Le prix nobel Carl Wieman, professeur de physique à l’University of British Columbia (UBC) vient de publier une étude avec des co-auteurs dans la prestigieuse revue savante Science qui démontre une fois de plus la supériorité de l’apprentissage actif sur l’exposé magistral. Pour leur étude, les physiciens ont remplacé une séance d’exposé magistral de trois heures par de séances d’une heure d’une forme d’apprentissage par problèmes (APP), tout en comparant avec des étudiants recevant le même cours dans son format traditionnel (exposé magistral). Les activités d’APP proposées étaient conçues de façon à mettre les étudiants en situation de pratique délibérée (deliberate practice), une forme d’entraînement cognitif qui est la composante majeure du développement de l’expertise. Les résultats sont spectaculaires : à un examen à choix multiples, les étudiants du groupe APP ont eu des résultats deux fois meilleurs que ceux du groupe en enseignement magistral. L’intérêt, l’engagement et la présence en classe ont aussi augmenté.
Le New York Times a publié un article sur cette étude, où certains experts interrogés se montrent critiques. Le professeur de psychologie cognitive de l’apprentissage Daniel T. Willigham (un expert souvent consulté par le NYT) mentionne notamment que le contrôle des variables laisserait à désirer, ce qui ne permettrait pas de savoir avec une grande certitude à quelles différences entre les deux approches la différence de résultats serait attribuable. Une autre critique de Willingham est que l’application des découvertes de sciences de l’apprentissage dans la salle de classe est plus complexe que les auteurs de l’étude ne veulent bien le laisser croire. De plus, un fort taux d’absentéïsme dans le groupe contrôle diminue la validité de la comparaison entre les deux groupes. Finalement, comme les auteurs eux-même ont participé à l’expérience en classe, il pourrait y avoir eu des biais systématiques involontaires, par exemple en ajustant l’enseignement aux questions du test à venir. En somme, vu ces problèmes méthodologiques, on pourrait dire que la conclusion n’est pas très robuste, mais vu l’existence de nombreuses études préalables qui ont des conclusions semblables, le coeur de cette étude devrait être valable.
Personnellement, je suis perplexe à l’idée que l’on fasse si grand cas d’une étude manquant de rigueur qui ne nous apprenne rien de nouveau, si ce n’est confirmer ce qui est déjà connu depuis de nombreuses années par les chercheurs en sciences de l’apprentissage et en psychologie de l’expertise. C’est probablement un signe que ces découvertes n’ont pas été très bien propagées à l’extérieur de leur champ disciplinaire.
Malgré ces critiques, il faut se réjouir de trois choses.
Premièrement, la publication de résultats en sciences de l’apprentissage dans une revue lue par des scientifiques de toutes les disciplines est justement une excellente occasion de propager ce genre de découvertes à un public pluridisciplinaire.
Deuxièmement, la revue Science est si prestigieuse qu’en publiant un tel article, elle peut contribuer à faire évoluer les mentalités de professeurs qui étaient jusqu’ici peu enclins à changer leurs méthodes en classe.
Troisièmement, le fait qu’un prix nobel de physique s’intéresse à la recherche sur la pédagogie et la didactique de sa discipline contribue à légitimiser ce champ de recherche pour tout un pan de la communauté scientifique. Il y a d’ailleurs un lien à faire avec les scholarships of teaching and learning sur lesquels Sonia Morin a rédigé plusieurs billets, puisque le professeur Wieman consacre sa recherche des dix dernières années sur l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage des sciences au premier cycle universitaire en s’appuyant sur les données probantes pertinentes, avec un financement de 12 M$.
Reçu via Marc Couture (par courriel) et Roger Schank (sur twitter)