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Un aperçu du monde du (télé)travail post-pandémie

On peut à juste titre se demander si et comment les mesures de confinement et la place grandissante des télécommunications affecteront l’enseignement supérieur. Il semble cependant assez certain qu’elles auront un impact important et durable sur l’économie et sur l’organisation du travail. Il peut être bon d’y réfléchir afin d’envisager à la manière dont nous formerons les professionnels de demain.

Dans deux articles différents, Will Oremus et Brian Merchant de la section “OneZero” du magazine en ligne Medium évoquent respectivement l’accélération de deux phénomènes dans la foulée de la pandémie de COVID-19. D’une part, la généralisation du télétravail chez les cols blancs et, d’autre part, l’“amazonfication” de l’économie, avec son incidence notable sur le travail salarié.

À l’ère d’Amazon, on fait comme Amazon

“Amazon isn’t the only tech company seeing business boom during the global pandemic. Instacart, Walmart Grocery, and Shipt are seeing record downloads, and Blue Apron, the struggling meal kit delivery service, saw its stock jump 70% on Tuesday. […] The economy could be dominated by precarious work, monopoly tech platforms, and semi-automated systems to an extent even greater than it is now. And then the Amazonification of the planet will be complete.” (Merchant, 2020)

En examinant les pratiques du géant de la distribution Amazon qui embauchait le 16 mars dernier 10 000 personnes à 17$ de l’heure minimum (alors que des pans entiers de l’économie américaine s’écroulent), Merchant suggère que dans les prochains mois le travail salarié pourrait devenir de plus en plus…

  • automatisé, donc plus rare: Amazon a annoncé que ses entrepôts seraient complètement automatisés d’ici 2030. Certaines tâches le sont déjà… d’autres sont comblées par des travailleurs selon le besoin. “Companies that have shed employees, automated roles, and picked up the slack with gig workers, may never hire back the workers they lost. ” C’est ce que les anglophones appellent la “gig economy” et que l’OQLF traduit par “économie à la demande”.
  • précaire et saisonnier: l’auteur évoque le fait que certains travailleurs n’ont que peu ou pas de protection en cas de maladie et doivent travailler pour survivre, même s’ils se sentent souffrant. En plus d’Amazon, il nomme d’autres compagnies comme Lyft, Uber, Instacart et DoorDash qui ont le même genre de pratiques de gestion.
  • gouverné par des algorithmes et des logiciels de productivité qui déterminent si oui ou non il y a un besoin de personnel.
  • contrôlé par un nombre limité de méga-entreprises: ici Merchant mentionne le fait que l’arrêt de la distribution d’un produit par Amazon signifie souvent la mort de certains fournisseurs et donc d’autres entreprises.
  • privé, même dans le domaine de la santé:…[T]he transfer of public services to for-profit enterprises rarely bodes well, especially when it comes to matters of human health. (See: Flint, Michigan.)

Espoirs et inquiétudes du télétravail

De son côté, Will Oremus décrit sa propre réalité de télétravailleur. Pour lui, les mesures de confinement dues à la pandémie donnent un aperçu d’un monde où le télétravail serait généralisé: « It feels, in some ways, like a dress rehearsal for a future that was already on its way — one in which more and more of us self-isolate voluntarily, interacting with the outside world only from behind screens. »

Il énumère les avantages sociaux dans l’éventualité où le télétravail deviendrait la norme:

  • moins de temps consacré aux déplacements entre les résidences et les lieux de travail;
  • horaires plus flexibles et diminution d’un certain absentéisme;
  • baisse du prix des propriétés près des zones urbaines;
  • moins de besoins d’un second véhicule par maisonnée;
  • diminution des embouteillages;
  • réduction des gaz à effets de serre;
  • (ré)habilitation de certaines personnes handicapées.

Oremus prend le temps de rappeler qu’au début des années 2010 on pensait que le télétravail augmentait la productivité et donc qu’un jour la moitié de la population américaine pourrait fonctionner ainsi. Il explique qu’au milieu de la décennie des décisions de gestionnaires d’importantes compagnies (Yahoo, Aetna, Best Buy et IBM) ont ralenti le développement de cette pratique. Des études de cette époque estimaient que le télétravail nuisait à la collaboration. Évidemment, le développement des logiciels de télécommunication a changé la donne.

Il présente des chiffres sur l’état actuel de cette tendance:

The trend is real, but the transformation hasn’t been so rapid: The Bureau of Labor Statistics reports that just under 30% of U.S. workers had the ability to work from home at least part of the time in 2019, according to the Bureau of Labor Statistics, and about one in four actually did. A 2017 Gallup survey put the number higher, at 43%. Either way, the proportion who work remotely all the time is probably much lower.

Un quart de 30 % ça fait environ 24,5 millions d’Américains qui se prévaudraient du télétravail à l’occasion, avec un peu plus de 12 millions qui travailleraient de la maison à temps plein. Ça laisse quand même 302,7 millions d’individus qui n’y auraient pas accès.

Bien qu’il profite des avantages de ce mode de vie, Oremus est assez lucide pour savoir qu’il s’agit d’une prérogative de privilégiés:

White-collar workers can self-isolate only because it’s someone else’s job to deliver all the things they order on demand. They can Zoom and Slack and stream because someone else mined the precious metals in their laptop and laid the fiber-optic cable to their building.  […] The majority of Americans today are employed in sectors such as health care, retail, hospitality, and manufacturing that don’t lend themselves to virtualization (and generally pay less, too).”

