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La pensée critique doit-elle être disciplinaire?

Comme plusieurs, j’ai été inspiré par cet article décrivant le travail en Suède de Philippe Longchamps, un enseignant en histoire d’origine québécoise (voire sherbrookoise) au niveau du développement de la pensée critique: « Ses méthodes d’enseignement lui ont […] valu d’être nommé Enseignant de l’année en Suède en 2020, et d’être finaliste pour le prestigieux Global Teacher Prize l’an dernier, qui récompense le meilleur enseignant dans le monde. » Il vient de publier chez RoutledgeTransformative Education: A Showcase of Sustainable and Integrative Active Learning avec Charlotte Graham, où « les auteurs détaillent des techniques et des projets que les enseignants peuvent mettre en place pour développer la pensée critique de leurs élèves ».

D’après M. Longchamps, « l’habitude de vérifier les faits et de faire preuve d’un scepticisme sain » sera durable, contrairement à certains apprentissages plus spécifiques: « C’est plus important de faire ça qu’un examen sur les choses qu’ils ont mémorisées. Ils vont peut-être oublier ce que j’ai dit, ce qu’ils ont lu dans le livre ou ce qu’ils ont vu sur le PowerPoint. Mais ils ne vont pas oublier ce qu’ils ont eux-mêmes développé comme réflexion. »

La journaliste note l’inclusion dans le curriculum suédois depuis 2011 de l’enseignement de la pensée critique à travers l’ensemble des matières, qu’il s’agisse de « déterminer si une source est fiable ou non, et par une démonstration à l’aide de preuves dans leur analyse ». Plus encore,

« Philippe Longchamps préconise une approche holistique, qui favorise l’intégration entre elles de différentes matières, ce qui a une incidence sur les résultats des élèves et leur permet de faire des liens.

L’inclusion de la pensée critique dans chacune des matières est également préconisée. Quelque chose, croit-il, sur laquelle le gouvernement du Québec devrait se pencher »

Et pour cause,

« Les derniers chiffres du Programme international pour le suivi des acquis, l’enquête menée par les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), démontrent que seulement 9 % des jeunes de 15 ans peuvent faire la différence entre des faits et des opinions. Une situation « alarmante », lance [M. Longchamps]. » [notre emphase]

Je suis également inspiré par le climat de classe que tente d’instaurer M. Longchamps, où les élèves sont encouragés à souligner de potentielles erreurs de la personne enseignante: « Quand les élèves voient que je fais une erreur, je veux qu’ils n’hésitent pas à me le dire. Et je les félicite. C’est un comportement que je veux encourager. » Cette attitude favorise des compétences qui me semblent essentielles: « Cette « prise de risque » de la part des élèves permet de surcroît de développer leur créativité et d’innover, et d’atténuer leur peur de faire une erreur, laquelle peut nourrir leur anxiété. »

Plus encore, je m’intéresse au débat que cet article suscite parmi les personnes lectrices du Devoir [des non-spécialistes, mais qui présentent bien certains points de vue « traditionnellement » entendus de personnes enseignantes relativement à la pensée critique]: Est-ce que la pensée critique peut être enseignée hors du développement de connaissances?

Ainsi,

  • Pour un dénommé Jean Lacoursière, « La pensée critique, ça ne s’enseigne pas. La pensée critique repose sur des connaissances qui doivent être enseignées ».
  • Pour Guy Archambault, « La pensée critique ne s’enseigne pas. Mais elle s’apprend. Et plus souvent qu’autrement, le simple fait de vivre sa vie permet de développer ces habiletés intellectuelles nécessaires à ce que l’article appelle ” la pensée critique “. »…
  • Alors que pour Jean Santerre, « La pensée critique s’enseigne tout à fait et simplement en gardant alerte [sic] les étudiants aux énoncés émis et en les mettant ainsi au défi de reconnaître les erreurs, omissions, généralité [sic] ou mensonges basé [sic] sur des idées reçu [sic] sans discussion. »

S’appuyant sur les travaux du cognitiviste Daniel T. Willingham, mon collègue Éric Chamberland (maintenant à l’Université Laval), affirmait sur L’éveilleur en 2010 qu’il n’y a « Pas de pensée critique sans une large base de connaissances pertinentes ». Pour Willingham, “The processes of thinking are intertwined with the content of thought (that is, domain knowledge), […] it’s doubtful that a program that effectively teaches students to think critically in a variety of situations will ever be developed ».
[Afin de poursuivre cette réflexion, je vais vraisemblablement bientôt m’attaquer à How To Teach Critical Thinking, un texte que Willingham a produit en 2019 pour pour le Ministère de l’éducation de Nouvelle-Galles du Sud en Australie.]

Je me demande toutefois si de telles conclusions [toutes basées sur des données probantes fussent-elles] ne sont pas susceptibles de favoriser un certain « repli sur soi » disciplinaire, où il deviendrait impossible d’envisager le développement de compétences transversales, pourtant nécessaires à l’ensemble des personnes diplômées universitaires.

Il me semble qu’il doit bien y avoir moyen, à l’image de Philippe Longchamps, de développer un cursus de pensée critique généraliste où l’on développe un réflexe de questionnement, où l’on sensibilise les personnes étudiantes aux divers biais cognitifs, aux bonnes pratiques en matière de littératie et de citoyenneté numérique, etc.

Qu’en pensez-vous?

Source: Provost, Anne-Marie (22 octobre 2022), « L’art d’inculquer la pensée critique à ses élèves », Le Devoir, Montréal.

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À propos de l'auteur

Jean-Sébastien Dubé

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