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Les dérives de la persévérance à tout prix

Ces jours-ci les médias donnent pas mal d’attention à la conseillère en orientation Isabelle Falardeau (Collège Maisonneuve)  qui écrit beaucoup sur le thème de l’indécision…  Son plus récent ouvrage Le piège de la persévérance vient tout juste de paraître fin mars.  Elle y utilise des termes que l’on entend peu dans le discours public:  « acharnement vocationnel »,
« aveuglement vocationnel », « rêveur enlisé », « entêtement », « persévérance à outrance »…  D’après l’auteure, « [l]a persévérance scolaire ne mène pas nécessairement à la réussite. Quand elle devient de l’acharnement, elle mène plutôt à l’épuisement, à la dévalorisation et à l’échec » (Truong, 2017). Cette « face cachée » de la réussite nous semble fort à propos dans le contexte d’études universitaires massifiées:

« …Pour bon nombre de personnes, l’abandon d’un projet irréalisable permet de redéfinir ses objectifs de carrière, ce qui ouvrira les portes de la réussite. Un jeune qui prend conscience qu’il devrait abandonner ses études collégiales pour s’inscrire à des études professionnelles fait certes baisser le taux de diplomation de son cégep, mais augmente ses chances de réussir sa vie.

Pourquoi faire croire qu’à force de travailler, on obtient toujours ce qu’on désire? C’est vrai pour certains, mais tellement faux pour d’autres! Comme l’Everest n’est pas accessible à tout le monde, qui aide ces jeunes à faire le deuil d’un rêve impossible? Qui porte « l’odieux » de leur dire que ce paradis professionnel n’est pas pour eux? » (Extrait du quatrième de couverture, 2017)

L’auteure avoue avoir écrit ce livre par exaspération face aux discours jovialistes sur la réussite scolaire:

« J’en avais marre d’entendre ça, nous dit-elle, parce qu’en 32 ans, j’en ai vu, des jeunes qui voulaient étudier en médecine, en pharmacologie ou en droit, mais qui année après année n’y arrivaient pas. Ce n’est pas vrai que la persévérance est toujours payante. On ne valorise pas le lâcher-prise, le demi-tour, ce n’est pas dans le langage courant.  […] « Des jeunes qui ont des troubles d’apprentissage qui veulent devenir pédiatres, il y en a beaucoup, mais il faut le dire, c’est pratiquement impossible pour eux d’y arriver… » (Siag, 2017)
C’est d’autant plus vrai dans les filières contingentées:

« Le défi est grand, reconnaît l’auteure. Parce que le contexte de contingentement, dans certains domaines, encourage les jeunes à s’acharner.« Ils sont victimes de ce système. Ils peuvent jouer le jeu un temps, mais s’ils ne réussissent pas, ils doivent évaluer d’autres options. Ceux qui y arrivent doivent aussi être soutenus, parce que le risque pour un jeune qui ne s’investit que dans ses études est qu’il se dise : “Je suis la note que j’ai eue à mon examen.” Son estime de lui-même sera fragile. Il faut les amener, de temps en temps, à être autre chose qu’un étudiant et à réaliser qu’il y a plusieurs facettes à leur vie et à leur être. » (Siag, 2017, nos emphases)

D’après l’auteur, il faut savoir « développer sa capacité à abandonner »…  Pour l’entourage, c’est très délicat que de dire à quelqu’un « tu devrais penser à un plan B ».  « Un plan B, C, D et E
Pour Isabelle Falardeau, les parents doivent montrer à leurs enfants qu’il n’y a pas qu’un seul chemin tracé vers la réussite. L’intervention d’un conseiller en orientation peut aussi s’avérer nécessaire pour ouvrir d’autres portes à ces jeunes… » (Radio Canada Première, 2017)

Sources:

« Le piège de la persévérance » (description de l’ouvrage), section « Outils pédagogiques », Septembre éditeur, [sans date] « La persévérance, une qualité qui peut devenir un boulet » (entrevue avec l’auteure), émission Les éclaireurs, ICI Radio-Canada Première, 10 avril 2017 (9 min 25)
Siag, Jean, « Savoir abandonner l’inaccessible étoile », La presse, 8 avril 2017
Truong, Diep, « Le piège de la persévérance – Comment décrocher d’un rêve impossible ? » (communiqué de presse), Septembre éditeur, 22 mars 2017

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Jean-Sébastien Dubé

1 commentaire

  • La chroniqueuse Louise Leduc de La Presse en a aussi parlé dans un billet du 11 avril.
    http://blogues.lapresse.ca/mere/2017/04/11/la-terre-appelle-la-lune/

    Extrait : Selon Mme Falardeau, citée par Patricia Cloutier, «pour être heureux dans la vie, autant sur le plan professionnel que sur le plan personnel, il faut avoir la sagesse d’abandonner parfois. Il ne s’agit pas de viser plus bas, mais de viser plus près de soi » [mon emphase]

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