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Rendre les étudiants producteurs pour sortir du piège consumériste

Deux articles qui trainaient dans mes cartons depuis le début de l’été et qui constatent l’attitude de plus en plus consumériste des étudiants, avec pour corollaires la marchandisation de la formation universitaire par les institutions elles-mêmes ou par les gouvernements (comme en Grande-Bretagne).  Bien qu’une bonne partie de ces textes soient consacrée à décrire les maux, on ouvre la porte à des solutions qui passent par redonner un rôle de producteurs aux étudiants, pour qu’ils ne soient justement pas que de simples « clients »…

D’abord, dans Thot Cursus, Martine Dubreucq rapporte notamment les propos de Benjamin Chaminade, spécialiste en gestion des ressources humaines, lors de sa présentation « Les enseignants face aux étudiants consommateurs » à une conférence Educpros le 18 mars 2011.  Ce dernier enjoint les enseignants à se mettre à la place des étudiants, à comprendre ce qu’ils veulent, soit l’immédiateté et de l’information sur la formation qu’ils suivent : « Très souvent [l’étudiant] achète à la fois une certification et un réseau,  c’est-à-dire la possibilité s’il ne trouve pas immédiatement un emploi ou une façon de valoriser ses comptences acquises, de continuer tout seul son apprentissage avec un maximum d’ouvertures et de relais. » [NDLR : mon emphase] Les étudiants ont donc besoin d’être rassurés que l’« enseignement est bien ouvert, connecté à l’ensemble des évolutions de la société », parce que « l’étudiant consommateur attend de l’enseignant qu’il lui donne des pistes vers des documents essentiels, et qu’il écarte « l’inutile », l’inutile étant défini ici comme ce qui sort du domaine de l’évaluation.» 

On peut comprendre que ce souci d’avoir les informations pertinentes le plus rapidement possible pour les utiliser seul […] soit parfois perçu comme une menace, une mise en cause du statut, du rôle de pédagogue traditionnel, porteur de connaissances à transmettre. C’est que peut-être, comme nous ne cessons de le répéter, le savoir n’appartient plus au professeur mais à tous, et que c’est à ce dernier à faire comprendre son nouveau rôle : impulser, orchestrer, étayer les activités des étudiants, leur ouvrir des champs de découverte et leur faire gagner du temps d’apprentissage. 

Dans cette logique, même si le mot choque, le professeur est effectivement un « fournisseur » non pas de ressources, mais d’énergie et de confiance d’abord et de méthodologie ensuite. [NDLR : mes emphases]

Pour sortir de la logique consumériste toutefois, un espoir : celui de la démocratisation technologique qui permet aux enseignants et aux étudiants d’intervenir sur les contenus, de devenir producteurs à leur tour.

Du côté rose, la consommation peut être détournée au profit du citoyen par toutes sortes de moyens (le mixage, le troc, l’accès libre, le bidouillage) et dans ce cas l’enseignant bricoleur a de beaux jours devant lui, puisqu’il dispose désormais pour lui et pour ses étudiants de multiples outils d’édition, d’expression et de partage. Du côté noir, ces outils du Web 2.0 n’existent pas sans de puissants intérêts publicitaires et économiques qui ont besoin des données personnelles de tous…

Puis dans « Producers, not consumers », Peter Geoghegan du Times Higher Ed  dresse le constat de la marchandisation de l’éducation par l’état britannique depuis l’ère Tatcher jusqu’à la récente Browne Review :

Advocates of “the discipline of the market” offer it up as the panacea for all of higher education’s ills. The model is simple: a producer (the university) provides a service to a consumer (the student), overseen by a light-touch regulator (the state). Those who provide the best service – judged by amorphous “student satisfaction” surveys and income earned after graduation – will thrive. Those that don’t will perish.

Peut-être paradoxalement, il perçoit qu’une des premières victimes de cette approche sera la recherche :

Yet if students are consumers, simply buying a product labelled “an education” from a high-status provider, then research has little or no place beyond generating economically profitable new ideas and products. Why should the rational consumerist student care a jot about knowledge creation for its own sake if it won’t add a zero or two on to their salary in five years’ time?

C’est pourquoi il s’émerveille devant le projet Student as Producer de l’Université de Lincoln, financé par la Higher Education Academy, où l’on voit plutôt les étudiants comme des collaborateurs dans la production de connaissances :

…At Lincoln, undergraduate students work alongside staff in the design and delivery of their teaching and in the production of academic work. Bursaries of £1,000 are available for them to participate in fully fledged research projects during the summer, not as cheap intellectual labour but as co-creators of knowledge.

As Mike Neary, dean of teaching and learning at Lincoln and one of the driving forces behind the scheme, explains: “We are intellectualising the process of research and learning. It’s about recovering the idea of the university.” [NDLR : mon emphase]

Concrètement, le projet vise la mise en valeur du research-informed teaching et du research-engaged teaching.  D’après le site web du projet : « Research-engaged teaching involves more research and research-like activities at the core of the undergraduate curriculum. »

Student as Producer will make research-engaged teaching an institutional priority, across all faculties and subject areas. In this way students become part of the academic project of the University and collaborators with academics in the production of knowledge and meaning. Research-engaged teaching is grounded in the intellectual history and tradition of the modern university.

Une vidéo présente le projet de façon extrêmement dynamique et efficace :

Student as Producer from University of Lincoln on Vimeo.

Le projet n’est pas sans rappeler une initiative moins élaborée mais toute aussi audacieuse de l’Université d’Ottawa que nous rapportions le printemps dernier.

Sources :

Dubreucq, Martine, « Les étudiants sont-ils des consommateurs de formation ? », Thot Cursus, 11 avril 2011 (mise à jour le 23 juin 2011)Geoghegan, Peter, « Producers, not consumers », Times Higher Education28 avril 2011
University of Lincoln, Student as Producer [site web consulté le 19 août 2011]

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À propos de l'auteur

Jean-Sébastien Dubé

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