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Percevoir le monde comme si l’on était perdu en forêt

Mon collègue Miguel Aubouy m’a offert à lire un texte du designer canadien Bruce Mau. Il s’agit d’un chapitre du livre MC24 pour « massive change » (le livre présente 24 façons de réaliser un « changement massif »). C’est une des lectures que Miguel recommande aux étudiantes et étudiants dans ses cours d’innovation.

D’après Mau, les designers et les entrepreneurs ont en commun de percevoir leur environnement comme « grouillant d’opportunités » (alive with potential), alors que la plupart d’entre nous ne le voit au mieux que comme un arrière-plan, voire un ensemble de contraintes.

Partant de la citation de Henry David Thoreau à l’effet qu’ « [i]l faut être perdu, il faut avoir perdu le monde, pour se trouver soi-même », il évoque le fait de s’être perdu adolescent dans l’immense forêt nordique derrière chez lui. Pour Mau, de réaliser que l’environnement habituellement familier devenait soudainement menaçant, un réel danger pour sa vie, l’obligeait à une hypervigilance où tout devait devenir une opportunité de survie. De même, retrouver son chemin constituait pour lui une expérience profonde de confiance en ses capacités de faire face à l’inconnu.

«… C’est ce que l’on ressent quand on se perd dans la forêt. C’est un sentiment de perte de l’horizon et des liens qui nous ancrent et nous orientent dans l’environnement. C’est comme voler dans un brouillard. » [traduit avec Deepl.com/Translator, puis ajusté]

Voilà qui amène Mau à appeler de ses voeux un apprentissage expérientiel et entrepreneurial basé sur la passion. D’après lui, la principale constante du XXIe siècle sera le changement. Or, l’enseignement actuel est offert comme si l’environnement était statique:

« If you only learn to get out of the forest you know, what do you do when the forest changes? Where do you turn? We need to develop an entrepreneurial mindset to deal with any forest we may encounter today, and all the forests that are coming. The only way to do that is to embrace the initial feeling of being lost – fearlessly and enthusiastically. »

Il évoque sa propre façon d’enseigner le design, dans laquelle il met ses étudiantes et étudiants dans des situations impossibles à réaliser seuls (ex: monter une exposition de 20 000 pieds carrés sur le “futur du design” à la Vancouver Art Gallery), à la vue du public : ils n’ont d’autre choix que de s’entraider pour parvenir à une solution.

« I thought that seemed like a great educational model: take on a very though challenge that is only possible to solve as a team. If you win and survive, you are free. With that, the Institute Without Boundaries was born. The formula was simple: real though problems, very public stage, driven by purpose. The intention is to radically accelerate learning.

Why? Purpose drives learning. Nothing accelerates learning more than passion. A real problem drives purpose. Real purpose is passion. And passion is unbounded.

Genuine, though problems don’t respect our disciplinary boundaries.

Astronomy is a discipline; going to space is the real problem. Astronomy inspires a few; going to space inspired a generation… »

Mau tient sans doute quelque chose de profond dans cette idée de « se perdre pour apprendre à affronter l’inconnu », mais il a souvent été critiqué pour son optimisme. Je serais curieux de le lire sur l’accompagnement et la guidance qu’il offre aux personnes qu’il place ainsi en situation d’inconfort créatif. Quel droit à l’erreur leur reste-t-il? Quand intervient-il s’il veut vraiment que ces personnes se sentent « perdues » et apprennent à dépendre les unes des autres? Jusqu’où et comment faire vivre ce sentiment de « danger » si l’enseignant est à côté, prêt à intervenir?

Source: Mau, Bruce, « Think Like You Are Lost in the Forest », MC24, Phaidon, 2020, pp. 230-241

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Jean-Sébastien Dubé

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