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Interne: Rapport d’étonnement – Journée annuelle de ressourcement pédagogique en entrepreunariat et innovation à HEC Montréal

Le 14 août 2019, j’assistais pour la première fois à cette journée organisée depuis près de dix ans par Franck Barès, professeur d’entrepreneuriat à HEC, et Louis Jacques Filion, professeur émérite dans le même domaine, retraité d’HEC depuis trois ans.  Ce dernier est visiblement une sommité dans le domaine, ayant commencé à enseigner cette discipline il y a une quarantaine d’années alors qu’elle était encore très marginale.  Plusieurs des conférenciers semblaient d’anciens collaborateurs ou étudiants et la table de vente de livres comptaient plusieurs ouvrages qu’il avait signés ou cosignés.

Afin de garder ce rapport d’étonnement relativement concis, je commencerai par un commentaire général sur la journée, je ne reprendrai que certaines présentations dont des éléments m’ont marqué, puis je compléterai avec des observations compétitives acquises sur le terrain,

Commentaire général

Alors que je souhaitais en apprendre davantage sur la pédagogie entrepreneuriale, cette journée a plutôt constitué pour moi un cours accéléré sur l’entrepreneurship et la situation des PME au Québec.  J’ai appris plein de néologismes comme le “repreneuriat” (terme popularisé par Berengère Deschamps), le “prétotypage“, l'”état gazeux” (projet à définir) et l'”état de cristallisation” (création d’entreprise), la “collapsologie“, le “Youpreneuship” (l’entrepreneuriat des influenceurs sur YouTube), etc.  Les quelques présentations qui portaient davantage sur la pédagogie et le “comment” enseigner cette matière un peu particulière, plus proche de la pratique que de la théorie, ont été peu discutées et, me semble-t-il, rapidement évacuées.

Il faut dire que la gestion du temps a été problématique tout au long de la journée : l’hôte qui démarre avec un mot d’introduction d’une demi-heure, des périodes de discussions tronquées ou coupées parce que les conférenciers dépassaient tous le temps alloué…  Bon, ce n’est rien de nouveau dans le monde universitaire, mais ça a certainement nuit à la richesse qu’apportent des échanges et contribué à la fatigue alors qu’une bonne partie des participants se sont éclipsés en après-midi.  C’est dommage parce que certaines présentations de la fin de la journée m’ont semblé parmi les meilleures.  Les présentations, qui devaient se conclure à 17 h, auront finalement duré jusqu’à 18 h.

Présentations

État de l’entrepreneuriat au QuébecGlobal Entrepreneurship Monitor (GEM) par Marc Duhamel, économiste, UQTR

  • Excellente idée que de commencer la journée avec cette présentation ramassée qui plaçait bien l’état actuel de la PME québécoise en contrastant sa réalité observée scientifiquement au regard jovialiste proposé par les médias.
  • Ce que Duhamel qualifie de “double érosion” de la base entrepreneuriale québécoise, c’est…
    • la faible résilience après l’étape de la start-up (il y a peu d’entrepreneurs établis qui se sont versés un salaire pendant 41 mois et plus… ou sinon ils veulent quitter ce mode de vie après cette période).
      • 4/5 des entrepreneurs font de l'”entrepreneuriat hybride”… c’est à dire qu’ils conservent un autre emploi et ne peuvent pas se consacrer entièrement à leur projet.  Il y a donc plus de chance de retourner à l’employeur lorsque ça devient difficile.  Le climat économique favorable avec un faible chômage rend les risques de l’entrepreneuriat moins attrayants.
    • l’essoufflement en fin de processus (peu de passation).
      • Plus de 200 000 PME fermeraient ou seraient transférées dans les prochaines années, soit 30 % du total (c’est même 40 % dans certains secteurs).

Identification des besoins et priorités en formation pour, par et avec les entrepreneurs naissants du Québec avec Martin Cloutier, UQAM, et Claudia Pelletier, UQTR

  • Retour d’un groupe de recherche qui travaille avec des entrepreneurs afin d’évaluer leurs besoins de formation continue, compte tenu de ce qu’ils valorisent et des défis qu’ils rencontrent.
    • Une prise de conscience troublante: le numérique n’est jugé ni prioritaire, ni important par les entrepreneurs de micro (moins de 4 employés) et petites entreprises (moins de 25 employés).  Les compétences informationnelles font partie des compétences dites “complémentaires et génériques”…

Pédagogie de l’Espace expérientiel (E²) : remise en question de l’enseignant sur sa place et son rôle dans l’espace de formation avec Jean Bibeau, Université de Sherbrooke

