Position de l’enseignante du cours ART 3317 Art and Gender à l’Université d’Ottawa: “I explained in a lesson over the major theories in feminist, gender and sexuality studies what queer theory is. I clarified that the term ‘Queer’ is an example of ‘subversive resignification,’ that is to say a word which was, first an insult, which has been reappropriated, emptied of its initial meaning and resignified as a powerful marker of identity. I gave two other examples of this subversive resignification: the word ‘cripple’ resignified by Crip theory and the ‘n-word’, resignified by the black community. […] “I am surprised at first because the person did not respect the ban on sharing with anyone outside the class the content of our class, thereby affecting the freedom of expression of the students in our class, some of which are abroad, in countries where it is very risky to talk about the subject of our course.” […] “This is the first time when I teach this course that the mention of this word provokes a reaction. I see that it is therefore a word that has become very sensitive again and that having known I would not have given it as an example. I then apologized to the whole class in case I could have hurt someone. I also took the opportunity to discuss this word in class and what should be done: talk about it to change things or censor it?”” (Verushka Lieutenant-Duval en entrevue avec le journal étudiant The Fulcrum, 2 octobre 2020)
Position d’une personne étudiante inscrite à ce cours: “The way she handled it, I didn’t really feel like she took the time to educate herself about why it was wrong. She kind of opened it up as a discussion and made it seem like it’s something that can be debated. She asked ‘What do you guys think? Should we be allowed to use this word in our discussions?’ “There were people, myself included in the Zoom chat function, giving their take on it, and the majority were saying that ‘No you shouldn’t be saying that, it’s not acceptable, and it’s not a discussion open for anybody, it’s a decision for people of colour.’” (personne étudiante ayant requis l’anonymat, en entrevue avec le journal étudiant The Fulcrum, 2 octobre 2020)
Position de l’Université d’Ottawa: “Thank you for bringing this to our attention. The language used is offensive and completely unacceptable in our classrooms and on our campus. The faculty is looking into the matter to gain a full understanding of what occurred in this class. At uOttawa everyone has the right to an environment free of discrimination and harassment and to be treated with dignity and respect.” (Compte Twitter de l’Université d’Ottawa, 2 octobre 2020)
“Verushka Lieutenant-Duval a été suspendue le 23 septembre à la suite d’une plainte déposée par une étudiante. […] La professeure Lieutenant-Duval a aussitôt été suspendue par la direction de l’Université d’Ottawa qui a ensuite donné l’option aux étudiants de changer de professeur pour la suite du cours. […] La professeure Lieutenant-Duval […] devrait pouvoir présenter à nouveau d’autres cours à compter de vendredi. L’Université d’Ottawa n’a pas voulu commenter jeudi.” (Radio-Canada, 15 octobre 2020)
Position du doyen de la Faculté des arts: « Ce langage était offensant et totalement inacceptable dans nos salles de classe et sur notre campus » (Kevin Kee, doyen de la faculté des arts, dans un courriel aux étudiantes et étudiants).
Position de la University of Ottawa Student’s Union (UOSU): ”We are deeply troubled by reports of these incidents, involving racialized students victimized by the use of slurs in classrooms. We are particularly concerned by reports of racial slurs uttered in Zoom Breakout rooms in the absence of the professor, as well as the use of a racial slur by professor Lieutenant-Duval. The professor also confirms that this is a regular occurrence among white professors at the University.”
