Pédagogique Point chaud / en émergence

Pédagogie fondée sur la bonté

Bonté me semble un mot qui passe mal.  Surtout accolé au mot pédagogie.  Le mot gentillesse passerait-il mieux?  Une pédagogie fondée sur la gentillesse?

Qu’importe.  La réflexion de Catherine Denial, professeure d’histoire américaine au Knox College de Galeburg (Illinois), sur la pédagogie fondée sur la bonté est particulièrement intéressante.

Depuis deux ans, lorsqu’on lui demande comment elle résumerait son approche pédagogique, elle répond « bonté » (kindness).

Pourtant, durant sa formation universitaire, on l’a encouragée à considérer les étudiants comme des adversaires toujours à l’affût de la prendre en défaut, à se méfier du plagiat et de la fraude académique, à assumer que les étudiants ne feraient pas les lectures demandées et à s’attendre à être traitée comme un simple rouage dans un système clientéliste par des étudiants qui contesteraient leur note, à démontrer un sale caractère (bitch) dès le premier jour afin qu’aucun étudiant ne souhaite jamais revoir ce « monstre » inflexible, froid et dur.  Elle avoue avoir suivi toutes ces recommandations au début de sa carrière en devant admettre que cette approche était contreproductive au mieux, destructrice au pire pour ses étudiants et pour elle-même.  Un véritable climat de méfiance réciproque.

Au fil du temps, elle a tenté de créer un climat plus positif d’apprentissage, mais il restait un fond de méfiance envers ses étudiants…  Jusqu’à ce qu’elle fasse une résidence de quelques jours au Digital Pedagogy Lab Institute de l’Université de Mary Washington, un institut où tout est basé sur le concept de bonté, comme dans être attentionné, prendre soin (caring).  Dans cet institut, la pédagogie est réellement centrée sur les personnes (enseignants et étudiants) et les choix pédagogiques sont précédés de questions de fond aux enseignants, comme les suivantes.

  • Ai-je vraiment besoin de ces outils technologiques?
  • À qui seront-ils utiles?
  • Leur utilisation entraînera-t-elle des demandes d’accommodement de la part d’étudiants en situation de handicap ou de trouble d’apprentissage?
  • Pourquoi j’utilise telle ou telle approche?
  • Est-ce que je considère mes étudiants comme des partenaires pouvant contribuer activement à leurs apprentissages?
  • Quels messages j’envoie à mes étudiants quand à ma perception d’eux?

Ainsi, en regardant son syllabus, la professeure Denial a réalisé qu’il était écrit depuis une posture d’autorité absolue qui ne tenait pas compte que ses étudiants avaient une vie personnelle.

« The language I used to describe the college’s Honor Code, for example, expressed the suspicion that everyone was going to commit some awful academic offense at some point, and my attendance policy made no room for the idea that my students were adults with complicated lives who would need to miss a class now and again.”

Tout un exercice de réflexion sur sa pratique d’enseignement et sur ses conceptions de l’apprentissage, avoue la professeure,une réflexion qui l’a conduite à se poser la question suivante :  pourquoi ne pas faire preuve de bonté?  Ce qu’elle a choisi de faire.  Depuis, sa pédagogie est marquée au coin de la bonté.

[T]o me, kindness as pedagogical practice is not about sacrificing myself, or about taking on more emotional labor. It has simplified my teaching, not complicated it, and it’s not about niceness. Direct, honest conversations, for instance, are often tough, not nice. But the kindness offered by honesty challenges both myself and my students to grow.  As bell hooks memorably wrote in Teaching to Transgress, “there can be, and usually is, some degree of pain involved in giving up old ways of thinking and knowing and learning new approaches.”

La bonté en pédagogie pourrait, selon elle, se résumer à deux choses :

  1. croire ses étudiants : croire que c’est vrai qu’ils sont malades, qu’un membre de la famille est décédé, que l’imprimante a lâché au moment d’imprimer le travail à rendre…
  2. croire en ses étudiants : les considérer comme des collaborateurs, tenir compte de leurs suggestions pour la bonne marche de mes cours : méthodes pédagogiques, modalités d’évaluation…

La bonté en pédagogie a eu un autre effet sur la professeure : elle s’est mise à l’approche pédagogique inclusive (basée sur la bonté, pourrions-nous dire) et elle admet facilement que les changements qu’elle a effectués lui ont été bénéfiques.

I feel more comfortable as a teacher now than I ever have. The subconscious sense that students were antagonists lingered inside me for a long time — long enough that it has been a marvel to teach these past two academic years and experience a teacher-student relationship without that default expectation. I was less stressed; I didn’t have reservations about walking into the classroom. My students rose up to meet every new challenge I presented to them, and vocally affirmed that they appreciated the new approach to grading. Crucially, they articulated that when I looked them in the eye and told them what they had done well in a paper, they believed me, whereas when the same info was written at the end of a paper, they didn’t. They saw it as pablum — something that I had to write before I delivered the bad news of what they could still work at (which they interpreted as “what I did wrong.”) I see that shift, from their exasperation and disappointment to them becoming partners in the assessment of their work, was emblematic of the fruits of a pedagogy of kindness. It was, and is, transformational for all involved.

Enfin, l’article se termine en affirmant qu’appliquer la pédagogie fondée sur la bonté à notre monde du travail  pourrait constituer une résistance au modèle de gestion de l’éducation dans lequel les étudiants sont considérés comme des clients et les enseignants comme des « vendeurs », modèle dans lequel toute humanité semble avoir été évacuée.

La pédagogie fondée sur la bonté est à mettre en relation avec la pédagogie fondée sur la compassion.  Une rapide recherche dans Google et Google Scholar a donné quelques résultats qui demandent à être évalués avec plus de profondeur :

Source

Denial, Catherine.  A Pedagogy of KindnessHybrid Pedagogy.  15 août 2019.

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Sonia Morin

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