  • J’avais beaucoup entendu parlé du professeur Bibeau et de sa façon assez unique d’enseigner. C’était très enrichissant et c’est visiblement un électron libre et passionné.  Sa question de base « Comment enseigne-t-on en 2019? » est essentielle.  Il se place nettement du côté du “Guide On the Side“, ce qui fait réagir enseignants et étudiants.  De sa présentation me sont restées trois questions assez fondamentales me semble-t-il:
    • Comment l’enseignant accompagnateur permet-il l’apprentissage de concepts qui n’ont pas émergé naturellement au fil des discussions entre les étudiants?
    • Si la réflexion des étudiants sur leur pratique se fait au fur et à mesure de cette « classe ouverte », comment permet-elle le recul?  Est-ce que l’étudiant sort de la classe pour réfléchir ou cesse de discuter pour noter ses découvertes?  Il s’exclut alors de l’expérientiel… Comment pourra-t-il y revenir?
    • Enfin, et c’est plus par intérêt personnel, comment Bibeau intègre-t-il le storytelling dans sa vision de l’enseignement?  Est-ce seulement une manière d’améliorer les “pitchs” de vente des étudiants?  Il semble vouloir qu’ils soient capables de formuler l’« histoire » de leur projet et de leur parcours d’individus dans ces démarches de changement.  J’aimerais en savoir plus…
  • Le professeur Denis Bédard travaille avec lui pour documenter sa façon de faire du “Learning by Doing”.  Déjà des entrevues avec 25 à 30 étudiants, ainsi qu’avec 8 à 10 enseignants, auraient été réalisées.

La pédagogie à vélo : comment coupler effort collectif et rencontres de PME historiques au rayonnement international
Enseignements issus du pilote lors d’un “Bike Trip” réalisé entre Lyon et le Mont Ventoux avec un groupe d’étudiants de emlyon à la rencontre de talents de terroir, par Régis Goujet, EM Lyon

  • Jolie formule, d’ailleurs adaptée de ce que HEC avait fait au Québec en se rendant dans la région de Boston…  Très riche à cause de la force de d’une expérience en continue sur 6 jours.  Nécessité que l’enseignant délègue la majorité de l’organisation logistique aux étudiants.
    • Permet aux étudiants de “voir l’avenir plus large”: ils ne se voient plus nécessairement comme gestionnaires dans des bureaux.
    • Rend le rôle du professeur plus flou…  Peut-il “prendre un coup avec ses étudiants”?  Se sent un peu comme un parent qui s’inquiète, etc.
    • Cela me semble difficilement viable compte tenu des très petits nombres qui peuvent participer à de telles expériences.  M’apparaît plus réaliste en parascolaire.

La communauté de pratiques d’entrepreneurs via le mentorat de groupe, de Lawrence Veilleux, Fondation de l’entrepreneurship

  • Les différences restent très floues entre codéveloppement (M. Veilleux assure que ce n’en est pas!), mentorat de groupe, communauté de pratique, etc.  Et comme on ne semble pas vouloir s’empêtrer dans les définitions…

Un cadre conceptuel pour enseigner l’entrepreneuriat responsable : une perspective deweyenne par Matthias Pépin, Université Laval

  • Seul professeur d’éducation à présenter, le professeur Pépin a été fortement critiqué.
    • Pourtant son projet d’intégrer les notions de développement durable dans l’enseignement de l’entrepreneuriat me semble fort à propos…
      • Nécessité de confronter l’étudiant à “quelles sont mes valeurs”?
    • La notion d’entrepreneuriat responsable semble faire sourciller…  (“Les entrepreneurs d’autrefois étaient aussi responsables et avaient des préoccupations sociales.”; “Toutes les professions ont des escrocs, c’est juste que les médias rendent les entrepreneurs véreux plus visibles…”, etc.)
    • Par ailleurs, son outil “théorique” (le business canevas bonifié) était jugé trop compliqué…

Atelier 3 : Recension d’ouvrages pédagogiques universitaires

  • Christophe Schmitt (2018) La fabrique de l’entrepreneuriat. Paris, Dunod. Université de Lorraine, Nancy. PEEL.
    • Seul des trois ouvrages qui m’ait vraiment intéressé, Schmitt souhaite que dans la formation l’on sorte de la création d’entreprise pour se consacrer à l’entrepreneuriat.  C’est à dire “Comment devenir entreprenant?”, alors que l’entrepreneuriat est vu comme une expérience de vie.  Cela se fait en mettant les étudiants en situation de projet, en les aidant à définir leur rapport au monde, en travaillant sur les “traces de l’intentionnalité” (valeurs, artéfacts), en permettant les retours d’expérience…
    • Pour l’enseignant et pour l’accompagnement entrepreneurial, cela suppose une posture d’accompagnateur/facilitateur.
  • À noter tout même dans le manuel Le management de la PME présenté par Audet et Hamel, l’utilisation d’« avatars », de quatre différents “types” d’entrepreneurs qui traversent les différentes étapes de la gestion d’une PME avec chacun leur façon de faire…  Intéressante aussi leur prémisse: développer un manuel que les étudiants auront envie de conserver après leurs études.

