Pédagogique Technologique

L’enseignement en ligne n’est-il pas le futur ?

 

La crise sanitaire a largement contribué à l’accélération du virage vers l’enseignement en ligne et ce phénomène est encore présent aujourd’hui. Dans ce contexte d’instabilité, un article paru en 2020 en pleine pandémie et intitulé « Online learning is not the future » établit un pronostic d’une évolution à contre-courant de la formation à distance online learning). Son auteur, Peter C. Herman, professeur de littérature anglaise à l’Université de San Diego, pensait à l’époque qu’on était face à un mouvement éphémère. Voici ce qu’il avait conclu de manière très catégorique en s’appuyant sur les résultats d’une petite enquête qu’il a menée auprès de ses étudiantes et étudiants à propos de leur expérience en formation à distance : « Online learning is not the future. Never was. Never will be ».

Quoi qu’il en soit, ce texte d’opinion apporte un éclairage supplémentaire à certains aspects importants. Loin de vouloir discuter ici la vraisemblance de sa « prédiction » ou la validité de ses conclusions (voir cette critique), regardons plutôt les résultats de son enquête (bien qu’elle semble informelle et très limitée) et essayons d’en tirer des leçons. Alors que les partisans de la formation à distance tentent férocement de promouvoir cette transition vers le virtuel, des voix s’élèvent pour remettre en question la valeur de ce dispositif d’apprentissage : il s’agit des voix de personnes étudiantes (ayant M. Herman pour enseignant) qui ne semblent pas toutes aussi convaincues de ce « futur » très imminent (nous y sommes déjà ou presque).

« Les défenseurs de la technologie peuvent considérer l’enseignement en ligne comme la meilleure voie à suivre, mais un public important n’est pas d’accord avec véhémence : les étudiants » (Herman, 2020)

Voici un récapitulatif sommaire des éléments qui posent problèmes selon eux:

  • Consensus sur le fait que l’apprentissage en présence est meilleur que l’apprentissage en ligne ;
  • Efficacité moindre du virtuel ;
  • Manque de défi ;
  • Qualité médiocre de la formation ;
  • Sentiment de « perte » ;
  • Désorganisation du quotidien sur le plan de l’espace et du temps ;
  • Isolement et absence des interactions humaines ;
  • Faible rentabilité (en apprentissage) relativement aux frais de scolarité payés.

Précisons ici que les personnes étudiantes associent ces problèmes aux modalités asynchrones de la formation à distance, c’est-à-dire en lien avec des activités telles que le visionnement de vidéos, l’écoute de podcasts, la participation en différé à des forums de discussion. Toutefois, le recours à des cours synchrones périodiques était vu comme un moyen de restaurer une part de ce que peux offrir le mode en présence : une certaine structure dans le processus d’apprentissage (heure fixe des rencontres), de l’interaction humaine en temps réel (par opposition aux échanges asynchrones dépréciés).

Cet article nous invite implicitement à nous questionner sur l’efficacité réelle de nos interventions en matière de formation à distance. À cet égard, dans le même esprit que l’initiative du professeur Herman à travers son enquête, nous devrions développer une meilleure compréhension des effets des outils numériques sur l’expérience d’apprentissage vécue par les personnes apprenantes. Au-delà de la mise en œuvre d’outils numériques – une démarche que certains qualifieraient de « déterministe » -, nos actions de développement de la formation à distance doivent se fonder sur l’élargissement de notre champ de vision afin d’inclure, non seulement les aspects techniques, mais aussi d’autres aspects interdépendants. En bref, il importe de reconnaître que la technologie n’est qu’une partie de l’équation et d’être vigilant afin d’éviter le piège du déterminisme :

« […] determinism leads to the notion that for every problem or challenge we may have as individuals and as societies, there is – or there could be – a technological fix » (Perrota, 2021)

N’oublions surtout pas que tous les dispositifs techniques et administratifs visant la mise en place d’une offre de formation à distance servent ultimement les personnes étudiantes. Leurs voix devraient par conséquent être écoutées en les impliquant davantage dans la conception des cours en ligne et dans une visée d’alignement au besoin de l’utilisateur final selon une logique de concertation. Hormis le caractère forcément subjectif de l’opinion du professeur Peter C. Herman concernant l’évolution de la formation à distance, elle incite à aborder des questions dépassant la dimension purement technique en accordant plus d’attention aux dimensions psychologique (motivation, engagement…), sociale (isolement, collaboration, interaction) et politique (voix des personnes apprenantes).

Une lecture plus profonde de l’avis du professeur Herman est nécessaire en ces temps de changements rapides des systèmes de formation et des pratiques enseignantes. Ce changement qui, selon Herman, serait sous-tendu par une sorte d’hégémonie de la technique et une frénésie pour les solutions technologiques « clés en main ». La leçon à tirer : agir avec discernement dans ce chantier de l’innovation de la pédagogie, notamment en ce qui a trait à la formation en ligne, de la conception à l’implantation et l’évaluation du dispositif technique.

Sources :

Herman, Peter C. (juin 2020), Online learning is not the future. Inside Higher Ed.

Perrotta, C. (2021). Underdetermination, Assemblage Studies and Educational Technology: Rethinking Causality and Re-Energizing PoliticsJournal of New Approaches in Educational Research10 (1), 43-56. https://doi.org/10.7821/naer.2021.1.638

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À propos de l'auteur

Ali Messaoud

1 commentaire

  • L’apprentissage en ligne est l’avenir de la formation, bien que n’étant pas parfait, il s’améliorera dans le temps en facilitant notamment les échanges entre étudiants et professeurs.
    La formation en ligne permet à des étudiants africains d’avoir accès à des cours en ligne d’Harvard et de réussir les examens en ligne avec d’excellents résultats. Il permet de révéler des potentiels qui ne serait jamais apparu sans internet et la démocratisation des savoirs qu’il permet.

    La tendance de développement exponentielle des formations en ligne rend de toute façon le débat stérile car la formation en ligne s’imposera de toute façon comme un mode d’apprentissage d’avenir.

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