Pédagogique

La théorie des intelligences multiples n’arrive pas à trouver de validation

Je viens de tomber sur une revue de la littérature critique de la théorie des intelligences multiples que faisait l’auteur Scott McGreal en novembre 2013 sur son blogue Unique—Like Everybody Else, hébergé sur le site de la revue Psychology Today.

Connue du grand public dans ses grandes lignes, la théorie des intelligences multiples proposée par le professeur Howard Gardner est enseignée dans plusieurs universités. Elle stipule qu’il y aurait un certain nombre d’intelligences indépendantes les unes des autres qu’il définit ainsi : « “biological potential to process information that can be activated in a cultural setting to solve problems or create products that are of value in a culture” (Furnham, 2009) ». La théorie propose 8 intelligences (ce nombre a varié avec les années et les versions), qui ne seraient pas selon Gardner des habiletés, contrairement à ce que certains critiques avancent :

  • verbale/linguistique;
  • logique/mathématique;
  • visuelle/spatiale;
  • corporelle/kinesthésique;
  • musicale/rythmique;
  • naturaliste;
  • interpersonnelle;
  • intrapersonnelle

Cette théorie s’oppose à une vision plus classique où l’on pose que l’intelligence est quelque chose de plus général, sous-jacente au niveau de performance dans une diversité d’habiletés cognitives. La notion d’intelligence générale demeure débattue dans la communauté scientifique, mais sans entrer dans les visions différentes de l’intelligence générale, il est facile de voir en quoi le concept d’intelligence générale diffère de celui des intelligences multiples.

McGreal cite des études qui ont tenté de vérifier si les intelligences de Gardner sont vraiment indépendantes les unes des autres, et jusqu’à quel point elles sont indépendantes de traits de personnalité. La recherche indique que les intelligences multiples ne sont ni indépendantes les unes des autres, ni indépendantes des traits de personnalité. De plus, la plupart d’entre elles sont corrélées avec l’intelligence générale telle qu’on l’entend dans les approches plus classiques, validant ainsi la conception de l’intelligence générale plutôt que celle d’intelligences multiples (les exceptions à la corrélation avec l’intelligence générale sont les intelligences musicale et corporelle/kinesthésique, qui sont non-cognitives, et l’un des tests évaluant l’intelligence intrapersonnelle).

Il semble donc que la théorie des intelligences multiples ne se valide pas sur le fond, et qu’elle n’apporte pas vraiment un nouvel éclairage dans la compréhension des capacités mentales.

Et pourtant, la théorie des intelligences multiples demeure extrêmement populaire. Très probablement parce qu’elle correspond à certaines valeurs égalitaires répandues notamment dans le milieu de l’éducation : elle entretient l’idée préconçue que chacun est égal, mais différent. Elle permet de se réconforter sur l’égalité de ceux qui n’ont ni la bosse des maths, ni le don du langage, parce qu’ils seraient quand même aussi intelligents que les autres mais d’un autre type d’intelligence.

The idea that there are multiple independent kinds of intelligence appeals to egalitarian sentiments because it implies that anyone can be “intelligent” in some way or another, even if they are not lucky enough to possess a high IQ (Visser, Ashton, & Vernon, 2006a). This egalitarian view was expressed in an article by Dr Bernard Luskin. He suggested that the theory is accepted by the self-esteem movement, because according to this view no-one is actually “smarter” than anyone else, just different. This all sounds warm and fuzzy, but making people feel good is not an index of scientific validity.

L’intelligence étant une qualité hautement désirable et valorisée, l’engouement pour la théorie des intelligences multiples, voire son origine, correspond peut-être à une tentative de la redéfinir d’une façon qui vise des objectifs socio-culturels plutôt que des objectifs scientifiques. Puisque  « tout le monde en veut », de l’intelligence, cela peut devenir en quelque sorte un bon moyen « d’en donner à tout le monde », quelles que soient leurs capacités cognitives. D’une certaine manière, on peut faire un rapprochement avec les styles d’apprentissage qui ont eux aussi une certaine connotation « égal mais différent », et qui ont aussi du mal avec la validation scientifique.

Cela étant dit, ça n’enlève rien à la valeur intrinsèque d’une personne et ça ne diminue en rien le fait qu’elle puisse être très douée dans d’autres domaines d’activités. Mais doit-on les appeler des intelligences? Ne pourrait-on pas valoriser d’autres aptitudes sans redéfinir ce qu’est l’intelligence?

Source – McGreal, Scott A. (2013) The Illusory Theory of Multiple Intelligences. Psychology today :Unique—Like Everybody Else.

Le dilemme éthique en intelligence artificielle
Faire attention à ce qu'on affirme être appuyé par des données probantes
+ posts

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire