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Enseignement des sujets sensibles: nouvelles publications

C’est un réel plaisir de suivre le travail de professeures comme Sabrina Moisan (Université de Sherbrooke) et Sivane Hirsch (UQTR), surtout quand ce travail permet à l’ensemble du personnel enseignant de réfléchir et d’avancer. Ces dames travaillent notamment sur l’enseignement des sujets sensibles, sujet qui nous intéresse ici particulièrement.

Pour sa part, la professeure Moisan nous informe de la sortie imminente d’Objets difficiles, thèmes sensibles et enseignement des sciences humaines et sociales, un livre qu’elle a codirigé avec sa collègue Hirsch et les professeurs Marc-André Éthier (Université de Montréal) et David Lefrançois (UQO). Dans les 10 chapitres qui composent ce livre, il est notamment question de l’enseignement de thèmes plus difficiles (génocide, racisme, androcentrisme, colonisation, etc.) dans l’enseignement de l’histoire dans des contextes divers (anglophones au Québec, francophones en Alberta, etc.). Le titre du dernier chapitre « Peut-on enseigner sans froisser ? Peut-on éduquer sans fâcher ? Accords et désaccords dans les arènes éducatives » nous semble particulièrement intéressant.

D’autre part, la professeure Hirsch nous donne accès à En terrain miné? Récits de pratique de professeur.e.s à propos de l’enseignement de thèmes sensibles en contexte universitaire, un recueil de 26 récits de pratique d’enseignantes et enseignants de multiples disciplines aux prises avec la nécessité et la difficulté d’enseigner des sujets controversés. Nous trouvons par exemple le récit de Géraldine, professeure d’éducation spécialisée dans les questions de genre et de féminisme. Dans son récit, elle fait part de sa difficulté à avoir des discussions sur des sujets qu’elle trouve néanmoins important comme :

“Est-ce que l’éducation à la sexualité devrait se faire en séparant les garçons des filles ou devrait-elle se faire en groupe mixte?” […] Il y a aussi la question à savoir si une femme trans peut accéder ou non à des services pour femme violentée ou encore la question des toilettes publiques et des prisons.

Elle confie son ambivalence à poursuivre l’enseignement de tels sujets, notamment par crainte que des débats se poursuivent sur les réseaux sociaux plutôt qu’en classe, sans qu’elle ne soit en mesure de les accompagner.

À partir de la matière riche de tels récits, la professeure Hirsch et la chercheure en éducation Gabrielle Morin ont produit un premier article [à paraître; merci à la professeure Hirsch de nous y avoir donné accès] traitant notamment de l’enseignement des questions d’ethnicité, de racisme et d’immigration. Elles ont retenu 15 récits qu’elles ont analysés pour en extraire des stratégies mises en oeuvre par certaines personnes enseignantes.

  • Rendre transparentes ses expériences personnelles, par exemple en admettant avoir commis des erreurs dans le passé.
  • Se connaître, bien connaître ses points de vue sur les questions sensibles à aborder en classe.
  • Accepter la légitimité de tels débats.
  • Inviter ou convoquer en classe les voix des personnes concernées par ces débats (personnes conférencières invitées, utilisation de vidéos, de textes).
  • Amener les personnes étudiantes à réfléchir à leurs positions en tant que citoyennes et futures professionnelles.
  • Faire davantage attentions aux sensibilités des personnes étudiantes dans la classe.
  • Garder des canaux de communication ouverts, notamment en validant les émotions que ces sujets suscitent et en respectant son rôle d’enseignant.
  • Préparer le terrain avant d’aborder de tels sujets (traumavertissements, stratégies pour l’utilisation de mots chargés, s’assurer d’un climat de classe positif et sécuritaire, etc.)
  • Justifier l’enseignement de tels sujets difficiles auprès des personnes étudiantes (liens avec la profession future, débats de société, etc.)

Dans la plupart des cas, il s’agit de pratiques enseignantes qui donnent un rôle plus participatif aux personnes étudiantes, favorisant une dynamique de relations plus « horizontales ». D’après les auteures,

« According to the analysis, the teaching practices deployed in these contexts tend to take into account the imbalance between professors and students and, in some cases, reduce it. »

Les auteures rappellent que les rapports de pouvoir en classe sont traditionnellement « verticaux », alors que les personnes enseignantes contrôlent l’évaluation et y sanctionnent ce qui est vrai ou pas. Elles constatent que ces rapports sont en changement (davantage de collaboration, de coconstruction de savoirs) et que plusieurs des pratiques favorisant l’enseignement de sujets sensibles favorisent des rapports de pouvoir plus égalitaires. Pour elles, le fait de s’éloigner d’une posture d’autorité permet une décolonisation progressive de l’enseignement. Inversement, le fait de se camper dans une position plus traditionnelle, notamment au nom de la liberté académique, s’inscrirait dans le statu quo.

Sources:

Audet, G., Hirsch, S., Thibodeau, S. et Morin, G. (2022). En terrain miné? Récits de pratique de professeur.e.s à propos de l’enseignement de thèmes sensibles en contexte universitaire. Chaire de recherche sur les enjeux de la diversité en éducation et en formation et Laboratoire Éducation et diversité en région, document PDF, 128 p.

Moisan, S., Hirsch, S., Éthier, M.A., Lefrançois, D., (2022) Objets difficiles, thèmes sensibles et enseignement des sciences humaines et sociales, Fidès éducation, 292 p. [Date de parution: 23 novembre 2022] [ou le 28 novembre 2022, selon une libraire]

Morin, Gabrielle et Hirsch, Sivane (2022?), « When university professors encounter other visions of learning: a theoretical analysis of narratives of practice » [à paraître]

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À propos de l'auteur

Jean-Sébastien Dubé

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