Des récentes « Notes de recherche » de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) donnent l’occasion de revenir sur le Rapport Corbo à propos du futur Conseil national des universités (CNU), en attendant que le ministre Duchesne annonce les suites à lui donner cet automne. L’IRIS n’est pas tendre envers le Rapport dont il perçoit qu’il perpétue un modèle néolibéral de l’université.
Rappelons que le rapport Corbo recommande notamment que le CNU:
- soit un organisme consultatif indépendant (doté de son propre personnel et d’un budget de 4 M $/ an), similaire au Conseil supérieur de l’éducation dont il reprendrait le rôle en matière de formation supérieure (éléments des Recommandations 1, 11 et 13);
- ait le pouvoir d’obtenir toute information nécessaire à la réalisation de sa mission et d’accéder aux bases de données des établissements ou des ministères (items de la Recommandation 12);
- ait le mandat d’évaluer « la qualité des activités universitaires, notamment la formation aux trois cycles et la recherche » et de « contribuer à la cohésion du système universitaire dans son ensemble », notamment quant au « déploiement des établissements universitaires et sur la création de nouveaux établissements et de nouveaux campus d’établissements »;
- effectue de la veille en formation supérieure,
- établisse des normes quant aux politiques d’évaluation des programmes, obtienne des rapports sur la mise en oeuvre de ces politiques,
- évalue la qualité des projets de nouveaux programmes d’études [notre emphase],
- examine les pratiques en matière d’évaluation de l’enseignement, d’encadrement des étudiants, d’enseignement ou de formation à distance et identifie des améliorations possibles,
- identifie des indicateurs de mesure quant à la réussite des activités universitaires, examine les grands enjeux de la recherche et les stratégies d’internationalisation des universités. (items de la Recommandation 4)
- joue un rôle conseil de réflexion stratégique auprès du ministre et des établissements quant aux « grands enjeux interpellant l’institution universitaire », l’évolution de la condition étudiante, l’accessibilité et la qualité de l’enseignement universitaire, les progrès de la pédagogie, l’amélioration des taux de diplomation, etc. (éléments de la Recommandation 5);
- prépare tous les 5 ans des rapports sur l’état général du système universitaire et des analyses de secteurs disciplinaires au besoin (item de la Recommandation 6);
- examine périodiquement la formule de financement en comparaison avec celles d’autres états (item de la Recommandation 6);
- doive être consulté par le ministre, avant que ce dernier ne mette en place des mesures, règlements, changements, modifications de chartes, projets d’affiliation dans le réseau (résumé de la Recommandation 7);
- soit composé de 13 membres nommés par le gouvernement sur recommandation du ministre, avec des mandats de quatre ans renouvelables une seule fois (sauf pour le président ou la présidente: mandat de 5 ans, renouvelable) – 7 membres proviennent des établissements universitaires, 5 de la société civile (résumé des Recommandations 8 et 9).
De son côté, Blandine Parchemal, chercheure associée à l’IRIS, s’inquiète de ce que…
- contrairement à la précédente incarnation du CNU (1968 à 1993) qui avait un rôle d’« intermédiaire entre les universités et les pouvoirs publics », le CNU proposé par le rapport Corbo viserait d’abord à « combler le “retard” du Québec dans la mise sur pied de mécanismes d’évaluation de la qualité et ainsi de participer à l’adoption de “meilleures pratiques” observées à travers le monde en matière de qualité » avec « pour objectif de mieux imposer les normes managériales du secteur privé […] et le cadre de la concurrence internationale comme critère d’évaluation. » (p.9)
- le rapport effectue un glissement de sens à propos de la notion d’« autonomie institutionnelle »: « [L]e principe d’autonomie institutionnelle est là pour préserver les pouvoirs des CA quant à la gestion des universités et non pour protéger l’autonomie de l’enseignement et de la recherche universitaire à l’égard des pressions du marché et des acteurs provenant du monde des affaires. » (p.13)
- «…les pouvoirs du futur CNU en matière d’évaluation de la qualité restent de « purs » pouvoirs de recommandation. […] Du pouvoir de recommandation au pouvoir décisionnel, la ligne semble plutôt mince… » (p.13-14) Mme Parchemal observe que les autres organismes de contrôle-qualité cités dans le rapport (essentiellement provenant du monde anglo-saxon) ont de facto un pouvoir décisionnel.
- « Il s’agit pour l’université de s’adapter à la « nouvelle réalité » […], soit celle d’un savoir au service des intérêts privés des entreprises et non plus d’un savoir comme bien commun. » (p.14)
- « Il importe peu que les membres proches de l’université soient ceux qui, par leur expérience quotidienne, aient la meilleure connaissance de l’université et soit les premiers concernés par la question universitaire. Le rapport favorise plutôt l’image de l’expert-e indépendant-e, celui qui, bien qu’habité-e par ses propres intérêts par rapport à l’université, sera perçu-e comme non « engagé-e » dans l’institution, bref comme neutre. » (p.17)
- « …la principale justification donnée au fait que l’évaluation de la qualité doit être au coeur de de la mission du futur Conseil est qu’il s’agit du rôle premier de la plupart des organismes intermédiaires actuels. » (p.17)
- «…le rôle purement consultatif du Conseil s’accompagne d’une absence de discussion possible quant aux finalités de l’institution, absence de discussion jumelée à l’imposition d’une voie à suivre. » (p.22)
- l’on oublie « le rôle de l’université comme lieu de transmission de l’histoire, de la culture, de la littérature, comme lieu de la mémoire sociale. » (p.23)
Les « Notes de recherche » de l’IRIS nous semblent soulever des questions importantes autour de l’esprit du rapport Corbo, notamment quant au glissement sémantique autour de la notion d’« autonomie institutionnelle ». Toutefois, plusieurs critiques nous apparaissent partiales, alors que l’espace pour une réflexion sur les finalités de l’institution universitaire nous semble effectivement avoir été prévu dans le mandat du futur CNU. Par ailleurs, nous nous interrogeons à savoir si un objectif de qualité de la formation doit nécessairement être associé à la logique managériale d’efficience et de productivité… Si le risque que l’éducation soit réduite au statut de produit, de bonne ou moindre qualité existe, n’est-il pas souhaitable de s’assurer que la grande majorité des étudiants reçoivent une excellente formation supérieure?
Sources:
Corbo, Claude, « Pour mieux servir la cause universitaire au Québec : Le Conseil national des universités » (somaire et recommandations), Ministère de l’enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, juin 2013, pp.11-19.
Dutrisac, Robert, « Place au Conseil national des universités », Le Devoir, 28 juin 2013
Parchemal, Blandine, « Le Conseil des universités : Réforme managériale et soumission des universités à la concurrence internationale » (notes de recherche), Institut de recherche et d’information socio-économiques, octobre 2013.
C’est désolant de constater l’imposition subtile et en douceur d’un modèle néolibéral d’éducation supérieure par la voie pseudo-légale du CNU. C’est appauvrissant du point de vue culturel et lamentable du point de vue de la réflexion critique. Nous allons bien dresser nos diplômés à penser selon l’agenda politique de ceux qui détiennent les cordons de la bourse. Et nous allons travestir nos universités en les gérant comme des usines d’une multinationale.
Merci pour l’article!