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Verdict unanime de la Cour suprême du Canada dans le litige opposant Access Copyright et l’Université York

Le 30 juillet 2021 la Cour suprême du Canada a rendu un verdict unanime dans la bataille opposant Access Copyright et l’Université York : elle rejette les prétentions de la société de gestion des droits d’auteur selon lesquelles son tarif est obligatoire et conclut que la société de gestion n’avait pas qualité pour intenter une action en justice pour violation du droit d’auteur au nom de ses membres et que l’analyse de l’utilisation équitable à laquelle elle s’est référée au cours des quatre dernières années était biaisée et contenait des erreurs évidentes qui font dire qu’elle constituait “a fairness assessment that was over before it began.”.

L’affaire York complète la trilogie qui invalide la quasi-totalité des arguments juridiques d’Access Copyright. En effet, en 2004, la Cour suprême a mis l’accent sur les droits des utilisateurs et le nécessaire équilibre à établir avec les droits des auteurs octroyés par la Loi sur le droit d’auteur. En 2012, elle a mis fin aux arguments d’Access Copyright qui visaient à distinguer la copie faite par les enseignants de la copie faite par les étudiants.

Par ce dernier verdict, la Cour suprême persiste à soutenir clairement les droits des utilisateurs en matière de droit d’auteur et donne raison à des années de politique éducative voulant qu’il y ait d’autres moyens que celui de contracter une entente avec une société de gestion des droits d’auteur pour respecter la Loi sur le droit d’auteur .

Mais, déplore Michael Geist dans sa dépêche du 5 août dernier, Access Copyright minimise la décision de la Cour suprême dans son communiqué de presse : Supreme Court of Canada refuses to legitimize uncompensated copying by the education sector, notamment en mettant le focus sur le fait que le tribunal n’a pas approuvé les lignes directrices de l’Université de York sur l’utilisation équitable. Il est vrai que la cour ne s’est pas prononcée sur les lignes directrices de York en matière d’utilisation équitable mais elle en a souligné la valeur et elle a également souligné les erreurs dans l’analyse de l’utilisation équitable du tribunal inférieur. Selon Geist, [h]ad the court not faced the “technicality” of no live dispute, it is practically screaming that it would have rejected the fair dealing analysis and would have been inclined to support the development of fair dealing guidelines.

Ce comportement visant à minimiser la portée des verdicts, Access Copyright l’a utilisé dans les décisions précédentes de la Cour suprême, notamment dans l’affaire CCH et l’affaire Alberta.

Par exemple, la décision unanime de 2004 de la CCH est maintenant largement considérée comme la décision la plus importante en matière de droit d’auteur au Canada, affirmant l’importance des droits des utilisateurs et le besoin d’en tenir compte pour qu’Il y ait un certain équilibre avec les droits des auteurs.  La décision unanime a fortement rejeté les arguments des éditeurs juridiques dans une affaire qui comprenait des interventions d’Access Copyright. Mais malgré les implications évidentes – à l’époque, j’ai noté son impact sur tous les aspects du droit d’auteur – le communiqué de presse d’Access Copyright a offert une tournure complètement opposée à la décision, puisque le directeur exécutif de l’époque, Fred Wardle, a été cité comme disant : “La Cour suprême a envoyé un message fort : les gens n’ont pas le champ libre pour copier ce qui leur plaît. L’arrêt a clairement établi qu’il existe une différence entre l’utilisation équitable et la copie à d’autres fins et nous continuerons à veiller à ce que les titulaires de droits soient indemnisés lorsque leurs œuvres sont utilisées à ces fins.”

Roanie Levy, alors directeur des services juridiques d’Access Copyright, a ajouté : “Cet arrêt ne change rien au fait que la plupart des copies d’œuvres protégées par le droit d’auteur ne relèvent pas de l’utilisation équitable. La Cour suprême a déclaré définitivement que le droit d’auteur existe dans les œuvres originales, et c’est pourquoi les organisations doivent signer une licence d’Access Copyright ou risquer d’enfreindre la loi.”

Dans l’affaire Access Copyright contre Alberta en 2012, cette fois, la société d’état a fait cette déclaration : “Le fait est que la Cour suprême ne s’est penchée que sur environ 7 % des copies effectuées dans les écoles. Cette décision ne signifie absolument pas que les matériels protégés par le droit d’auteur utilisés dans les salles de classe seront soumis à une mêlée générale. Au contraire, elle laisse les licences de droit d’auteur en vie et en bonne santé dans le secteur de l’éducation.”

Copibec, la société de gestion des droits d’auteur au Québec, semble faire usage du même stratagème que sa vis-à-vis canadienne, puisque dans son communiqué de presse elle ne retient qu’un aspect de la décision de la Cour suprême, à savoir que cette dernière s’est abstenue de se prononcer sur l’utilisation équitable et que, ce faisant, elle n’apporte pas de nouvelles balises pour encadrer les exceptions d’utilisation équitable. « Malgré que la Cour suprême reconnaisse que l’utilisation institutionnelle et massive des œuvres pourrait avoir un impact important sur l’application de l’utilisation équitable, des universités pourraient être tentées de poursuivre leurs guérillas judiciaires aux frais des contribuables et des titulaires de droits », a déploré Laurent Dubois, vice-président de Copibec et directeur général de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois.

Les deux dépêches de Michael Geist sont fort instructives et méritent d’être lues dans leur entièreté. La réalité de la création et de la diffusion d’oeuvres est en pleine transformation, comme l’a exprimé la Cour suprême (rapporté par Geist) : the Supreme Court says in this case that “increasing public access to and dissemination of artistic and intellectual works, which enrich society and often provide users with the tools and inspiration to generate works of their own, is a primary goal of copyright”, the copyright review already rejected reforms, and the world is moving on with more licensing choices and greater flexibility.

* Les citations de Michael Geist en français ont été traduites avec Deepl.

Sources   

Geist, Michael.  Copyright Vindication: Supreme Court Confirms Access Copyright Tariff Not Mandatory, Lower Court Fair Dealing Analysis Was “Tainted”. Michael Geist (blogue éponyme). 3 août 2021

Geist, Michael.  Same Old Spin: Why Access Copyright Needs a Reality Check on Canadian Copyright. Michael Geist (blogue éponyme). 5 août 2021

Copibec.  Access Copyright c. York – Une décision de la Cour suprême préservant le modèle québécoisCommuniqué de presse. 30 juillet 2021.

Il y a le plafond de verre et le tuyau percé
Et si on parlait de recyclage plutôt que d’autoplagiat?
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Sonia Morin

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