Pour lui, le changement le plus important risque de se produire plutôt au niveau immobilier: la disparition de nombreux espaces à bureaux:

What’s specifically at stake, then, may not be the future of work so much as the future of the office building — a place where people employed by the same company spend their days staring at screens in physical proximity to one another. The decline of the office building would in itself mark a major societal shift, one that would reshape business districts and transportation patterns. […]

The more people opt to work remotely, the fewer come to the office, and the less office space companies see a need to maintain. Already many tech companies with open office plans have fewer desks than workers; they rely on some portion staying home each day.

Oremus s’interroge: et si le temps n’était pas loin où l’obtention d’un poste au sein d’une entreprise n’équivalait plus à y avoir un espace physique: “...[W]hat about when that becomes the default? When hiring people doesn’t necessarily imply offering them a place to work? When every home has to convert one bedroom to an office, just in case its occupant’s next job doesn’t have one?

À partir du moment où l’on privilégie le télétravail, le lieu d’habitation n’a plus d’importance et les candidats pour un poste entrent en compétition avec toutes les personnes disponibles ailleurs dans une province, un pays, voire tous les pays de même langue d’usage. C’est intéressant pour l’employeur, mais peut-être moins pour les candidats qui vivent à proximité d’une entreprise… Oremus se demande si on ne coupera pas alors les liens entre des employeurs locaux et leur communauté… Quels incitatifs restera-t-il pour des commandites d’événements régionaux, des investissements dans les infrastructures locales?

Les compétences requises par les télétravailleurs

Will Oremus pointe vers un article du site Lifehack rédigé par Sean Kim, fondateur et PDG de Rype, une application qui jumelle des tuteurs et des étudiants qui souhaitent apprendre une nouvelle langue. Kim est clairement convaincu de la plus-value du télétravail: “Give people the freedom to work where they want and begin to re-think the 9-5 working style. By adopting a culture of trust and respect, you’re empowering individuals to not just show up, but to show results.”

Ce qui est plus intéressant, ce sont les recommandations qu’il énonce pour maximiser le rendement en situation de télétravail. Cela peut donner une idée de compétences que de futurs télétravailleurs devraient maîtriser.

  1. Penser au résultat (Think Output): développer sa productivité (ou trouver le meilleur rapport entre l’effort fourni et la valeur ajoutée obtenue), savoir lutter contre la procrastination, etc.
  2. Se fixer des objectifs (Get S.M.A.R.T.): de tels objectifs devraient être spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes (et pertinents), ainsi que prévus selon une ligne de temps, d’où l’acronyme S.M.A.R.T.
  3. Communiquer, communiquer, communiquer (Communicate, communicate, communicate): développer la capacité de transmettre beaucoup de renseignements dans des messages concis.
    • “The caveat to working remotely is that we miss out on 70% of nonverbal communication, such as facial expressions, voice tones, and eye contact. Working from other sides of the world, communicating the smallest things are a must. This is why we use everything from Slack, Skype, and Whatsapp to keep in regular contact in an informal manner. It allows me to be myself and have more natural flowing conversations with our team.” (Kim, sans date)
  4. Mettre sur pied un système de gestion de projets pour la compagnie (Create a Company Bulletin Board): il peut s’agir de Basecamp, Asana, Pivotal Tracker ou Trello, mais l’important est de permettre à tous les membres de l’équipe de savoir ce sur quoi les autres travaillent.
  5. Prévoir de nombreuses occasions de rétroaction (Have regular feedback): « La création d’une culture d’amélioration continue permettra aux membres [de l’équipe] de sentir qu’ils s’améliorent personnellement, ce qui conduit à un engagement professionnel accru et à une plus grande loyauté envers l’entreprise. » (Kim, traduit avec Deepl.com)

Qu’est-ce que ça veut dire pour nos futurs diplômées et diplômés? Dépendamment de leur discipline, il faudra sans doute qu’ils sachent se distinguer d’autres candidats de partout dans le monde, travailler en équipe, mais à distance, tout en étant très autonomes, mais en sachant se coordonner avec leurs collègues qui pourraient être à l’autre bout de la ville, du pays, de la planète. Il faudra aussi qu’ils soient extrêmement adaptables et agiles, compte tenu de l’économie à la demande (gig economy) qui en fera souvent des travailleurs contractuels.

Sources:

Kim, Sean, “Why the Future of Work Is Remote“, Lifehack, [sans date; consulté le 1er avril 2020]

Merchant, Brian, “Coronavirus Is Speeding Up the Amazonification of the Planet“, Medium OneZero, 19 mars 2020

Oremus, Will, “Coronavirus Is a Preview of Our Self-Isolating Future“, Medium OneZero, 11 mars 2020

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À propos de l'auteur

Jean-Sébastien Dubé

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  • Dans un autre article sur Medium, Max Ufberg présente les revendications des travailleurs de “l’économie à la demande” (gig economy workers), non-syndiqués, mais qui choisissent de s’organiser pour obtenir des mesures sanitaires plus efficaces dans le contexte de la pandémie:

    [These] actions are part of a larger trend not just at Amazon, which is seeing worker protests across the country, but in the gig economy part of the tech sector at large: Employees who provide essential services and deliveries for companies such as Uber, Instacart, and DoorDash are speaking out against what they say are unjust and unsafe working conditions. “They’re taking on the bodily risk that consumers are avoiding,” said Veena Dubal, a law professor at the University of California, Hastings College of the Law. “Given that they have become essential in to our lives, I think the potential here is full for there to be an alliance between consumers and workers.”

    …[C]oronavirus brings a new degree of national attention — and sympathy — for the blue-collar employees at the 21st century’s tech behemoths. “The average person who is maybe middle class and doesn’t think about these things on an everyday basis now has to think about these things,” Dubal said. “You are forced to think about the health and safety of the workers because you are so fundamentally reliant on them for your own livelihood and life.

    Source: Ufberg, Max, “Gig Economy Workers Are Finally Being Heard“, section “Gen” du magazine Medium, 3 avril 2020.

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