Pédagogique Tendances sociétales

Guerre de tranchées pour la liberté d’expression sur les campus?

Dans la semaine du 13 novembre 2017, une série de reportages radio à l’émission L’heure du monde est revenue sur les mouvements de protestation qui enflamment certains campus aux États-Unis, en Grande-Bretagne et, de plus en plus, au Canada: des foules d’étudiants empêchent certains conférenciers controversés de prendre la parole sur leurs campus.  Le journaliste Christian Noël rappelle cette statistique alarmante pour la liberté d’expression:

“Selon un récent sondage réalisé sur les campus américains, la majorité des étudiants [51 %] estiment qu’il est acceptable de faire du vacarme pour faire taire une personne si cette dernière tient des propos offensants ou blessants.

De plus, un étudiant sur cinq [19 %] croit que l’utilisation de la violence est acceptable dans cette situation…” (Noël, 2017)

Oren Amitay, un psychologue interviewé par Noël, affirme: “Les gens s’isolent dans leur bulle de pensée, ils n’écoutent plus le camp adverse. La pensée de groupe polarise, les gens se radicalisent, ça devient une mentalité du “nous” contre “eux”.”

Les justifications des militants de gauche qui mènent de tels mouvements de protestations semblent lui donner raison: “Nos idées antiracistes sont meilleures que leurs idées racistes. Quand on les empêche de parler, on leur fait subir les conséquences de leur position extrême.” (Farshad Azadian, militant marxiste, cité par Noël, 2017)

Le 5 novembre dernier, David Bromwich, professeur d’anglais à Yale, signait un texte d’opinion remarqué dans le Chronicle of Higher Education.  Intitulé “The New Campus Censors“, le texte allègue que si les étudiants sont le fer de lance des récentes atteintes à la liberté d’expression sur certains campus américains, plusieurs enseignants et administrateurs en sont les complices.  C’est une lecture intéressante, notamment pour la tentative de déconstruction du discours de ces nouveaux censeurs à laquelle s’attaque le professeur.

En quête de l’origine de ce nouveau mouvement, Bromwich s’attarde à l’impact des médias sociaux sur le débat public.  L’effet “chambre à échos” combiné à l’effet multiplicateur contribuerait à isoler davantage les groupes d’étudiants opposés, tout en donnant de la légitimité à des positions et des actions de plus en plus affirmées :

Probably the largest influence in the move toward repression has been the rise of social media as a facilitator of protest. In the era of the landline telephone, it could take days or weeks to organize a march. Now Facebook, Twitter, Instagram, and the rest can work up a sudden consensus and a plan of action that gets relayed to thousands between breakfast and dinner. The virtual sight of the crowd in online hashtag swarms inevitably adds to the impression that “we” represent a unanimous and inclusive community, entirely composed of persons of decency and goodwill.
[…]

Students raised from a young age in the total surround of the digital world are susceptible to unprecedented anxieties when faced with spontaneous conversation or argument. Sherry Turkle, in Reclaiming Conversation (Penguin Press, 2015), brought forward impressive evidence to show that a great many people under 30 are morbidly afraid of such encounters. In the circumstances, speech lessons may be more in order than speech codes.” (Bromwich, 2017)

Bromwich pointe également du doigt une certaine complaisance des étudiants et des administrateurs qu’il attribue à la relation fournisseur-client de formation qui sévirait désormais dans les universités…

“...A campus is regarded today as a friendly “community,” a “home” away from home, to cite words that appear with some regularity in college brochures. It is a place ruled by a spirit of comity and cordiality. Any word or gesture that implies disharmony is frowned on. The corporate-university presentation draws much of its incidental effectiveness from appearing to go hand-in-hand with democracy. No one in the campus community, it suggests, should ever be made to feel less comfortable than anyone else.

[…]

The pressure for campus censorship has much to do with the confidence of students that they will not be held to account. They are in the position of customers, and they have rightly guessed that educational institutions act on the assumption that the customer is always right. Administrators know how bad it looks when a mob shouts down a speaker, and if they are helpless in the face of serious infractions, the reason is that they respect the customer more than the customer respects them.
[…]

College administrators — with rare exceptions, such as Carol Christ, the new chancellor of the University of California at Berkeley — are reluctant to back the principle of free speech without a supplementary clause that gives equal weight to feelings of community. They often go further and signify, to those who cite altruistic motives for breaking campus rules, that deep down they sympathize with the rule-breakers. And, sentimentally speaking, they do….” (Bromwich, 2017)

Plusieurs lecteurs du Chronicle se rangent derrière Bromwich en blâmant l’attitude attentiste des administrateurs et en souhaitant qu’ils sévissent davantage envers les étudiants qui mèneraient de telles protestations.

Sources:

L’Université Dalhousie accusée de suprémacisme blanc sur fond de tensions raciales“, Radio-Canada.ca, 24 octobre 2017

“What’s Fueling the Free-Speech Wars – Readers react to ‘The New Campus Censors'”, The Chronicle of Higher Education, 9 novembre 2017

Bromwich, David, “The New Campus Censors“, The Chronicle of Higher Education, 3 novembre 2017

Noël, Christian, “Propos haineux et liberté d’expression : des affrontements sur les campus“, Radio-Canada.ca, 13 novembre 2017

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Jean-Sébastien Dubé

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