Pédagogique Point chaud / en émergence

Pas de pensée critique sans une large base de connaissances pertinentes

Il est de bon ton de dire qu’il faut aller au-delà de la transmission des connaissances et développer la pensée critique chez les étudiants. C’est notamment souvent un discours associé à la question des compétences informationnelles. Certains vont jusqu’à suggérer que l’université devrait faire moins de transmission de connaissances et plus d’entraînement à la pensée critique, puisque de toute façon la connaissance est accessible ailleurs que dans la salle de classe (internet, bibliothèques, etc). Jay Mathews, le chroniqueur éducation du Washington Post, en parlait dans une chronique d’août 2008.

Mathews évoque une vague de cours sur la pensée critique offerts au public et promettant de meilleurs résultats aux examens d’admission dans les universités et dans les évaluations. S’appuyant sur les dires du spécialiste de la cognition Daniel T. Willingham (auteur de l’excellent Why Don’t Students Like School? — A cognitive scientist answers questions about how your mind works and what it means for the classroom), M. Mathews s’attaque à la crédibilité de ces cours. Il explique que la pensée critique ne peut se manifester que dans la mesure où une personne a une base suffisante de connaissances pertinentes au sujet traité. D’ailleurs la pensée critique ne se transfère pas très bien entre les domaines : un grand penseur en physique ne sera pas pour autant un grand penseur critique en éducation ou en politique, par exemple, à moins d’avoir aussi acquis des connaissances suffisantes dans ces domaines.

“The processes of thinking are intertwined with the content of thought (that is, domain knowledge),” Willingham says. “Thus, if you remind a student to ‘look at an issue from multiple perspectives’ often enough, he will learn that he ought to do so, but if he doesn’t know much about an issue, he can’t think about it from multiple perspectives.”

[…]

The celebrated 1983 report “A Nation At Risk” by the National Commission on Excellence in Education was referring to critical thinking when it decried the lack of “‘higher-order’ intellectual skills” in 17 year olds. That led to much hand-wringing. By 1990, Willingham says, “most states had initiatives designed to encourage educators to teach critical thinking, and one of the most widely used programs, Tactics for Thinking, sold 70,000 teacher guides.”

Researchers have tried to assess the benefits of these programs, without much success. “The evidence shows that such programs primarily improve students’ thinking with the sort of problems they practiced in the program–not with other types of problems,” Willingham says. “More generally, it’s doubtful that a program that effectively teaches students to think critically in a variety of situations will ever be developed.”

La leçon à en tirer? Si la connaissance suffisante d’un domaine est une condition préalable à la pensée critique dans ce même domaine, l’Université doit donc demeurer une institution où les étudiants acquièrent des connaissances factuelles (ou connaissances déclaratives, dans le jargon pédagogique). Il faut quand même aller plus loin et développer la pensée critique, mais sans penser qu’il existe des raccourcis magiques. Les enseignants peuvent effectivement mieux utiliser le temps en classe pour le développement de la pensée critique (il existe de nombreux exemples d’activités pour le faire), mais uniquement dans la mesure où l’acquisition des connaissances factuelles nécessaires est quand même prévue dans d’autres activités d’apprentissage bien conçues.

L’approche des parcours de professionnalisation adoptée à l’Université de Sherbrooke me semble donc cohérente avec ce principe, puisque l’on y prévoit d’abord des activités d’acquisition des ressources, suivies d’activités de mobilisation (pensée critique s’exerce ici) et de réflexion sur sa pratique (pensée critique s’exerce ici aussi), le tout dans une démarche progressive.

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