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Classcraft: même en enseignement supérieur

En 2014, ma collègue Francheska Gaulin nous avait bien expliqué les origines de cette plateforme de jeu qui facilite essentiellement la gestion de classe et contribue à motiver les étudiants.  Puisqu’il s’agit d’un produit sherbrookois, les médias locaux en font souvent mention.  Toutefois, il m’était toujours apparu que la thématique médiévale-fantastique du jeu conviendrait difficilement à des cours universitaires.  Bref, le jeu semblait trop “adolescent” pour toucher des apprenants adultes.

Or, deux sources croisées dans le temps des fêtes m’ont amené à aller au-delà de cette première impression.  D’une part, cette nouvelle de Radio-Canada Estrie qui nous apprend qu’un million d’utilisateurs se sont ajoutés entre juin 2016 et janvier 2017 (six mois!).  Le jeu en est donc maintenant à deux millions d’utilisateurs…  Reste à savoir s’ils sont tous très actifs.

Dans le même article, on découvre que les concepteurs ont été invités à la Maison-Blanche pour discuter d’utilisation des jeux en éducation et que la plateforme commence à être adoptée dans certains milieux de travail: “« …[I]l y a des entreprises qui utilisent Classcraft pour motiver leurs employés. On va s’assurer de bien percer le marché de l’éducation et après on va explorer d’autres avenues », indique Shawn Young.”

D’autre part, j’ai découvert que Carl Rocheleau, un enseignant au collégial de ma connaissance, semblait très satisfait d’avoir adopté cet outil en 2015…

Une des grandes forces de Classcraft, c’est que les profs sont super bien encadrés :
1. Accès en tout temps à un forum mondial (anglo-franco) où on peut poser des questions, recevoir des idées, partager ses approches, etc.
2. Possibilité d’écrire directement à l’équipe pour tout ce qu’on ne trouve pas. Réponse dans les 24 heures jusqu’à maintenant.
3. Possibilité de personnaliser la plupart des règlements pour les adapter à un milieu scolaire particulier.
4. Tutoriels (majoritairement anglais pour l’instant) qui expliquent TOUS les aspects du jeu. (Rocheleau, 31 janvier 2015)
Inutile de dire que le taux de devoirs complétés et le degré de participation en classe est très élevé. Je n’ai jamais vu ça. Le nombre d’abandons du cours (une gâterie que peuvent se permettre les étudiants du collégial, contrairement au secondaire, où Classcraft est généralement utilisé) est très bas. (Rocheleau, 23 février 2015)
En temps normal, la fin de session, c’est le moment où les étudiants se relâchent dans certains cours afin de se concentrer sur ceux qu’ils considèrent importants.
[…] Grâce à Classcraft, les étudiants constatent qu’avec un effort supplémentaire, ils pourront obtenir un pouvoir du troisième échelon (ce sont des pouvoirs qui permettent un avantage à l’examen final). (Rocheleau, 18 avril 2015)
…Dans un autre groupe, l’équipe la plus participative est aussi la plus soudée. Bien que tous ses membres viennent de champs d’études complètement différents (soins, informatique, art, physique, intégration), ils ont pris l’habitude de dîner ensemble après le cours depuis le retour de la mi-session… (Rocheleau, 22 avril 2015)
Si des étudiants du collégial semblent apprécier, est-ce qu’il n’est pas possible que ça fonctionne aussi au niveau universitaire?  La réponse est probablement “oui, mais avec plusieurs adaptations”.
Une gestionnaire de communauté chez Classcraft m’a référé à des textes présentant deux enseignants universitaires qui utilisent le jeu.  Dans un cas, il s’agit du Pr Del Chrol de l’Université Marshall en Virginie-occidentale qui se sert de Classcraft et de Reacting to the Past (dont nous vous avions déjà parlé en 2012 et en 2014) dans ses cours de Latin 101.  D’après lui, les contraintes artificielles proposées par de tels jeux motivent les étudiants qui sont autrement difficiles à accrocher.  Ils doivent se structurer pour avancer malgré les multiples possibilités offertes…
L’autre enseignante est Laura Trauth qui enseigne en ligne et en présentiel au Community College de Baltimore County au Maryland.  Elle enseigne l’histoire américaine et des cours survolant la Culture Occidentale.  Elle était embêtée avec les pénalités (sentences) proposées par le jeu (lorsqu’un étudiant “tombe au combat”) qui font parfois intervenir l’autorité parentale:
I also don’t have the [luxury] of being able to talk to their parents if they’re not serving their sentences. So I was thinking, how am I going to make these adult students, who can just walk out at the end of the day, motivated to complete their sentences if they fall in battle? And my solution there was simply to let them set them. We talk about it in the first week of class, and they for the most part decide what the sentences should be. I tell them to focus on things that they feel will help them get back on track if they start having a little trouble in the class. (Trauth, citée par Classcraft (1), sans date)
Le fait que le jeu soit extrêmement flexible et adaptable par l’enseignant permet cette “mise à niveau”.  En effet, c’est l’enseignement qui détermine qu’est-ce qui fera gagner ou perdre des points aux étudiants, combien de points seront gagnés ou perdus et quels seront les conséquences positives ou négatives en classe.  Certaines conséquences sont proposées par la plateforme (“Le droit de refaire un devoir”, “l’obligation d’effectuer une présentation devant la classe”), mais l’enseignant peut les changer.
En même temps, une plateforme de gestion de classe comme Classcraft pose de front la question de la ludification (gamification) de la formation.  Est-ce qu’il faut vraiment que la classe devienne un jeu pour piquer et maintenir l’intérêt des apprenants?  Comme le fait remarquer une lectrice de Rocheleau: “…[J]e trouve ça un peu triste qu’on doive en venir à utiliser ce genre de méthodes pour motiver les étudiants. Je veux dire: quand tu es un étudiant appliqué et travaillant, tu as déjà des supers pouvoirs.”  Réponse de Rocheleau: “…[C]’est vrai que les étudiants ne sont pas conscients de leurs pouvoirs…  D’un autre côté, c’est être candide de croire que l’on peut enseigner aux jeunes d’aujourd’hui comme on enseignait il y a 10, 20, 30 ou 40 ans (selon les méthodes…). Les jeunes ont évolué, les profs aussi…”

