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Réactions au rapport Bastarache (U. Ottawa)

Un an après ce qu’il est maintenant convenu d’appeler « l’affaire Lieutenant-Duval », l’Université d’Ottawa rend public le rapport de son Comité sur la liberté académique, présidé par le juge à la retraite Michel Bastarache. Ce rapport de 49 page (196 pages avec les annexes) met de l’avant 7 recommandations et tente notamment de répondre aux questions suivantes.

  1. En quoi consiste la liberté académique?
  2. Existe-t-il des distinctions entre la liberté académique et la liberté d’expression dans le contexte universitaire? Si oui, en quoi la liberté académique diffère-t-elle de la liberté d’expression?
  3. Quelles sont les limites à la liberté académique et à la liberté d’expression?
  4. Quelle est l’étendue de la liberté d’expression de l’Université en tant qu’établissement d’enseignement?
  5. Comment l’université doit-elle concilier la liberté académique avec les valeurs universitaires, notamment l’équité, la diversité, l’inclusion?
  6. Quels mécanismes devraient être mis en place par l’Université pour répondre aux plaintes relatives à la liberté académique et aux valeurs de l’Université?

Plutôt que de résumer le rapport (ce que plusieurs médias ont fait mieux que nous ne saurions le faire), nous avons préféré donner un aperçu des réactions qu’il suscite.

Le professorat permanent

Certains professeurs, comme Maxime Prévost, accueillent le rapport « positivement ». Le professeur Prévost avait fait partie du groupe de signataires d’une lettre ouverte défendant Verushka Lieutenant-Duval.

«Le rapport établi avec beaucoup de clarté que la liberté académique est le fondement même de la mission universitaire, et qu’une université qui essaierait de la contourner ou de l’amoindrir serait en train de trahir l’essence même de sa mission», affirme le professeur. 

«Si on lit l’ensemble des témoignages, ce qui ressort, c’est qu’il y avait un climat de peur, de censure et d’autocensure auquel il importe absolument de mettre fin», poursuit-il.  […]

«En somme, je crois que ça préexistait, mais l’affaire Lieutenant-Duval est venu accentuer et aggraver le tout», explique le professeur. 

Pour le professeur de traduction et de philosophie Charles Le Blanc, également signataire de la lettre ouverte, il manque au rapport Bastarache un « coup de baguette sur les mains de l’administration… […] On pourrait avoir les meilleurs règlements, mais si les dirigeants ne prennent pas les décisions, ça ne sert à rien de faire les règlements ».

Dans le quotidien Le Devoir, on mentionnait que « Citant le court préavis, le caucus des professeur.e.s et bibliothécaires noir.e.s, autochtones et racisé.e.s. a décliné l’offre de rencontrer le comité ». Il a néanmoins soumis une déclaration écrite. D’après ce groupe,

« Aucune liberté, qu’elle soit académique ou d’expression, ne doit porter atteinte à la dignité des individus et des communautés. Nous devons opter pour une pédagogie transformatrice, et non pour des techniques pédagogiques coloniales qui perpétuent la violence coloniale et raciale. Nous croyons que la liberté académique doit être exercée avec responsabilité et transparence. »

Le professorat à temps partiel

L’Association des professeurs à temps partiel de l’Université d’Ottawa (APTPUO) indique accueillir favorablement le rapport Bastarache. Toutefois, il souligne deux manques qui apparaissent importants:

  • l’exclusion des professeurs à temps partiel des plus hautes instances de gouvernance universitaire;
  • le fait qu’il n’y a pas de budget associé aux recommandations. «Ce sont des vœux très nobles, mais il n’y a pas de budget. Il y a toutes les questions qui font en sorte qu’on est perplexes face à l’aboutissement de ce qui est [élaboré] dans le rapport. »

Le Syndicat étudiant

Tim Gulliver, président du Syndicat étudiant de l’Université d’Ottawa, déplorait déjà l’absence de représentants étudiants au Comité: « La voix étudiante n’a pas été entendue alors que nous représentons la communauté la plus importante [en termes de nombre] sur le campus ». Il estime que « le rapport a manqué l’opportunité de bâtir une définition plus moderne et plus inclusive de la liberté académique, qui s’apparenterait davantage à la diversité de notre société actuelle ». Il aurait aimé voir au rapport « une mention proscrivant l’utilisation de certains mots n’ayant aucun sens académique et aucun intérêt dans une salle de classe. » Selon lui, « il est tout à fait possible de discuter des différents sujets sans avoir à utiliser lesdits mots. » Il croit « qu’il s’agit d’une opportunité manquée de promouvoir cette valeur essentielle qu’est le respect mutuel »

Un point de vue éditorial journalistique

Dans son éditorial du 8 novembre dernier, Marie-Andrée Chouinard du Devoir écrit que…

« [l]es universités devraient être des « remparts contre les opinions conventionnelles et les idées reçues ». Toutefois, cette autoroute de la liberté d’expression ne devrait pas être un laissez-passer pour la discrimination et l’insulte. La suite du raisonnement est cruciale : il n’existe pas un droit à ne pas être offensé en classe. […] Pour reprendre l’expression de la rectrice de l’Université Laval, Sophie D’Amours, la liberté universitaire doit tout de même s’exercer avec « doigté ». » [nos emphases]

« Pour tous les établissements universitaires qui se seront plongés avec curiosité dans ce rapport, la recommandation de créer un comité permanent chargé de traiter les plaintes et les situations litigieuses viendra sans doute résonner avec force. Ils devraient aussi démarrer par un exercice de définitions et de clarifications des concepts importants mais potentiellement fourre-tout que sont la liberté universitaire et la liberté d’expression. » [nos emphases]

Sources:

Bastarache, Michel et al., Rapport du Comité sur la liberté académique, Université d’Ottawa, 2021, 196 p. [document PDF]

bipoccaucusuottawa, Soumission écrite du BIPOC Caucus au Comité sur la liberté académique de l’Université d’Ottawa, blogue du groupe de travail, 30 juin 2021

Chouinard, Marie-Andrée, « Les rappels essentiels du rapport Bastarache » (éditorial), Le Devoir, 8 novembre 2021

Deschâtelets, Ani-Rose, « Une association de professeurs de l’Université d’Ottawa réagit au rapport Bastarache », Le Droit, 9 novembre 2021 (mise à jour: 10 novembre 2021)

Fortier, Marco et Étienne Lajoie, « Plaidoyer pour la liberté de l’enseignement à l’Université d’Ottawa », Le Devoir, 5 novembre 2021

Savoy, Johan, « Rapport Bastarache : des conclusions qui ne font pas consensus », La RotondeLe journal indépendant de l’Université d’Ottawa, 6 novembre 2021

TVA Nouvelles, « Le rapport sur l’affaire Lieutenant-Duval accueilli «positivement» par des professeurs », Le Journal de Montréal, 5 novembre 2021

Interne: Sélection de passages importants des recommandations du rapport Bastarache (U. Ottawa)
Comment protéger la vie privée et les informations des étudiants: quelques conseils pratiques
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Jean-Sébastien Dubé

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