“This demonstrates the need for anti-oppression training for our professors, as well as more culturally competent staff. We often say that racism has no place on our campus, yet it seems to have been enrolled into our classrooms. Incidents like these make racialized students feel unwelcome and question their belonging to the uOttawa community.” (Babacar Faye, président de l’UOSU, courriel au journal étudiant The Fulcrum)
Position d’un étudiant signataire d’une pétition pour dénoncer les propos de la professeure: “Je ne peux pas me permettre de dire qu’elle est raciste, mais elle a utilisé un mot raciste dans un cours. C’est inacceptable et c’était aussi un comportement non éthique pour un professeur et irrespectueux en même temps
.” (Kerry Menelas, Radio-Canada, 15 octobre 2020)
Position de l’Association des professeur.e.s à temps partiel de l’Université d’Ottawa (APTPUO): “The Association has some concern about the consequences of using social media as a public trial. Universities should be a safe place to discuss different topics, even sensitive ones. The academic community should not be scared or censure themselves in the fear of being judged in the public place without a fair process.” (courriel au journal étudiant The Fulcrum, 2 octobre 2020)
“[C]’est préoccupant, parce que la déclaration de l’Université a été faite sans que la membre puisse s’expliquer, sans qu’il y ait une enquête formelle de façon juste et équitable pour permettre à la membre d’expliquer la situation. Donc, on a condamné sur la place publique la membre pour satisfaire en quelque sorte la clientèle étudiante
.” (Radio-Canada, 15 octobre 2020)
Position d’un groupe d’enseignants signataires d’une lettre d’opinion: “La salle de classe (physique ou virtuelle) ne peut devenir un lieu libéré du poids de l’histoire, des idées et de leurs représentations. Il est donc inévitable que certaines lectures, certains concepts, voire certains mots heurtent des susceptibilités. L’université est justement le lieu pour réfléchir à cette réalité, pour l’historiciser, pour s’affranchir scientifiquement de la tyrannie, tant des majorités que du présentisme. […] [I]l importe que les administrations universitaires, tout en participant à la mise au jour et à l’abolition de toute forme de racisme systémique, veillent à protéger la transmission des connaissances, le développement de l’esprit critique et la liberté universitaire, liberté qui peut parfois s’exercer au détriment du clientélisme, mais qui participe de toute forme de libération véritable.” (Journal de Montréal, 16 octobre 2020)
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Jamais un sujet traité dans L’éveilleur ne m’a rendu aussi émotif. Je voudrais simplement relayer la position des diverses parties prenantes avec neutralité, mais j’en suis incapable. Je ne peux taire le fait que toute cette situation représente pour moi un parfait exemple de dérives dont nous nous inquiétions depuis plusieurs années quant à la liberté d’expression sur les campus. Voir les dépêches suivantes:
- 10 tendances qui mettent les universités sur la défensive, 10 mars 2016
- Le concept de Safe Space arrive au Québec francophone… avec le débat sur la censure, 13 février 2017
- L’art moribond du désaccord intellectuellement enrichissant, 2 octobre 2017
- Mieux comprendre la notion d’appropriation culturelle, 31 octobre 2017
- Guerre de tranchées pour la liberté d’expression sur les campus?, 19 novembre 2017
- Liberté d’expression et liberté académique: un rappel de certains cadres, 20 décembre 2017
- Interne: Que faire lorsque quelqu’un qui vous harcèle s’inscrit à votre cours?, 12 juillet 2019
- Les universités, lieux de débats à tout prix?, 17 janvier 2020
Qu’il s’agisse de…
- l’interdiction intimée à une personne enseignante par les étudiantes et étudiants d’utiliser en classe un mot pour expliquer un concept, notamment à cause de la couleur de sa peau (l’enseignante est blanche),
- de la confusion entre l’utilisation d’un terme par malveillance ou – à la rigueur – par maladresse (même s’il appert que l’enseignante était bien consciente de la charge émotive du mot et qu’elle a cherché à en tenir compte),
- de la diffusion sur les réseaux sociaux d’un conflit interne à une classe,
- du peu de bienveillance démontrée par certains étudiants et étudiantes à la suite des excuses de l’enseignante,
- de la suspension, même temporaire, de l’enseignante par l’institution sans examen rigoureux de la situation…
il me semble qu’il y a là tous les ingrédients pour que la salle de classe perde sa qualité d’espace où l’on tente en commun de réfléchir et de comprendre le monde. Rien dans ces décisions et ces actions ne me semble permettre aux espaces d’enseignement de devenir des “espaces sécuritaires”. Au contraire, tout ça me semble bien plus proche de la censure et de l’intolérance. Cela me heurte jusque dans ma conception profonde du rôle que l’université devrait jouer dans notre société…
Ce que peu de médias semblent avoir mentionné, c’est qu’un incident, apparenté mais différent, avait eu lieu fin septembre lors de travaux en sous-groupes Zoom pendant un cours en ligne à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. En l’absence de l’enseignant, un étudiant aurait proféré des commentaires racistes dans cet espace virtuel. Bien qu’il s’agisse de situations fort différentes, on peut concevoir que la communauté de l’Université d’Ottawa soit particulièrement sensible à ce type de situations, surtout qu’elle a récemment lancé une campagne pour combattre de tels préjugés dans la foulée d’allégations de profilage racial l’an dernier.