Laura Trauth a aussi son opinion sur cette question:

Most of my students are in their 20s or early 30s. A lot of them play computer games; some of them have young children. A lot of them like superhero movies, and their children like superhero movies. So by and large, they have really taken to it… […]

…The issue is they have extrinsic motivations, not intrinsic. They haven’t reached the point yet where they say, “I love learning. I’m going to take a history class.” They’re at the point where they say, “My parents said I gotta get a degree or move out of the house, and I kind of like computers, so I think I’ll go into computer science. But now I have to take this history class.”

[…] Your students are your best collaborators in Classcraft. And that may be the greatest advantage I see from it: It gets rid of the adversarial relationship between the student and the teacher. “I’m here to beat you and get an A” becomes “I’m here to beat the game, to best myself, to reach new heights in my achievement and get an A.” (Trauth, citée dans Classcraft (2), sans date)

Sources:

Classcraft : inventé à Sherbrooke et joué dans 75 pays“, Radio-Canada Estrie, 9 janvier 2017

Brenden, Patrick, “Marshall professor uses role playing games as teaching aid“, The Parthenon, 4 février 2015

Classcraft (1), “Using Classcraft in College Classes – An interview with Laura Trauth“, sans date

Classcraft (2), “Using Classcraft in Online Classes – An interview with Laura Trauth“, sans date

Rocheleau, Carl, “Classcraft, les premiers pas”, Blogue qui peut, 31 janvier 2015

Rocheleau, Carl, “Classcraft, quelques semaines plus tard”, Blogue qui peut, 23 février 2015

Rocheleau, Carl, “La fin de session, à la Classcraft“, Blogue qui peut, 18 avril 2015

Rocheleau, Carl, “Classcraft, conséquences sociologiques“, Blogue qui peut, 22 avril 2015

Rocheleau, Carl, “Présentation de l’interface principale de Classcraft”, Blogue qui peut, 4 mai 2015

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Jean-Sébastien Dubé

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