Les sept recommandations du rapport Bastarache reposent sur une importante réflexion étayée par de la recherche sur les situations qui prévalent dans plusieurs autres universités, ainsi que sur la centaine de mémoires reçus par le Comité sur la liberté académique de l’Université d’Ottawa. Il nous a semblé intéressant de souligner certains passages significatifs de ces recommandations, simplement pour attirer l’attention de la lectrice ou du lecteur sur ces éléments précis.
« a. Le Comité a constaté qu’il y a un manque de constance dans l’appréciation du contenu des notions de liberté académique et de liberté d’expression; or, il est nécessaire que chacun comprenne ce qui fait réellement partie de ces droits pour que ceux-ci soient mis en œuvre. Sans modifier le contenu des règlements actuels, le Comité recommande que ces définitions soient communiquées à l’ensemble de la communauté universitaire et qu’elles se traduisent dans des principes pratiques, qui puissent être opérationnalisés. La communauté universitaire doit aussi être informée du mécanisme de traitement des plaintes et des critères auxquels il fait appel.
b. Bien que plusieurs intervenants aient fait valoir qu’il existe un mécanisme de traitement des plaintes, il appert qu’il est méconnu et considéré comme inadéquat pour traiter les affaires qui mettent en cause la liberté académique et la liberté d’expression. Afin de raffermir la protection de la liberté académique et de rassurer la communauté universitaire, il est proposé : d’établir un comité permanent d’examen et de mise en œuvre de la politique sur la liberté académique et la liberté d’expression.
Ce comité serait habilité à recevoir les plaintes et préoccupations portant sur la liberté académique de la part des professeurs ainsi que sur la liberté d’expression de la part de tout membre de l’Université qui se juge lésé dans l’exercice de ses fonctions, et à faire des études et examens approfondis sur la question à l’Université. Ce comité pourrait veiller à l’analyse de la mise en œuvre des politiques et principes de liberté académique et de liberté d’expression dans l’ensemble des activités (enseignement, recherche, conférences académiques, etc.) sur le campus et produire un rapport annuel faisant état des plaintes reçues et traitées ainsi que des dossiers d’analyse qu’il a entrepris. Son rapport annuel serait transmis au vice-rectorat aux affaires académiques et annexé au rapport annuel du vice-rectorat au Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur.
En somme, ce comité viendrait appuyer le vice-rectorat aux affaires académiques dans son mandat de protection de la liberté académique, lui permettant ainsi d’avoir de meilleurs moyens d’assumer ses responsabilités en la matière et d’avoir une capacité accrue de reddition de comptes auprès de la communauté universitaire et du Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur.
c. Les membres estiment qu’il n’est pas suffisant pour ce comité d’entendre les plaignants, de faire des enquêtes et d’imposer des sanctions. De fait, il y a des cas où la solution ne sera pas de redresser de façon punitive. Il lui faudra d’abord définir clairement la nature de la plainte ou de l’évènement troublant. Il lui faudra ensuite examiner la situation en appliquant des critères bien connus (tels que recommandés à la Section J) et en tenant compte du fait que la liberté académique suppose, quand c’est elle qui est en cause, que les actions à l’étude ont un objet académique. Il y aura possiblement des cas qui présenteront un double aspect, et il pourrait y avoir superposition de l’objectif académique et d’un objectif plutôt relié à la notion de discrimination pure. Le Comité recommande que l’administration établisse un plan d’action pour combattre le racisme et la discrimination, mais aussi le cyberharcèlement. Cette forme d’atteinte aux deux libertés est de plus en plus présente et de plus en plus difficile à contrôler. Il faudra du leadership pour établir un mécanisme en lequel la communauté universitaire aura confiance, un mécanisme qui établira des conditions pour déposer une plainte, des critères d’évaluation, des mesures de redressement et une procédure de reddition de compte publique. Ce comité permanent pourrait en outre superviser la mise en place d’outils de formation pour les professeurs, notamment afin de les aider à éliminer l’autocensure exercée par certains d’entre eux pour se protéger. Pour ce faire, il pourrait entre autres mobiliser l’expertise et les ressources requises au sein du Service d’appui à l’enseignement et à l’apprentissage de l’Université (SAEA) et allouer les ressources financières suffisantes en vue de bien former le personnel du SAEA.
d. Le Comité croit nécessaire d’établir un programme de formation sur la diversité et l’inclusion, et un service de consultation personnelle pour les professeurs. Il a été bien établi dans les consultations que le corps professoral se dit souvent mal préparé pour faire face au défi soulevé et qu’il est urgent de lui donner l’information et les ressources pour y répondre. Ces moyens peuvent être collectifs, mais ils devront aussi être présents pour conseiller les professeurs individuellement. Ces ressources peuvent être mises à la disposition du corps professoral dans son ensemble, mais elles doivent comprendre un accès à des conseils personnalisés.
e. Les nombreux incidents qui ont créé de l’insécurité chez les professeurs et parfois chez les étudiants ont fait connaître le besoin d’établir des normes de conduite applicables aux étudiants, aux professeurs et aux autres membres du personnel de l’Université, notamment en ce qui concerne l’interdiction de la cyberintimidation; le dialogue et la recherche de la vérité ne sont pas possibles si les différences d’opinions donnent lieu à l’invective et à l’insulte, au manque de respect envers la diversité et à l’atteinte à la dignité des personnes. L’Université doit réglementer ces comportements et possiblement revoir la portée des principes qui sous-tendent le Règlement 121 relatif à la Politique sur la liberté d’expression.
f. Le Comité recommande que l’Université affirme la nécessité de protéger la liberté académique et la liberté d’expression aux fins de la réalisation de la mission de l’Université en matière d’enseignement et de recherche. Le Comité est de ce fait en désaccord avec l’exclusion de termes, d’ouvrages ou d’idées dans le contexte d’une présentation ou d’une discussion respectueuse de nature universitaire et dans un but pédagogique et de diffusion des savoirs. Même si l’Université pouvait adopter des politiques et règlements qui auraient pour effet de limiter les libertés universitaire ou d’expression, tout en respectant les conventions collectives, et que plusieurs intervenants ont demandé que l’Université intervienne lorsqu’il est question de sujets délicat, le Comité n’est pas favorable à la censure institutionnelle ni à l’autocensure quand elle est susceptible de compromettre la diffusion des savoirs et qu’elle est motivée par la peur de réprobation publique. Le Comité est d’avis que les étudiants et les membres de la communauté universitaire doivent être disposés à traiter d’un sujet délicat dans un contexte académique. Le préavis de traitement d’un sujet jugé délicat par certains étudiants, afin d’éviter que ceux-ci soient pris par surprise, est cependant utile dans certaines circonstances; il ne doit pas avoir d’effet sur la responsabilité professionnelle du professeur.
g. Le Comité recommande que l’Université réaffirme de façon certaine son attachement aux libertés académique et d’expression, et précise ses droits et obligations comme établissement d’enseignement. Les membres de la communauté universitaire doivent être assurés de l’appui de l’Université lorsque leurs droits à la libre d’expression sont en cause et pouvoir compter sur un mécanisme compétent pour traiter les problèmes qui les préoccupent à ce titre. » [nos emphases]
Source:
Bastarache, Michel et al., Rapport du Comité sur la liberté académique, Université d’Ottawa, 2021, 196 p. [document PDF]
Ouf… Ça reste très délicat ce dossier. Quand même les membres du comité se désolidarisent: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1840978/rapport-bastarache-universite-ottawa-liberte-academique-retrait-annexes