Tendances sociétales

Se méfier des mots-fouines, car ils nuisent à l’esprit critique

Je viens de lire l’entrevue que Normand Baillargeon, ancien professeur à l’UQAM – entre autres choses, a accordée à Découvrir en 2008 (alors qu’il était toujours rattaché à cette université)!  C’est brillant, comme souvent c’est le cas avec Baillargeon.  Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, ses propos activent nos neurones, encore et toujours 11 ans plus tard.   En paresseuse estivale, je me contente ici de rapporter intégralement quelques paroles qui m’ont interpellée.

« [J]e suis persuadé que la diffusion de la rationalité est essentielle à l’émancipation des individus et à la survie de l’espèce.  Ce qui est mis en jeu par là est une conception de l’être humain et de la rationalité : c’est celle que défendait déjà Aristote quand il affirmait que les êtres humains sont faits pour penser et pour comprendre, et qu’il est dans leur nature d’y prendre plaisir. Mais on y trouve aussi un volet politique, la conviction que nous sommes faits aussi pour coopérer et que la rationalité, indispensable à l’émancipation de l’individu, a aussi un rôle majeur à jouer dans la conversation démocratique, c’est-à-dire dans les délibérations, puis dans l’action collective. »

« La pensée rationnelle permet de se prémunir contre des discours, parfois séduisants et qui peuvent sembler vraisemblables, mais qui ne résistent pas à l’analyse. »

« Il faut résister à la tentation du relativisme, qui nous ferait réduire la science à un simple discours parmi d’autres, sans plus de prétention à la vérité. »

 « Les vertus épistémiques : l’honnêteté intellectuelle, l’intégrité, la capacité de soumettre à la critique d’autrui ce qu’on avance, une certaine et indispensable méfiance à l’endroit de nos sens et de notre mémoire, la capacité d’envisager des hypothèses autres, la pratique du doute constructif, la reconnaissance du caractère faillible de nos connaissances, et ainsi de suite. »

Pour Baillargeon, le langage et les chiffres sont les deux outils indispensables à la pensée critique, car « l’innumérisme est aussi dommageable que l’illettrisme. »

« [L]e langage est un outil extrêmement puissant, et cela, tous les charlatans et tous les manipulateurs le savent bien, depuis toujours. Considérez, par exemple, ces mots qu’on appelle des « mots-fouines ». La fouine attaque un nid d’oiseau en gobant le contenu de l’œuf et en laissant derrière elle une coquille apparemment intacte, mais vide. Les mots-fouines font de même pour des propositions : ils les vident de leur substance. La publicité en raffole. Telle crème contient jusqu’à 60 % de XYZ, dit-on. Le terme  « jusqu’à » est un mot-fouine, et il pourrait bien avoir vidé la proposition de sa substance. « Peut, « aide », « contribue » sont autant de mots-fouines potentiels.”

On trouve une définition fouillée du mot-fouine sur le site des sceptiques du Québec.

Finalement je crois que je vais relire son livre Petit cours d’autodéfense intellectuelle (2005) cet été.

Source – Baillargeon, Normand.  Comment « penser » critique?  Découvrir. 27 octobre 2017.  (Le texte a été publié une première fois en avril 2008 dans la version imprimée du présent magazine.)

 

 

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Sonia Morin

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