EDUCAUSE Horizon Report 2022 (point de vue critique)

Comme chaque année, il est intéressant de consulter ce rapport, préparé désormais par l’OSBL EDUCAUSE. Comme chaque année, le document présente les conclusions d’un panel d’une soixantaine d’experts internationaux et fait état de plusieurs tendances qui affectent le monde de la formation supérieure (trends), de technologies et de pratiques clés qui transformeront ce monde ou le transforment déjà (key technologies and practices). Nouveau depuis quelques années, le rapport est complété par divers scénarios de développement de l’institution universitaire pour les dix prochaines années (scenarios) et par de courts essais de praticiens qui expliquent comment ils et elles se positionnent sur le terrain (implications essays) compte tenu de tous ces enjeux. On ne tente plus d’établir comme auparavant l’horizon d’adoption de telle ou telle technologie, ce qui me semble sage compte tenu de la volatilité de telles prédictions.

Autre nouveauté pour moi: c’est une des premières années où je m’arrête pour lire les 58 pages du rapport, plutôt que de simplement le traverser en diagonal ou prendre connaissance du sommaire de gestion. Je ressors de cette lecture avec une meilleure compréhension de la qualité de ce travail annuel de synthèse, mais aussi de ses limites et des biais des experts consultés.

Tendances

• Sociales
  • Apprentissage hybride et en ligne
  • Apprentissage basé sur les compétences
  • Travail à distance
• Technologiques
  • Analyse de l’apprentissage et mégadonnées (big data)
  • (Re)définition des modalités d’enseignement
  • Cybersécurité
• Économiques
  • Coût et valeur des diplômes universitaires
  • Économie numérique
  • Déficits financiers
• Environnementales
  • Structures physiques des campus
  • Augmentation des objectifs de développement durable
  • Santé planétaire
• Politiques
  • L’instabilité politique comme facteur d’incertitude en enseignement supérieur
  • Impact de l’idéologie politique sur la pédagogie
  • Diminution du financement public

[Mon point de vue critique: Ces tendances sont regroupées sous l’acronyme « STEEP » de l’Institute for the Future. Je suis bien content qu’on y intègre des préoccupations environnementales et politiques qui, selon moi, pourraient éventuellement avoir des impacts sur la prestation de cours. Des conditions climatiques extrêmes ou des manifestations politiques hostiles pourraient, à terme, justifier des investissements dans un campus virtuel. Les pandémies ne sont pas les seuls événements qui compliquent l’accès à l’apprentissage.

Je note au passage les préoccupations pour le skill-based learning (très orienté vers le marché du travail), la cybersécurité, l’économie numérique, etc. Si elles m’apparaissent toutes justifiées, il me semble qu’elles témoignent de conceptions assez fonctionnelles, voire technocratiques de la formation universitaire. Visiblement ces experts sont moins préoccupés par l’anxiété galopante des apprenants, les questions d’accès et d’équité technologiques, etc. Ce n’est pas un défaut, mais ça me semble un biais à souligner.]

Technologies et pratiques clés (Key technologies and practices)

• Intelligence artificielle pour l’analyse de l’apprentissage
• Intelligence artificielle pour les outils d’apprentissage
• Espaces d’apprentissage hybrides
• Généralisation [normalisation?] des modes d’apprentissage hybrides et à distance
• Microcertification
• Développement professionnel pour l’enseignement hybride/à distance

[Mon point de vue critique: Je suis ravi qu’on distingue enfin deux usages complémentaires – mais tout aussi importants l’un que l’autre me semble-t-il – de l’intelligence artificielle (IA) en formation supérieure. Au-delà des analytiques de l’apprentissage, l’IA peut aider à organiser des parcours d’apprentissage personnalisés, mais ses applications disciplinaires doivent aussi être enseignées. Il m’apparaît assez clair que les personnes qui diplôment aujourd’hui – indépendamment de leurs domaines d’intervention – travailleront au quotidien avec des jeux de données et des experts virtuels pendant leurs vies professionnelles.

Ici encore, force est de constater que les experts consultés par EDUCAUSE étant nombreux à travailler au sein de services de formation à distance, peu de place est accordée à des technologies qui favoriseraient ou appuieraient la formation en présentiel. Il est certain que les conséquences de la pandémie se font toujours sentir. Je remarque toutefois l’importance de la microcertification qui m’apparaît une avenue importante de développement, de même que la nécessité de former les personnes enseignantes aux modalités hybrides. J’ajouterais qu’il ne faudra pas négliger de former les personnes étudiantes à un usage professionnel des technologies qui facilitent l’apprentissage (et le travail) en mode hybride.]

Scénarios possibles [pour les prochains 10 ans]

• Croissance: le monde se développe à travers une économie numérique et le secteur de la formation supérieure s’adapte, voire profite de ce développement, notamment grâce à la formation hybride et à la microcertification. On prétend même que les institutions qui n’offrent pas de formation à distance péricliteront.
• Contrainte: durabilité et verdure des campus, interdisciplinarité de la recherche, formation en présence seulement lorsqu’elle offre une valeur ajoutée. « Institutions learn to operate more efficiently […] and to educate their students and equip them to be global leaders commited to and capable of addressing the world’s ecological challenges ».
  [Mon point de vue critique: Curieux, mais ce scénario de “contrainte” me semble éminemment désirable…]
• Effondrement: les campus se divisent selon des lignes politiques et idéologiques, devenant les « chambres à échos » de divers groupes et recevant les cyberattaques de groupes d’opposition.
• Transformation: l’intégration de l’intelligence artificielle et de la formation hybride permettent de concilier l’apprentissage d’habiletés techniques de base et de compétences intellectuelles de haut niveau. La formation universitaire semble devenir tributaire de partenariats avec les entreprises et vise essentiellement à former de futurs personnes employées…

Vues du terrain (trad. libre de « Implications Essays »)

• Formation supérieure en Australie
• Formation supérieure au Canada
• Formation supérieure au Mexique
• Formation supérieure en Arabie Saoudite
• Collèges communautaires américains (community colleges)
• Institutions de recherche américaines
• Perspective de l’entreprise privée sur la recherche et l’innovation en formation supérieure

[Mon point de vue critique: Plutôt que de résumer chaque texte, je recopie ce paragraphe tiré de la synthèse qui me semble assez juste…

« In most places and spaces of higher education around the world, there is a growing sense that online and hybrid modes of teaching and learning are going to be a “mainstream” part of the educational experience, requiring institutions to begin their planning now for how they’re going to make these modes effective and sustainable long-term practices. »

Ce besoin de planification se traduit par une redéfinition en profondeur de l’expérience universitaire traditionnelle. Par exemple, ce paragraphe dans le texte de Lee Skallerup Bessette sur les universités de recherche américaines:

« Between the defunding of public R1 institutions and the general-amenities building sprees in the name of recruiting top students, most R1 campuses rely on students paying for room and board, not merely tuition, to maintain financial viability. »

On conçoit mieux comment une formation universitaire offerte davantage à distance ou en mode hybride pourrait changer la donne… ]

Source: Pelletier, Kathe et al., 2022 EDUCAUSE Horizon Report, Teaching and Learning Edition, Boulder, Colorado, mai 2022)