelqu’un en ligne de fasciste anti-intellectuel va trop loin? Dans certains cas, oui; dans d’autres, non.
“If you say something in your class that is provocative or controversial and someone puts it on social media saying, ‘You won’t believe my professor said so-and-so,’ and you did say it, well, that’s the time we live in,” [Burbules] said. “The fact that a student has a motive to undermine or make you look bad is a problem. But I don’t know how you could prevent them from doing it.” [Flaherty, 2019; notre emphase]
À l’Université de Sherbrooke, une telle situation se résoudrait différemment. Selon Me Isabelle Duclos, conseillère à Respect (anciennement Respect, prévention et soutien en matière de conflits et de harcèlement), l’employeur a le devoir d’offrir un milieu de travail sain à l’ensemble de ses employés. Le mandat du Service des ressources humaines inclut par ailleurs d’agir avec diligence afin de prévenir ou d’éviter que des situations problématiques ne dégénèrent. Un étudiant peut exprimer une opinion négative (par exemple, à la suite d’une évaluation défavorable de ses apprentissages), mais tout dépend de la façon dont il le fait. Il ne peut en aucun cas menacer ou faire montre de discrimination dans ses propos envers l’enseignante ou l’enseignant. La définition de “harcèlement” (psychologique dans ce cas-ci) devient importante: « conduite vexatoire se manifestant par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, hostiles ou non désirés par la personne visée ». Elle suppose donc des propos ou des gestes à répétition (ou une seule conduite grave) provenant de la même personne ou proférés de manière organisée par plusieurs personnes (notion de mobbing). Mais même s’il ne s’agit pas à proprement parler de harcèlement psychologique, l’employeur peut prendre des actions envers le ou les étudiants abusifs. Mentionnons enfin que la Politique sur la promotion des droits fondamentaux des personnes et la prévention de toute forme de harcèlement et de discrimination ne fait aucune distinction entre des propos tenus en ligne (quelle que soit la plateforme) ou en présence… S’il s’agit de harcèlement, ça le demeure peu importe où cela se produit. Bien entendu, si les propos sont tenus sous le couvert de l’anonymat, il est plus difficile d’agir. Dans ces circonstances, des activités de sensibilisation qui cibleraient des groupes en particulier pourraient être offertes concernant des conduites inadmissibles et irrespectueuses.
Sources:
Conversation téléphonique avec Me Isabelle Duclos, conseillère en matière de respect des personnes, Respect, le jeudi 11 juillet 2019
Flaherty, Colleen, « Trolls in the Classroom », Inside Higher Ed, 29 janvier 2019
Pettit, Emma, “When Online Trolls Show Up in Class, Should Professors Be Able to Ban Them?“, The Chronicle of Higher Education, 28 janvier 2019