Ce qui frappe, enfin, c’est l’apparente incapacité à tenir compte du contexte pour nuancer un propos. Une enseignante utilise un mot lourdement chargé soit, mais dans le but précis d’en problématiser la charge et de susciter la réflexion autour du poids des mots employés. Apparemment, certaines personnes étudiantes et certains membres de la direction de l’Université d’Ottawa semblent incapables de ce discernement ou ne souhaitent pas s’en prévaloir…
Sources:
Collectif de signataires, “Libertés surveillées: des profs de l’Université d’Ottawa dénoncent la suspension de leur collègue“, Journal de Montréal, 16 octobre 2020
Hachey, Isabelle, “L’étudiant a toujours raison“, La presse,15 octobre 2020
Holland, Paige et Charley Dutil, “Professor’s use of racial slur sparks outrage on social media, faculty looking into the matter“, The Fulcrum, 2 octobre 2020
Jones, Ryan Patrick, “Racist comment mars online class at U of O“, CBC News, 22 septembre 2020
Radio-Canada, “Suspension temporaire d’une professeure de l’Université d’Ottawa“, Ici Ottawa-Gatineau, 15 octobre 2020
Cette affaire n’a pas fini de faire couler de l’encre… virtuelle. Outre la réaction du recteur l’Université d’Ottawa qui tente de justifier la position institutionnelle, la journaliste Isabelle Hachey en ajoute en effectuant un parallèle entre cet incident et le meurtre d’un enseignant français, des pétitions circulent de part et d’autre, des appels à la cyberintimidation de personnes enseignantes sont lancés et les positions se durcissent…
Cabinet du recteur, “Message du recteur Jacques Frémont au sujet d’un incident récent à la Faculté des arts“, Université d’Ottawa, 19 octobre 2020
Chapuis, Mireille et Mathieu Gauthier, “Enseigner dans le champ miné de l’arbitraire” (texte d’une pétition signée par près de 600 enseignants), Le Devoir, 20 octobre 2020
Colpron, Suzanne, “Le recteur de l’Université d’Ottawa n’appuie pas son enseignante“, La presse, 19 octobre 2020
Crawford, Blair, “Professor’s use of racial slur ignites uOttawa debate“, The Ottawa Citizen, 19 octobre 2020
Fédération québécoise des professeures et professeurs d’universités, “Controverse à l’Université d’Ottawa : lettre de la FQPPU au recteur Jacques Frémont“, 19 octobre 2020
Fortier, Marco, “Le milieu universitaire dénonce une «attaque» contre la «liberté académique“, Le Devoir, 20 octobre 2020
Hachey, Isabelle, “Je suis prof“, La presse, 20 octobre 2020
La presse canadienne, “Université d’Ottawa – La professeure suspendue reçoit l’appui de 579 collègues“, La presse, 20 octobre 2020
Radio-Canada, “Suspension d’une professeure de l’Université d’Ottawa : le débat se durcit“, Ici Ottawa-Gatineau, 18 octobre 2020
Salvet, Jean-Marc, “Université d’Ottawa: Et l’intention? Et le contexte?“, Le Soleil, 19 octobre 2020
Trudel, Pierre, “La police des mots à l’université“, Le Devoir, 20 octobre 2020