Prétotypage ou l’art de faire semblant pour gagner temps et argent; une présentation du processus développé par Alberto Savoia, auteur du livre The Right It avec Cynthia A Sheehan, Université Laval

  • Intéressant de connaître cette étape qui précède le prototypage alors que l’on cherche à savoir s’il y a de l’intérêt pour un produit ou service en “faisant semblant”.  Ex: mettre un item sur le menu sans pouvoir le préparer, afin de comptabiliser le nombre de fois qu’il est demandé.  Le slogan “Fake it before you make it” résume bien cette attitude…  L’important, c’est de parvenir à des données très claires qui permettent de confirmer l’intérêt autrement que par quelques sondages et voeux pieux d’acheter un éventuel produit.

L’accompagnement de l’entrepreneuriat familial par Luis Felipe Cisneros, HEC Montréal

  • Probablement ma présentation favorite parce que le professeur Cisneros, mexicain d’origine, est fort attachant.  Il a un humour pince-sans-rire qui me rejoint beaucoup et il semble vraiment passionné par son sujet.  Alors qu’il est très loin de mon domaine, il a su réveiller l’étudiant en moi et je me suis pris à me dire que j’aimerais suivre un cours avec lui…  Il rappelait que 70 à 80 % des entreprises sont familiales et constituent donc une part importante du tissu social. Il nous a notamment dirigé vers le site “Mon modèle d’affaires” de la BNC pour un exemple en ligne de Business Model Canevas.

Le guide du parfait facilitateur improvisé Patrice Chessé, Inoë Conseil

  • Vraiment dommage que ce présentateur ait manqué de temps et ait été placé à la fin de la journée parce son intervention aurait pu être passionnante…  Au lieu de cela, j’ai eu l’impression que M. Chessé n’a eu le temps que de surfer sur des lieux communs, sans nous faire expérimenter ce dont il voulait nous entretenir.  Il n’a pas réussi à me faire comprendre en quoi ce qu’il appelle la “facilitation” diffère d’activités de pédagogie active…

Regards compétitifs sur HEC Montréal et autres

Pour moi qui suis toujours troublé par la présence du privé dans le milieu de l’enseignement supérieur, HEC Montréal a été un petit choc.  Je savais que les locaux étaient tous commandités (Banque nationale, Hewlett Packard, etc.), mais la découverte du “Corridor CN” et de la “Rotonde PWC” m’ont fait prendre conscience d’à quel point l’indépendance universitaire avait ses limites…

90 % des entreprises québécoises compteraient moins de 10 employés.  Le Département entrepreneuriat et innovation croit former (avec un accent sur l’interdisciplinarité) la relève économique de demain qui contribue à une bonne partie de notre qualité de vie.  Il me semble qu’il a été question d’un Département n’accueillant que quelques étudiants à sa création devenu celui pour lequel il y le plus de demandes d’inscription à HEC.

L’École de gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières semble une véritable force en recherche sur les PME, notamment avec l’Institut de recherche sur les PME (INRPME)…  Du moins, si on se fie au fait que plusieurs projets de recherche de l’INRPME nous ont été présentés lors de cette journée.

C’est lors de cette journée que j’ai appris qu’un Département d’entrepreneuriat de l’Université de Sherbrooke existait au sein de l’École de gestion…

Le nouveau directeur de HEC Montréal, le professeur Federico Pasin, ingénieur de formation, est venu nous dire quelques mots en matinée.  Rien de transcendant, mais il sera intéressant de voir comment il se distinguera de Michel Patry son prédécesseur, qui a fait trois mandats.

Le nombre de participants à la compétition Social Business Creation sous la direction de la professeure Mai Thai double son nombre de participants à chaque année.  Il en était à 343 participants de 15 pays cette année.  Elle nous réfère au www.theoryofchange.org pour des modèles d’affaires socialement responsables.

Bien qu’il en soit à sa quatrième édition, le manuel de Marketing International de Robichaud et al. apparaît comme une ancienne façon de faire de la formation en ligne avec des vidéos de têtes qui parlent, etc.

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À propos de l'auteur

Jean-Sébastien Dubé

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