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Devrait-on enseigner l’humilité intellectuelle pour favoriser de sains débats en classe?

Plusieurs mois avant la diffusion à large échelle de fausses nouvelles et d’idées complotistes, avant la controverse qui a éclaté à l’Université d’Ottawa marquée par un refus de débattre, j’avais choisi comme axe de veille pour 2020-2021 d’examiner comment on pourrait encore mieux faire des salles de classe des espaces où l’on favoriserait les débats respectueux et productifs visant à faire avancer les idées. Il m’apparaît que c’est une compétence que l’on doit absolument développer chez nos étudiantes et étudiants, futures professionnelles ou professionnels, a fortiori citoyennes ou citoyens.

Je découvre donc avec une certaine fascination le champ spécialisé de la psychologie politique, notamment via les travaux de Leor Zmigrod, une jeune chercheure montante de l’Université Cambridge: “Ses recherches combinent des méthodes issues de la psychologie expérimentale, des sciences cognitives et des neurosciences pour étudier la psychologie de l’adhésion idéologique et de la formation des identités de groupe. Elle s’intéresse en particulier à l’étude des caractéristiques cognitives qui pourraient agir comme facteurs de vulnérabilité à la radicalisation et aux comportements motivés par l’idéologie.” (https://www.leorzmigrod.com, traduit avec www.DeepL.com/Translator)

Dans un premier article qu’elle signe seule, Mme Zmigrod tente de réconcilier diverses idées autour de la rigidité cognitive, estimant qu’elle serait liée à l’extrémisme, à la partisanerie et au dogmatisme, tant aux niveaux politique, religieux, ethnique, etc. et ce, tant à la droite qu’à la gauche du spectre idéologique. Elle croit qu’une compréhension rigoureuse des racines cognitives de la pensée idéologique s’avère essentielle au développement d’antidotes à l’intolérance et à la méfiance entre groupes.

The cognitively rigid mind may be more susceptible to the strictness, clarity, and categorical worldview which many doctrines espouse, while the cognitive flexible mind may be more likely to process socio-political arguments in a nuanced, non-categorical way that tolerates the ambiguities of social challenges (which ideological dogmas and movements rarely fully embody). (Zmigrod, 2019)

D’après le site québécois Psychomédia, “La flexibilité cognitive désigne la capacité de passer d’une tâche cognitive à une autre, d’un comportement à un autre, en fonction des exigences et de réfléchir à plusieurs possibilités à un moment donné pour résoudre les problèmes.” Zmigrod l’associe à des qualités comme la créativité, l’originalité, l’ouverture, etc.

Est-ce à dire qu’il faudrait entraîner nos étudiantes et étudiants à davantage de flexibilité cognitive? From an empirical perspective, it indeed appears that mental rigidity and intolerance of ambiguity are linked to intergroup hostility and ideological extremism, and that cognitive flexibility is associated with tolerance and acceptance of dissimilar others. […] [I]t is exactly in the plasticity and malleability of these orientations — and the study of their nature — that we can imagine and implement positive change to build more tolerant, loving, and creative societies. (Zmigrod, 2019)

Dans un second texte qu’elle cosigne avec des collègues de Cambridge, elle s’intéresse à l’humilité intellectuelle que les coauteurs définissent comme “a character virtue that allows individuals to recognize their own potential fallibility when forming and revising attitudes. [It] is therefore essential for avoiding confirmation biases when reasoning about evidence and evaluating beliefs.” À la suite de Leary et al. (2017), ils rappellent que l’humilité intellectuelle permettrait de “recognizing that a particular personal belief may be fallible, accompanied by an appropriate attentiveness to limitations in the evidentiary basis of that belief and to one’s own limitations in obtaining and evaluating relevant information” (Zmigrod et al., 2019)

Zmigrod et al. cherchent à comprendre comment la flexibilité cognitive et l’intelligence sont des corrélats de l’humilité intellectuelle: The study [Stanovich and West (1997)] therefore suggests that a flexible thinking disposition may facilitate intellectual humility independently of cognitive ability. Interestingly, cognitive ability, operationalized with SAT scores and a test of verbal ability, was a unique and independent predictor of argument evaluation performance, signifying intelligence may still play a notable role. (Zmigrod et al., 2019)

Toutefois, Zmigrod et ses collègues ont choisi de mesurer l’humilité intellectuelle au moyen du test Comprehensive Intellectual Humility Scale (CIHS) développé par Krumrei-Mancuso et Rouse (2016) qui évalue quatre facteurs d’humilité intellectuelle, soit 1) l’indépendance d’intellect et d’égo, 2) l’ouverture à réévaluer son point de vue, 3) le respect pour le point de vue des autres et 4) l’absence de confiance intellectuelle excessive.

Ils ont mesuré la flexibilité cognitive par les tests Alternate Uses Task (AUT) et Verbal Fluency Task (VF) dans lesquels les participants doivent respectivement trouver le plus grand nombre d’utilisations à des objets quotidiens comme une brique et à un journal pendant 90 secondes et trouver le plus grand nombre de mots en lien avec un concept (“objets rouges”) pendant 2 minutes. Ils ont mesuré l’intelligence par le Raven’s Standard Progressive Matrices Task (Raven’s SPM) dans lequel les participants doivent identifier les pièces manquantes de neuf motifs visuels alors que le niveau de difficulté va croissant.

D’après eux, il semblerait qu’il existe une “relation à trois” entre ces qualités, alors que tantôt l’intelligence, tantôt la flexibilité cognitive deviennent garantes de l’humilité intellectuelle, lorsque l’autre qualité est plus faible: “[T]he relationship between intellectual humility and cognitive flexibility varies depending on intelligence, such that intelligence differentiates between low and high intellectual humility at low levels of cognitive flexibility, but not at high levels of cognitive flexibility. Similarly, cognitive flexibility differentiates between low and high intellectual humility at low intelligence scores, but not high intelligence scores. […] [T]here is a symmetry in the interaction effect, such that the relationship between intellectual humility and intelligence is most pronounced at low levels of cognitive flexibility, and similarly the relationship between intellectual humility and flexibility is evident at low levels of intelligence.”

Pour Zmigrod et ses collègues, il y a peut-être là une manière de se prémunir contre l’intolérance et la désinformation…

The finding that intellectual humility has multiple distinct psychological underpinnings – an analytical thinking route and a mental flexibility route – provides a fruitful basis on which to expand research into interventions that promote inoculation against misinformation and ideological polarization. Pre-emptively warning individuals about ideologically-motivated efforts to spread misinformation and about the argumentation techniques commonly used in misinformation campaigns has been shown to be effective in neutralizing the effect of misinformation on attitudes (Cook, Lewandowsky, & Ecker, 2017Van der Linden, Leiserowitz, Rosenthal, & Maibach, 2017).

Sources:
Zmigrod, Leor, “The role of cognitive rigidity in political ideologies: theory, evidence, and future directions“, Current Opinion in Behavioral Sciences, Elsevier, 2019, no 34, pp.34-39.

Zmigrod, Leor, Sharon Zmigrod, Peter Jason Rentfrow et Trevor W. Robbins, “The psychological roots of intellectual humility: The role of intelligence and cognitive flexibility“, Personality and Individual Differences, Elsevier, no 141, 2019, pp. 200-208

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À propos de l'auteur

Jean-Sébastien Dubé

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