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L’Université d’Austin, rêve de la droite intellectuelle américaine

Poursuite de la guerre idéologique qui fait rage dans le monde universitaire aux États-Unis. Voici maintenant la proposition d’une nouvelle institution développée en réaction à ce qui est perçu comme un refus de la réflexion sur les campus par une certaine frange intellectuelle de droite, qui se considère victime des idées de militants progressistes et de la culture du bannissement. On y brandit bien haut les drapeaux de la liberté d’expression et de la liberté académique, arguant que non seulement les personnes enseignantes mais également les personnes étudiantes ne sont plus en mesure d’exprimer des idées conservatrices.

« Nous pensons qu’une partie fondamentale de l’éducation libérale consiste à s’engager rigoureusement dans des idées et des points de vue radicalement différents […] pour autant qu’ils respectent les principes de fonctionnement de notre université, à savoir la recherche ouverte et le discours civilisé » (un porte-parole de l’Université d’Austin).

« Notre démocratie est en train de s’effondrer, en grande partie parce que notre système éducatif est devenu illibéral et produit des citoyens et des dirigeants qui sont incapables de participer aux activités essentielles de la gouvernance démocratique et ne veulent pas le faire », écrit Pano Kanelos, premier président de l’Université d’Austin (UATX) [NDLE: À ne pas confondre avec l’Université du Texas à Austin…]. « Nous en avons assez d’attendre que les universités traditionnelles se redressent. Et donc nous construisons en neuf. »

Dès l’été prochain, cet organisme offrirait un programme non crédité intitulé « Forbidden Courses ». Les personnes étudiantes seraient encouragés à y débattre des « questions les plus provocantes qui conduisent souvent à la censure ou à l’autocensure dans de nombreuses universités » [NDLE: on peut supposer qu’on y critiquera la diversité, l’intersectionnalité, l’équité, etc.]. Éventuellement, un programme de maîtrise en entrepreneuriat et leadership serait offert à partir de l’automne 2022, ainsi qu’un programme complet de premier cycle à l’automne 2024.

Anemona Hartocollis du New York Times fait valoir que « [c]e projet d’université est un retour à la tradition à bien des égards. Contrairement à la tendance des nouvelles universités, elle sera basée sur un campus physique dans la région d’Austin, au Texas, et les cours seront dispensés en personne, selon ses documents fondateurs. »

« L’Université d’Austin n’a pas encore de campus dans la capitale du Texas. Elle n’est pas encore accréditée et n’est pas encore autorisée à fonctionner comme un établissement privé d’enseignement supérieur », explique le journaliste Richard Hétu. Des critiques de gauche ont d’ailleurs commencé à qualifier l’Université d’Austin de « Fox News de l’enseignement supérieur » ou encore à la comparer à la Trump University.

Toutefois, selon Isaac Kamola, professeur adjoint de sciences politiques au Trinity College, qui vient de co-écrire un livre examinant Charles Koch et les innombrables façons dont lui et les philanthropes conservateurs partageant les mêmes idées ont infiltré l’enseignement supérieur américain, les met en garde: « Nous pouvons en rire maintenant, […] [m]ais je pense que nous le faisons à nos risques et périls. […]
S’ils [M. Charles Koch et ses alliés] parviennent à créer leur propre université, ce contrôle deviendra encore plus profond, plus partisan et plus idéologique… » L’éveilleur a déjà présenté l’importance des frères Koch et d’autres donateurs dans le paysage universitaire américain.

Ainsi, l’Université d’Austin prendra avantage d’une législation passée sous l’administration Trump qui permet aux institutions d’enseignement supérieur de choisir des agences d’accréditation en dehors de leur région. Elle ira demander son accréditation à une agence de Chicago, alors que l’agence du Sud des États-Unis vient de réprimander l’Université de Floride d’avoir interdit à ses professeurs de contrer devant les tribunaux le gouverneur républicain de cet état…

Le président (recteur) Kanelos a admis au New York Times que « L’Université s’attendait à avoir besoin de six mois à un an pour réunir les 10 millions de dollars de capitaux de lancement nécessaires à la planification stratégique et aux programmes de démarrage […], mais elle a fini par réunir cette somme en six semaines. Elle est en train de réunir 250 millions de dollars et étudie plusieurs sites pour le campus… […] [E]lle recrute des “faculty fellows” qui aideront à concevoir le programme d’études et à enseigner dans le cadre du programme d’été. » L’argent ne semble donc pas un réel problème.

C’est d’ailleurs une dimension provocante du projet… Toujours selon le professeur Kanelos, une partie de la mission de la nouvelle université serait de fournir une éducation d’arts libéraux à un coût plus modeste que les frais de scolarité dans de nombreuses institutions de haut niveau: « J’aimerais que ce soit moins de 30 000 dollars par an, c’est sûr », a-t-il dit. L’Université réduirait les coûts en coupant tout ce qui n’a pas à voir avec la salle de classe, comme les frais généraux d’administration et les commodités luxueuses… Une université où l’on critiquerait fondamentalement l’égalité des chances pourrait paradoxalement devenir l’une des plus accessibles aux États-Unis…

Sources:

Basken, Paul, « University of Austin: the new front in the fight for US campuses », Times Higher Education, 16 novembre 2021

Hartocollis, Anemona, « They Say that Colleges Are Censorious. So They Are Starting a New One », The New York Times, 8 novembre 2021 [accès via Eureka.CC]

Hétu, Richard, « Vers une université anti-woke », La Presse+, 15 novembre 2021

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Jean-Sébastien Dubé

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